Reynders-Di Rupo : sur le ring

Se détestent-ils ? Pas sûr. Mais visiblement, ils ne peuvent plus se supporter. Entre Reynders et Di Rupo, les coups volent bas. Au risque de faire vaciller le Premier ministre.

Si le pouvoir d’un homme politique se mesure aux bordées de noms d’oiseau et au nombre de horions qu’il essuie, alors Didier Reynders est l’homme le plus puissant de ce début 2009. Dans tous les états-majors, et plus particulièrement au PS, la cible désormais semble bien être le président du MR. Certes, la politique est un monde de brutes. Les coups y pleuvent, d’autant plus drus que se multiplient les appels au sens des responsabilités devant les crisesà Mais la conjonction d’attaques contre le ministre des Finances, en ce mois de janvier, reste, exceptionnelle dans sa violence.

Un projet de lettre de démission

Toute l’affaire a commencé le lundi 19 janvier. Le Soir publie un  » projet de lettre de démission  » de Pim Vanwalleghem, un conseiller de l’ancien Premier ministre, Yves Leterme, qui craignait d’avoir franchi la ligne jaune dans le cadre de l’affaire Fortis (lire aussi p. 30). Il reconnaissait avoir passé, le 6 novembre dernier, un coup de téléphone au substitut du procureur du Roi de Bruxelles, Paul Dhaeyer, chargé de remettre l’avis du ministère public dans ce dossier, et avec lequel il a toujours entretenu de bonnes relations professionnelles. Le coup de fil est bref – 90 secondes – ce qui est un peu court pour faire vraiment pression. Le substitut, qui va rendre son avis un peu moins de trois heures plus tard, explique succinctement à Vanwalleghem les remarques qu’il va énoncer sur les arguments juridiques du gouvernement. Le conseiller de Leterme affirme n’avoir pas pris seul l’initiative de ce contact. S’il a décroché son combiné, c’est après un entretien avec deux chefs de cabinet : le sien et celui de Reynders. Certes, il convient que la conversation n’a eu aucune conséquence. Mais Vanwalleghem a des remords au vu de la tournure qu’ont pris, depuis, les événements. Toujours dans ce même courrier, il s’interroge sur la nécessité de donner éventuellement sa démission du cabinet. L’introspection ne durera pas longtemps puisque de cabinet Leterme, il n’y aura bientôt plusà

Le même jour, le cabinet Reynders est accusé de pousser Fortis à publier rapidement ses résultats pour le quatrième semestre (ils tomberont finalement le jeudi). Des résultats que l’on pressent extrêmement négatifs. Et les adversaires du ministre des Finances de dénoncer une man£uvre politique grossière. En mettant sous les spots l’état inquiétant de Fortis, Reynders ne veut-il pas prouver, in fine, que la formule d’un rapprochement avec BNP Paribas imposée par le gouvernement précédent, et portée par le président du MR, était bien la bonne, et que tous ceux qui rêvent d’une autre sortie pour ce dossier ont tout faux ?

Le cabinet du ministre des Finances tient tête aux accusations. Non, il n’est jamais intervenu auprès des magistrats, le ministre n’a rien à se reprocher, ce que démontrera la commis-sion d’enquête parlementaire. C’est peu dire que les  » amis  » de Reynders attendent avec impatience le passage de Vanwalleghem devant les commissaires.

Le sauvetage de la  » banque de la Flandre « 

Le feu est vraiment mis aux poudres le lendemain, lorsque le ministre des Finances annonce, via l’agence Belga, la nécessité d’un nouveau plan de sauvetage pour les banques. Depuis plusieurs jours, la KBC, la grande banque flamande, fait l’objet de lourdes attaques en Bourse. Le cours tombe chaque jour d’à peu près 20 %, triste record dans une nouvelle vague générale de repli des valeurs sur les marchés. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner qu’une nouvelle fois l’Etat va devoir mettre la main à la poche. Et l’argumentaire de Reynders ne manque à première vue pas de bon sens. Plutôt que de réunir tout le monde en catastrophe à la dernière minute et de prendre des décisions à la grosse louche, autant préparer le terrain calmement, plaide-t-il.

Reynders a un autre argument : il sort précisément d’une réunion du groupe Ecofin, qui rassemble les ministres des Finances européens. Et tous ses collègues ont parlé dans un même sens, celui d’une indispensable et prochaine action.

C’est la déclaration en solo qui apparemment fâche. Certes, le ministre des Finances n’a pas lâché de chiffres, mais plusieurs observateurs s’en chargent dans l’heure. Et à tout le moins, il apparaît que si intervention il y a, elle ne sera pas en dessous des 20 milliards d’euros de l’automne dernier. Au minimum. Un sérieux coup de bambou pour l’équilibre budgétaire à l’horizon de 2011, sauf si des compensations sont trouvées ailleurs. La déclaration fera bouillir les socialistes et le Premier ministre.

