Requiem pour un fonds bidon

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Inutile de compter sur le Fonds de vieillissement pour assurer les vieux jours des Belges. Avec moins de 20 milliards d’euros en caisse, cette poire pour la soif n’atteindra jamais les 115 milliards prévus d’ici à 2030. La cagnotte fait envie à Di Rupo Ier. Qui cherche à libérer cet argent bloqué pour les pensions. Discrètement. Pour ne pas alarmer inutilement.

Il a été le grand absent des discussions. Il n’était d’ailleurs pas invité au débat. L’avenir des pensions est sur toutes les lèvres, la réforme des retraites a échauffé les esprits et jeté des gens dans la rue. Mais lui, il est passé entre les gouttes. Invisible, inodore, insipide.

Une note positive aurait pourtant fait tellement de bien, dans la sinistrose autour de la révolution grise. Mais aucun parti politique n’a songé ou n’a osé exhiber le Fonds de vieillissement, pour calmer un peu la crainte du lendemain. Socialistes et libéraux, au gouvernement, se sont gardés de rappeler l’existence de cette cagnotte qu’ils avaient fièrement ouverte, il y a tout juste dix ans.

17,6 milliards d’euros en caisse fin 2010 : pas de quoi se vanter. Le viatique ne pèserait pas lourd dans la balance. A peine de quoi payer six mois de pension des différents régimes légaux. L’activation des réserves engrangées devrait garantir, d’ici à 2023, 22,7 milliards d’euros. On reste loin, très loin, de l’ambition initiale, que rappelait Didier Reynders (MR), quand il était encore aux Finances :  » Engranger, entre 2002 et 2030, des moyens pour un montant d’environ 115 milliards d’euros. « 

2010 aurait pu sonner la libération d’une première tranche de fonds. Loupé. 2020 semble  » une année plus réaliste « , aux yeux de Reynders. Etant entendu que cet argent mis de côté ne peut être utilisé que sous de strictes conditions : pour financer les pensions, et pour peu que la dette publique repasse en Belgique la barre des 60 % du PIB. Aux calendes grecques ?

Le pari lancé en 2001 par le gouvernement arc-en-ciel (socialiste-libéral-écologiste) de Guy Verhofstadt (Open VLD) était donc fou. Récidiver de sitôt est illusoire. Steven Vanackere (CD&V), nouveau titulaire aux Finances au sein de l’équipe Di Rupo Ier (PS-CD&V-MR-Open VLD-SP.A-CDH) enlève tout espoir :  » Il est clair que le Fonds de vieillissement n’obtiendra pas de moyens supplémentaires dans les années à venir.  » Certainement pas avant 2015, échéance programmée pour un retour à l’équilibre budgétaire.

Alimenter la cagnotte tant que les temps sont durs pour les finances publiques serait même absurde. Guy Vanhengel (Open VLD), quand il était chargé du Budget, l’affirmait :  » Dans ces circonstances budgétaires, le Fonds est une charge.  » Pis : un outil qui coûte 260 000 euros par an en frais de fonctionnement.

C’est assez pour que ceux et celles qui enverraient bien le Fonds par le fond, redressent la tête. Chef de groupe CDH à la Chambre, Catherine Fonck plaide ouvertement sa suppression :  » Il ne s’agit tout de même que d’un fonds virtuel sans moyens, qui vient en décompte de la dette.  » Moins affirmatif, son alter ego à la tête du groupe MR, Daniel Bacquelaine, s’interroge aussi sur le sens de tout cela.  » Réformer les régimes de pension me paraît bien plus fondamental. « 

Passé de mode, exclu des priorités politiques du jour : le Fonds argenté ne fait plus rêver. Rares sont ceux qui pleureraient à chaudes larmes sa disparition. Jusqu’au sein même du gouvernement, il ne compte pas que des amis. Secrétaire d’Etat à la Modernisation de la fonction publique, Hendrik Bogaert (CD&V) est depuis toujours un de ses plus farouches détracteurs. Son jugement de député fédéral n’a pas varié :  » Ce fonds n’est pas une solution. On ne peut pas donner à la population l’impression que l’on va constituer une cagnotte pour faire face aux coûts du vieillissement alors qu’en réalité on n’a pas d’argent à y consacrer en raison du déficit budgétaire. Ce fonds est une coquille vide, une forme de démagogie. Son importance est d’ordre purement psychologique. « 

De retour au gouvernement, Johan Vande Lanotte semble bien seul à vouloir encore croire dans l’enfant qu’il avait imaginé il y a dix ans :  » Ce n’est pas l’instrument qui est en cause, mais la possibilité de l’alimenter. Revoir son utilisation n’aidera pas « , confie le vice-Premier SP.A au Vif/L’Express.

Bas les masques. Il revenait à Michel Daerden (PS), quand il était aux Pensions, de poser la question politiquement incorrecte, dans son Livre vert sur l’avenir des retraites.  » Si l’on souhaite vraiment que le Fonds de vieillissement joue son rôle en matière de pensions, ne faut-il pas revoir ses modalités de financement, de fonctionnement, d’intervention ? La question de son rôle et de son alimentation est clairement posée. « 

Liquidation totale ? Politiquement très délicat. Psychologiquement risqué. La seule idée de pouvoir puiser plus souplement dans la caisse raidissait Didier Reynders (MR) :  » L’assouplissement donnerait un mauvais signal en faisant croire que notre pays reporte indéfiniment l’application de la discipline budgétaire nécessaire. Ce n’est pas, à mon avis, le signal que les marchés attendent.  » Ni la population, déjà alarmée par le futur de ses pensions.

Voilà donc le monde politique piégé par ses engagements non tenus. Mais diablement tenté par cette cagnotte encore inutilisable pour longtemps.

Mieux vaut que le Fonds argenté se fasse oublier. Et se trouve une nouvelle existence. Di Rupo Ier va travailler à sa reconversion. Il imagine de le marier avec le Fonds d’avenir pour les soins de santé, lui aussi au service des seniors. La dot apportée ne serait pas mirobolante : 1,262 milliard d’euros. Mais la promise a d’autres charmes : elle est plus malléable, son argent plus facile à l’emploi. Alors secrétaire d’Etat au Budget, Melchior Wathelet (CDH), avait vendu la mèche lors d’une discussion à la Chambre :  » Les montants versés au Fonds pour l’avenir des soins de santé sont partiellement utilisés pour couvrir le déficit budgétaire.  » Nous y voilà.

Mais il y a un hic. Le couple serait mal assorti aux yeux de la loi. Le mélange des genres est formellement interdit :  » Le Fonds de vieillissement n’est pas autorisé à intervenir dans les coûts augmentés des soins de santé. C’est l’affaire du Fonds d’avenir pour les soins de santé. « 

On comprend mieux pourquoi le projet de faire part glissé dans l’accord de gouvernement est d’une rare discrétion :  » L’opportunité d’une fusion éventuelle entre les deux Fonds sera examinée.  » Point barre. On ne communique pas sur le sujet. Les parlementaires intrigués se cassent les dents.

L’union envisagée n’est pas encore cousue de fil blanc. Mais une man£uvre se dessine : ôter la ceinture de chasteté qui enserre le Fonds argenté pour pouvoir consommer plus souplement ses réserves, et les employer à d’autres fins que les pensions au sens strict. Le tout est d’y mettre les formes, pour sauver la face.  » Plus personne ne croit au Fonds de vieillissement, tout le monde s’en moque. Or les besoins budgétaires sont criants. Pour peu qu’on habille cette fusion de nouveaux engagements quant à son utilisation, on pourrait puiser dans cette manne financière « , confie une source bien informée du dossier. Une façon de tourner la page d’une fausse bonne idée.

PIERRE HAVAUX

Le Fonds argenté ne fait plus rêver

Liquidation totale ? Politiquement très délicat. Psycho-logiquement risqué

17,6 milliards en caisse fin 2010 : à peine de quoi payer six mois de pension des régimes légauxLe Fonds de vieillissement a installé un faux confort et freiné l’ardeur à réformer les pensions

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