Rideau noir sur le Duce

La fuite et la fin de Mussolini n’ont pas livré tous leurs secrets. L’historien Pierre Milza reprend le dossier, en détective affûté et en spécialiste.

Risotto, chevreau cuit au four, salade : ce sera le dernier dîner ingurgité par Mussolini, le 27 avril 1945, à la caserne de la 52e brigade des garibaldiens, où il vient d’être fait prisonnier. Le lendemain, 28 avril 1945, il sera fusillé à la hâte avec sa compagne Clara Petacci, dans un petit village de la rive ouest du lac de Côme. Leurs dépouilles, mêlées à celles de hiérarques fascistes abattus à Milan, seront livrées à la vindicte populaire sur la place Loreto de la ville et transformées en pantins sanguinolents. La guerre civile italienne n’est pas encore finie, mais déjà une nouvelle ère s’entrouvre.

Reprenant le principe de l’ouvrage de Joachim Fest Les Derniers Jours d’Hitler, mais en substituant l’enquête et l’hypothèse au récit linéaire de son collègue allemand, l’historien Pierre Milza, biographe de Mussolini (Fayard, 1999), tente de clarifier les trois derniers jours du dictateur déchu. Car, à l’inverse de la mort du Führer, incontestée, deux jours plus tard dans son bunker berlinois, celle de son  » meilleur ami  » d’outre-Brenner n’a pas fini de susciter des questions soixante-cinq ans après. Que s’est-il passé au cours de cette ultime fuite en forme de débandade ? Pourquoi Mussolini a-t-il refusé de gagner la Suisse ou l’Espagne de Franco ? Quelles ont été les circonstances exactes de son arrestation ? Qui a donné l’ordre de le fusiller ? Quelle est la véritable identité du colonel Valerio, héros du peuple à la mode stalinienne, qui se vanta de l’avoir achevé ? Quels étaient les rapports de forces au sein du Parti communiste italien ? Quel rôle ont joué les services secrets alliés ? Que contenaient les sacoches en cuir emportées par Mussolini ? Où est passé  » l’or de Dongo « , les devises, lingots, diamants et bijoux emportés à la hâte par le convoi fasciste ?

Reprenant la soixantaine d’ouvrages publiés depuis 1948 – dans leur quasi-totalité en italien – Pierre Milza démonte les contradictions des témoignages, les textes orientés à dessein et les affabulations, et livre une version solide et séduisante sur les septante-deux dernières heures du  » guide  » de l’Italie fasciste. Son récit clinique reprend heure par heure, kilomètre après kilomètre, la feuille du convoi tentant de rejoindre, à bord d’Alfa Romeo et de véhicules militaires, le futur  » réduit alpin  » de Valteline pour livrer un ultime baroud d’honneur ; l’arrestation ; l’exécution.

La farce, digne de La Grande Vadrouille, n’est jamais loin, lorsque Mussolini, par exemple, revêt un uniforme allemand et met son casque à l’enversà Mais c’est la tragédie qui domine et les acteurs de ce moment clé de l’histoire de l’Italie ont l’épaisseur des personnages d’un roman de Malraux : le capitaine Neri, communiste intègre liquidé à la fin de la guerre par des  » camarades  » ; les époux De Maria, cultivateurs taiseux cachant les partisans dans leur ferme ; le comte Bellini Delle Stelle, commandant la 52e brigade internationale Garibaldi, jeune monarchiste plaçant la morale au-dessus de toutà

Les Derniers Jours de Mussolini se lit avec un plaisir évident, comme un thriller historique de haute tenue. Il livre, c’est la loi du genre, quelques surprises. L’une d’entre elles, et non des moindres, est que Luigi Longo en personne, futur patron du Parti communiste italien, aurait achevé le Duce !

Les Derniers Jours de Mussolini, par Pierre Milza. Fayard, 351 p.

EMMANUEL HECHT

l’ouvrage se lit comme un thriller historique de haute tenue

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