L’agacement du Premier ministre

Herman Van Rompuy appartient à l’école Dehaene. Comme son illustre prédécesseur, le nouveau Premier ministre pense que les gouvernements sont d’autant plus stables que leurs composantes sont muettes. Quand il y a un problème, on se voit, on en parle, on fait une déclaration seulement lorsqu’on a trouvé une solution acceptable. Si Verhofstadt, lui, avait réussi à surfer huit ans sur les déclarations cacophoniques de ses ministres, Leterme, lui, n’y était jamais parvenu. Pas question, pour Van Rompuy, de jouer dans la même cour. Nul doute que pour lui, Reynders a parlé trop vite. Dans les couloirs, les hommes du Premier expliquent qu’aucune nouvelle intervention ne sera décidée avant au moins une semaine. Pas avant, en tout cas, que tous les calculs soient faits au plan fédéral.

En réalité, le CD&V est déjà en train de jouer une autre carte. Pendant que le patron de la KBC multiplie (et fait multiplier) les déclarations apaisantes, le parti chrétien flamand se mobilise, ce que Van Rompuy ne peut ignorer. La KBC est certes la  » banque de la Flandre « , c’est aussi celle des chrétiens flamands, et c’est entre eux qu’ils décident de trouver une solution. En s’adressant non pas à l’Etat fédéral, mais bien au gouvernement flamand, qui annonce une intervention en un temps record.

En plus de la rapidité d’action, les Flamands apprécient de ne pas devoir s’embarquer dans une négociation avec des  » non-Flamands  » susceptibles de demander  » quelque chose  » en échange. Sans parler du fait qu’ils se réservent, aussi, la possibilité d’une éventuelle intervention fédérale supplémentaire, au cas oùà

La déclaration du président du MR n’a pas seulement agacé le Premier ministre. Elle a aussi profondément irrité les socialistes francophones.

Laurette Onkelinx, leur chef de file au gouvernement, donne de la voix. Elio Di Rupo, le président du PS, prend le relais avec une interview à La Dernière Heure dans laquelle il fustige  » l’irresponsabilité et l’arrogance  » du ministre des Finances. Certes, le conten-tieux entre les deux alliés est lourd, très lourd. Le PS exige désormais des  » rapports écrits et circonstanciés avec des PV de réunions reflétant les avis des uns et des autres pour aider le gouvernement à agir « . N’a-t-il pas les yeux rivés sur le 7 juin ? De fait. Car depuis septembre dernier, Di Rupo tente une opération en vue de redresser le cours de Bourse du parti auprès de sa baseà

Flash-back : fin 2007, le PS, après des mois d’isolement, décide, au nom  » du sens de la responsabilité « , de revenir aux affaires fédérales. De multiples critiques se font alors entendre au sein du parti et dans les milieux proches. Que diable Di Rupo allait-il faire dans cette galère ? L’argument aussitôt développé en guise de réponse ( » Ce serait pire encore sans nousà « ) ne passe pas la rampe. Les sondages restent mauvais (l’un d’entre eux évoque même une future perte de cinq à sept sièges au parlement wallon) et le fait que le MR dégringole, lui aussi, même plus rapidement encore, ne console pas grand monde. A la veille des élections de juin, Di Rupo se voit mal entrer dans l’histoire du PS comme  » le président ayant amené le parti à la rose à son plus bas niveau historique « . Sans parler du fait que le plan d’aide aux banques et les 20 milliards d’euros avancés pour un éventuel nouveau tour de table, irritent sérieusement certains militants.  » Si on a trouvé autant d’argent en une fois, pourquoi le PS, s’il prétend pouvoir faire la différence, ne force-t-il pas le gouvernement à lâcher ce que la rue demande ?  » s’insurgent-ils.

Nul doute que la déclaration de Reynders, dans ce contexte, tombait on ne peut plus mal : les nouveaux  » cadeaux « , s’ils étaient indispensables, devaient en tout cas pouvoir être longuement expliqués pour ne pas brouiller le parti, à nouveau, avec son c£ur de cible électoral. Il fallait donc bouger. En montant à l’assaut de Reynders, en ouvrant la chasse au président du MR, par exemple. Aussitôt dità

Un coup dans l’aile du gouvernement

Herman Van Rompuy ne s’attendait manifestement pas à ce que ses deux piliers francophones entrent en conflit si tôt, si vite et avec une telle virulence. Certes, le mot d’ordre est bien de tenir jusqu’en 2011. Les partis flamands, balkanisés, n’ont aucun intérêt à précipiter des élections fédérales. Celles de juin (Régions, Europe) sont déjà bien assez inquiétantes pour ne pas ajouter une pression supplémentaire. L’objectif prioritaire des leaders du nord du pays n’est-il pas de limiter, autant que possible, tout en spéculant sur le temps qui passe et qui peut réserver de bien bonnes surprises ? Une stratégie que ne rejettent certainement pas les francophones.

En quelques semaines à peine, Van Rompuy avait réussi à dégoupiller quelques mines particulièrement périlleuses pour la coalition. Tout était en place pour que le communautaire hiberne jusqu’à l’été ; la question des sans-papiers semblait pouvoir être débattue dans la sérénité ; on pouvait continuer à raisonner sur une politique budgétaire cohérente (à défaut d’être glorieuse) malgré les constantes révisions à la baisse des indicateurs économiquesà C’était sans compter sur le duo Reynders-Di Rupo.

L. O.

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