Révolte à la grecque

Christian Makarian

Sans remonter à l’Antiquité, nous devons beaucoup à la Grèce. Par exemple, de nous avoir montré la voie d’une dictature méditerranéenne qui a su retrouver la démocratie par idéal, d’avoir accepté de cohabiter pacifiquement – au nom de la princesse Europe – avec un dur voisin qui l’a ravagée pendant cinq siècles, d’avoir transformé une économie pauvrement agricole en pays moderne, d’avoir, quoi qu’on dise, réussi la symbiose entre un richissime patrimoine culturel et les lois de la standardisation. Pour la première fois depuis son indépendance, en 1822, la Grèce a ainsi connu trente années d’une paix ininterrompue.

Mais toutes les pulsions du passé y demeurent à peine enfouies. L’Eglise orthodoxe se résout mal à la sécularisation, les partis politiques ruminent leurs pratiques médiocres, les milieux d’argent affichent leur arrogance, l’indépendance et la flamme nationales ne cessent de faire débat, la publicité cite Socrate en exaltant la consommation. Et les jeunes ? Dans son troisième millénaire, la politique en Grèce est directement l’affaire du citoyen selon un rapport étonnamment direct – hérité à la fois de l’utopie athénienne et d’un long clientélisme – dont les élus se plaisent à jouer pour obtenir ou garder le pouvoir. Tant pis si l’Etat est déficient et laisse, comme l’an dernier, plus de 70 personnes périr au cours d’incendies apocalyptiques. Et les jeunes ? L’intégration européenne a créé de nouvelles couches, mais les anciennes demeurent, et tout se superpose dans un baklava subtil dont la liberté individuelle constitue le nappage. Les politiciens ont ainsi procédé au  » marquage  » de toute la société, sans se préoccuper de la contestation perpétuelle que cela induit. Et les jeunes ?

Aussi surprenant que cela paraisse, le lien à la cité reste régi par des règles comparables à celles du temps de Périclès. Ce dernier institua l’action de graphê paranomôn, une sorte de plainte en illégalité destinée à empêcher que des malveillances ne nuisent à la démocratie. Voici les jeunes. Athènes, puis Thessalonique, Patras, le Péloponnèse, la Crète, partout la flambée de violence évoque un soulèvement contre une société bloquée dont le matérialisme et la corruption contrarient les fondamentaux et obèrent le futur de toute une génération nourrie aux mythes. La Grèce a dompté son passé, mais pas encore éduqué son avenir.

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