Rêves de trams à Bruxelles

Dix. Tel est le nombre de projets de création ou de prolongation de lignes de tram en Région bruxelloise, tantôt portés par la Stib, tantôt par De Lijn. Des chantiers qui n’aboutiront pas de sitôt et devront composer avec l’opposition parfois farouche des communes et les réalités budgétaires…

Bientôt un trajet avenue Louise-Roodebeek d’une seule traite… en tram ? Ou encore Simonis-Jette, Delta-Bockstael voire Boom-Bruxelles ? Clairvoyant sera celui qui pourra prédire la date de mise en service de ces futures lignes. Mais ces projets n’ont rien d’élucubrations. Ils patientent dans les cartons du gouvernement bruxellois et des sociétés de transport public.

Le Bruxelles de demain sera plus  » tramifié  » qu’hier. Pas moins de 10 tracés (ou extensions) sont discutés actuellement. Dans son contrat de gestion 2013-2017, la Stib a inscrit à l’agenda 6 dossiers prioritaires (lire l’encadré récapitulatif en page 25), tandis que De Lijn envisage de pénétrer la capitale via 4 nouvelles lignes.

Le projet qui fera couler le plus d’encre est sans doute celui de la  » tramification  » de la ligne de bus 71. Non seulement parce qu’il s’agit d’un chantier d’envergure, mais aussi en raison de la farouche opposition de la commune qui sera la plus touchée, Ixelles.

La genèse : les navetteurs qui empruntent les bus 71 sont plus compressés que des sardines en boîte. Avec ses 24 000 passagers quotidiens, cette ligne est la plus fréquentée du réseau, malgré des véhicules qui se succèdent aux arrêts toutes les cinq minutes aux heures critiques. Intenable, pour la Stib.  » Nous ne parvenons plus à absorber la charge de clients « , confirme Françoise Ledune, directrice de la communication. La solution : remplacer les bus par des trams (qui permettent de transporter davantage de monde) entre Delta et Porte de Namur, en passant notamment par l’ULB et Flagey. Soit sur une distance de 5,9 kilomètres, dont 3,5 kilomètres de rails devront être aménagés. En juillet dernier, la ministre du Transport, Brigitte Grouwels (CD&V), annonçait le feu vert du gouvernement pour ce chantier estimé à plus de 54 millions d’euros. Début des travaux annoncé en 2015, mise en service espérée en 2017.

Ixelles, la  » tramophobe  »

 » Espérée « , car la réalisation du tronçon ne devrait pas se dérouler sans anicroche. Ixelles freine des quatre fers. Hors de question pour la commune de voir son artère commerçante majeure, la chaussée d’Ixelles, paralysée pendant des années de travaux.  » On a déjà connu la construction du bassin d’orage à Flagey pendant six ans qui a entraîné de nombreuses faillites. Répéter ce scénario chaussée d’Ixelles, le deuxième pôle commercial bruxellois, ce serait une catastrophe économique !  » s’exclame Dominique Dufourny, Première échevine en charge du Commerce. La libérale pointe également un  » non-sens  » au niveau de la mobilité.  » Le tram s’arrêterait Porte de Namur. Mais ceux qui voudraient aller jusqu’à la gare Centrale devront prendre une correspondance.  » Peu pratique.

En mars, l’échevine a lancé une pétition qui a récolté 985 signatures. Elle l’affirme sans détour : les autorités communales, les riverains et les commerçants vont se mobiliser. Quitte à introduire un recours auprès du Conseil d’Etat.  » Ce chantier, à long terme, ne vaut pas les sacrifices annoncés. Puis Mme Grouwels arrive avec ses gros sabots sans jamais nous consulter sur nos souhaits.  » A savoir la création non pas d’une ligne de tram, mais d’une ligne de métro. Des travaux souterrains, ça incommode moins.

Les esprits chagrins, tel Didier Gosuin, chef de groupe FDF au parlement bruxellois, soulignent que l’un des deux membres de la majorité PS-MR ixelloise a beau jeu de s’opposer au projet à l’échelon local alors qu’il l’a accepté au régional et qu’un éventuel recours ne s’attaquerait pas au fond, mais à la forme.

Mais Ixelles espère que les prochaines élections (et une éventuelle nouvelle majorité) relégueront le dossier dans les archives. La Stib ne semble cependant pas prête à lâcher le morceau. La demande de permis est annoncée dans les prochains jours.  » La concertation avec la commune sera très, très difficile, commente Françoise Ledune. Il faudra que le dialogue se réinstaure et qu’une réflexion soit menée pour épargner les commerçants. Pourquoi ne pas imaginer des travaux par tronçons, des primes à la rénovation durant le chantier ou des foires commerciales ?  »

Tour & Taxis et au-delà

La  » tramification  » de la ligne 71 ne devrait pas être enterrée si facilement. D’autant qu’elle est censée constituer la première étape d’un tronçon plus long, qui traversera la Région en diagonale de Delta (Auderghem) à Bockstael (Laeken). Toujours en juillet, le gouvernement a en effet donné son aval pour la création d’un deuxième tronçon entre la gare du Nord et Bockstael passant par Tour & Taxis et la passerelle Picard (lire l’encadré en page 24). Le tout pour 41 millions. Le gouvernement Vervoort a par ailleurs marqué son accord de principe pour un projet de liaison entre ces deux futurs tronçons, qui connecterait la Porte de Namur à la gare du Nord en passant par la gare Centrale. La Stib est chargée d’étudier les tracés potentiels.

Effet d’annonce, comme le pense Willem Draps, député de l’opposition MR ? Le chantier sera sans nul doute confronté à quelques embûches. Ixelles est loin d’être la seule commune  » tramophobique « .  » Les pouvoirs municipaux sont rarement volontaristes face à de tels projets, constate le libéral, ancien bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre. Ils manquent de courage politique et se concentrent sur les inconvénients liés aux travaux, sans vision à long terme.  »

Des exemples ? La Ville de Bruxelles n’est pas franchement chaude concernant la création de la passerelle Picard, sur laquelle passerait le futur prolongement de la ligne 71. La prolongation de la ligne 9 depuis Simonis vers Jette et l’AZ VUB (3,3 km) est évoquée depuis dix ans et systématiquement retardée par des citoyens qui, suite à la dernière enquête publique organisée fin 2012, ont chargé un avocat d’étudier la possibilité d’un éventuel recours au Conseil d’Etat si le permis était accordé (ce qu’attend toujours la Stib).

Idem côté De Lijn, qui étudie l’ouverture de quatre lignes transrégionales : Boom/Bruxelles, Ninove-Gooik/Bruxelles, Heist-op-den-Berg/Bruxelles et Jette/Tervuren. Les gouvernements bruxellois et flamand ont rendu un avis positif, ce dernier devant décider (encore cette année, paraît-il) des tracés et du calendrier. La Stib se dit prête à collaborer. Mais les enquêtes publiques réalisées dans les communes concernées ont entraîné quelques  » non  » (Dilbeek, Keerbergen, Kortenberg…)

Autre problème : où aller chercher les fonds nécessaires, alors que les caisses de la Région ne débordent pas de billets ? Chez Beliris ? Via des partenariats publics-privés ? Même pour la ligne 71, la question du financement  » n’est pas complètement définie « , dixit Françoise Ledune.

 » Les financements étant tellement peu consistants, les travaux vont être étalés sur des années, prédit Didier Gosuin. Or il n’y a rien de pire. Il faut avoir de l’ambition pour avoir un réel impact sur la congestion de Bruxelles.  » Les moyens nécessaires, le FDF irait bien les chercher du côté de l’instauration d’un péage  » intelligent  » autour de Bruxelles ou d’une fiscalité qui découragerait les comportements peu écolos. Pas sûr que ces propositions fassent mouche…

Par Mélanie Geelkens; M. Gs.

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