» Rien de grave, si ce n’est le chaos « 

Philippe Moureaux maudit un an et demi d’instabilité. Pour le vice-président du PS, ancien ministre de la Justice, le monde politique est aujourd’hui  » terriblement affaibli « .

Le Vif/L’Express : Comment jugez-vous les  » incidents  » qui ont provoqué la chute d’Yves Leterme ?

E Philippe Moureaux : Ces soupçons, ces accusations d’ingérence politique dans le travail de la justice constituent un problème délicat. Mais il y a des précédents. Dans un climat normal, le pays connaîtrait quelques turbulences, puis on repartirait avec un autre ministre de la Justice et un autre Premier ministre. Yves Leterme a été d’une incroyable imprudence en livrant autant de détails incontrôlables sur les contacts pris par ses services. Il a commis une erreur politique et fourni les verges pour se faire fouetter. Pour autant, les soupçons d’intervention sont-ils vraiment si graves ? La réaction du premier magistrat du pays ( NDLR : le premier président de la Cour de cassation Ghislain Londers) n’est-elle pas disproportionnée ? J’ai mes doutesà Mais nous ne sommes pas dans une situation  » normale  » : ces faits apparaissent après un an et demi de chaos politique.

Quel est le rapport ?

E Si le magistrat en question s’autorise cette sortie publique, c’est parce que le monde politique est terriblement affaibli après autant d’incertitudes, d’incohérences et de que-relles partisanes. Tel est le problème majeur : le pays semble quasi ingouvernable. La crise des institutions est latente. Les gouvernements intérimaires se sont succédé. Et voici cette apparence de conflit entre le politique et la justiceà J’aurais pu aussi rappeler les incapacités du ministre de l’Intérieur à gérer la police, les soupçons de délit d’initié qui pèsent sur le ministre des Affaires étrangères et la volonté d’un autre ministre libéral flamand de remettre le feu aux poudres dans la périphérie bruxelloise, en refusant de nommer des bourgmestres francophones. Bref, les gens se demandent dans quel pays ils vivent.

Le PS reste très silencieux. Pourquoi ?

E Nous n’avions ni le poste de Premier ministre, ni celui de la Justice, ni celui des Finances. Nous ne pouvions savoir ce qui se passait derrière les décors. Remarquez que l’Open VLD réagit tout autrement. Il veut assassiner son grand adversaire qu’est le CD&V. Entre eux, ce n’est plus du sang qui coule, mais du pus.

Que retiendrez-vous de ce Premier ministre Yves Leterme, incapable de s’imposer ?

E Il a manqué d’envergure. On est toujours le produit de quelque chose. Cet homme fragile est habité par le même dilemme que la Flandre : elle hésite en permanence entre le choix de la Belgique et sa propre indépendance.

Et Didier Reynders ? Devait-il se retirer, comme certains l’ont demandé, la semaine passée ?

E Pas d’amalgame. Sur le dossier Fortis, Reynders n’a pas été brillant. Mais, au stade actuel, on ne voit pas en quoi il serait concerné par les ingérences qui ont été fatales à Leterme. Moi, je ne vais pas me lancer dans des accusations gratuites.

Pourtant, le PS a dit tout de suite qu’il ne voulait pas de lui au poste de Premier ministre ?

E C’est autre chose. Reynders a déjà lancé la campagne électorale pour 2009, avec une violence inouïe. Au poste de Premier ministre, il faut pouvoir susciter un minimum de confiance auprès des partenaires. Ni lui ni Joëlle Milquet n’ont cette hauteur de vues.

Comment sortir du chaos ?

E L’exploit serait de mettre sur pied un gouvernement doté d’un programme sérieux. Si ce n’est pas possible, on verra ce qui se dégagera des élections (régionales et peut-être fédérales) de juin prochain. Plus de cohérenceà ou davantage de confusion. Imaginez ceci : un gouvernement de centre-gauche est confirmé en Wallonie, tandis que Jean-Marie Dedecker et les populistes montent au pouvoir en Flandreà l

Entretien : Ph.E.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire