Résidentiel neuf : à tâtons

Le logement dans la capitale est un des grands enjeux pour l’avenir. La solution passe par la construction de résidentiel neuf. Agents, promoteurs et courtiers s’accordent sur ce point mais attendent davantage des pouvoirs publics.

Selon les estimations réalisées par le Bureau du Plan, la population bruxelloise devrait dépasser 1,2 million de personnes d’ici à dix ans. Pour les pouvoirs publics, qui veulent en particulier faire  » revivre  » le périmètre à l’intérieur de la petite ceinture, ces nouveaux concitoyens sont une aubaine. Mais il faudra les loger : impensable sans construire du neuf. Un défi de taille.  » Le manque de logements va s’accentuer […] Il faudra construire plus haut car les surfaces ne sont pas extensibles. Il faudra plus de partenariats public-privé, des modifications d’affectation… « , résume Olivier Carette, patron de l’Union professionnelle du secteur immobilier.

Si la capitale dispose encore de plusieurs milliers de mètres carrés constructibles, cette réserve ne doit pas être surestimée.  » Il ne faut pas rêver, Bruxelles est un village, le terrain se raréfie et il faudra chasser la moindre surface à bâtir « , indique Serge Fraeijs de Veubeke, administrateur délégué du Consortium Immobilier Général, une entreprise de promotion et de construction. La surface va devenir un luxe et le coût du terrain va augmenter, prédit-il. Or ce sera majoritairement une population demandeuse de logements à prix moyens qui souhaitera s’installer en ville.

 » On a les moyens de monter des projets très rapidement, avec la Société de développement de la Région de Bruxelles-Capitale (qui développe des logements pour les personnes à revenus moyens). Mais il manque un coup de pouce de la Région. On ne pourra pas faire face à l’explosion démographique à Bruxelles sans cela « , renchérit Serge Fraeijs de Veubeke. Le patron du Consortium énumère une série de freins à la construction de logements neufs : pas de politique en la matière, manque de finances publiques, coût de la construction de plus en plus élevé entre autres à cause des contraintes écologiques, fin des mesures fiscales anticrise…  » Le politique n’exploite pas les possibilités de diminuer les prix « , dit-il. Olivier Carette souligne d’autres obstacles à la construction : le temps pour convaincre les propriétaires de céder les terrains, pour obtenir les permis, voire les modifications d’affectation. Il évoque aussi les difficultés à obtenir un rendement de ces terrains à cause de nombreuses obligations lors de la construction et dénonce lui aussi le manque d’incitants fiscaux.

Pour Eric Verlinden, administrateur délégué du groupe de services immobiliers Trevi, il reste approximativement 800 000 mètres carrés à mettre en valeur à Bruxelles.  » Cela explique que l’immobilier à Bruxelles ne soit pas cher comparé à d’autres villes « , dit-il. Mais à raison de 3 000 logements de près de 80 mètres carrés, en moyenne, par an, cette réserve sera tôt ou tard engloutie.  » Je pense que la tendance pour les cinq à huit prochaines années sera une certaine stabilité des prix. Après, cela va monter « , indique-t-il. Les conséquences pour les Bruxellois ? Par rapport à des villes comparables,  » le Bruxellois a été gâté jusqu’à présent. A l’avenir, il faudra peut-être vivre dans des surfaces moindres et les jeunes qui ont grandi à Woluwe-Saint-Lambert devront peut-être s’installer à Ganshoren. Cela ne me semble pas inhumain « , commente-t-il. Eric Verlinden souscrit lui aussi à la nécessité de logements accessibles aux revenus plus faibles, mais demande  » une logique politique : déterminer des endroits pour réaliser du foncier à des conditions favorables, donner davantage de moyens à la SDRB et développer les partenariats public-privé « .

Répondre aux attentes

Administrateur délégué d’Immobilierneuf.be, le courtier Gilbert Aelbrecht aborde la question de l’offre de résidentiel neuf par le biais des souhaits des acquéreurs.  » Il y a un paradoxe : la demande de résidentiel neuf est là mais on ne la satisfait pas « , constate-t-il. La crise est passée par là. Les banques hésitent à prêter de l’argent, les acquéreurs veulent être pleinement rassurés sur leur achat. Finie l’euphorie d’avant octobre 2008.  » Nous devons adapter les projets à la demande des acheteurs, explique-t-il. La tendance prédominante, actuelle, c’est : un logement évolutif, adaptable selon les besoins changeants des habitants, le souhait d’un environnement d’habitation social et culturel familier, le souci de la sécurité et l’envie de se retrouver dans un quartier agréable, avec tout ce que cela suppose de commerces de proximité, de facilités…  » Le courtier observe dans sa clientèle  » un retour vers les bons quartiers « , en dehors du centre. Plus explicite, un promoteur dénonce  » l’image négative de certaines communes « .  » Dans toutes les autres villes, c’est le centre historique qui est le plus prisé. Mais pas à Bruxelles !  » s’étonne Gilbert Aelbrecht. La convivialité et la sécurité souvent en dessous des attentes des acheteurs potentiels en sont une des causes. Et de regretter le  » retard  » de Bruxelles et de certains quartiers en particulier en matière de développement urbain et résidentiel. Pour les questions d’urbanisme,  » il faudrait faciliter l’obtention de permis « , selon Serge Fraeijs de Veubeke. Le patron d’Immobilierneuf.be, lui, demande  » un interlocuteur unique. Cela permettrait plus de cohérence dans la politique de logement. Il faut accepter que la Région prenne les décisions « .

Pas touche à l’urbanisme

Christian Ceux, l’échevin de l’Urbanisme de Bruxelles, défend sa politique. Pour lui, tout est fait pour relancer le logement  » moyen  » : exploitation des terrains à bâtir, logements imposés aux promoteurs de projets immobiliers, rénovations…  » Nous voulons faire revivre le Pentagone en y fixant des habitants, en travaillant la mobilité. C’est un labeur de longue haleine. Mais, avec la crise, sur certains projets, des promoteurs se sont désengagés « , regrette Christian Ceux. Il évoque les différents projets en cours d’élaboration et l’objectif de la majorité communale PS-CDH de réaliser 1 000 logements publics chaque année.  » Nous visons un logement de qualité, accessible. C’est vital pour la ville de repeupler le centre, de préférence par des familles « , estime-t-il. L’échevin se félicite d’avoir réduit considérablement le temps d’attente de permis de bâtir mais se dit impuissant en matière d’incitants fiscaux : compétence régionale. Au chapitre de l’urbanisme, il reste inflexible. Aucune envie de partager, moins encore d’abandonner, cette compétence à la Région.  » Pour des raisons de proximité : les besoins ne sont pas les mêmes à Haren ou à Bruxelles-Ville, argumente-t-il. Nous devons travailler ensemble, Ville, Région, promoteurs. C’est pourquoi j’organise les réunions dans mon bureau pour que tout le monde entende la même chose. Cela fonctionne très bien.  » Il est vrai que la proximité des partis politiques impliqués, tant à la Ville qu’à la Région,  » facilite l’entente « .

Il reste donc de nombreuses divergences entre les pouvoirs publics et les professionnels de la construction sur la politique à mener pour développer la construction de logements neufs à Bruxelles.  » De toute façon, les questions portant sur les compétences des différents niveaux de pouvoir ne seront pas réglées tant qu’il n’y aura pas d’accord de gouvernement et donc de clarté sur une réforme de l’Etat « , dit un promoteur. Et pour corser le constat, un autre acteur de la construction a remarqué que  » les problèmes politiques belges commencent à avoir une influence sur les acquéreurs. Ils ne savent pas ce que sera l’avenir de Bruxelles et, dans l’incertitude, ils n’investissent pas « .

GERALD DE HEMPTINNE

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