Reine Elisabeth

Aussi intouchable que la famille royale elle-même, le Concours musical international Reine Elisabeth est célébré, à l’occasion de son jubilé, par des expos, ouvrages et enregistrements. Une rétrospective multiple, majoritairement hagiographique

Les forts en histoire éprouveront un doute: 50 ans seulement? Le concours n’a-t-il pas débuté avant la Seconde Guerre mondiale? Le doute est fondé: c’est bien en 1937 qu’eut lieu la première session de l’épreuve qui allait devenir le célèbre Concours musical international Reine Elisabeth (Cmireb); il portait alors le nom de son inspirateur, le Belge Eugène Ysaye (1858-1931), star internationale, violoniste virtuose, chef d’orchestre, compositeur et pédagogue, ami personnel de la reine Elisabeth. A la mort du musicien, les bases d’un concours avaient été fixées: celui-ci eut, d’emblée, pour objectif de soutenir les jeunes talents, dans un mouvement ouvert, international et, déjà à l’époque, médiatisé.

La première session fut, tout naturellement, consacrée au violon, et révéla au public médusé la supériorité écrasante – musicale, technique, personnelle – des jeunes musiciens en provenance de cette URSS dont on n’avait d’autre idée que les débordements bolcheviques. En 1938, ce fut au tour du piano, avec le même palmarès géomusical. C’est ce qui décida la reine à fonder la Chapelle musicale d’Argenteuil.

Sur le modèle soviétique

En effet, dans la foulée du succès soviétique, la déroute des candidats belges avait suscité une sévère interrogation: pourquoi, alors qu’ils bénéficiaient d’une formation comparable à celle des candidats russes, les jeunes Belges étaient-ils aussi totalement absents du palmarès? Difficile de monter au créneau du côté des conservatoires – c’est tout le système d’enseignement artistique qui eût été mis en cause, et, cinquante ans plus tard, on n’est d’ailleurs pas vraiment sorti de l’auberge… Mieux valait donc se tourner vers des modèles alternatifs et – pourquoi pas? – celui proposé par ces Russes prodigieux.

C’est en observant les conditions d’encadrement qui leur étaient assurées que la reine imagina le modèle « Chapelle »: une prise en charge totale de jeunes musiciens particulièrement doués, à l’abri des soucis matériels, dans un cadre à la hauteur des objectifs poursuivis, en étroite relation avec les meilleurs pédagogues en matières instrumentale, musicale, artistique et culturelle au sens large.

La Fondation musicale Reine Elisabeth reçut un terrain de 3 hectares à Argenteuil. Yvan Renchon, un architecte liégeois de 32 ans, dessina les plans du bâtiment aujourd’hui entré dans les mémoires, et une équipe de professionnels fut constituée autour du projet inauguré le 11 juillet 1939.

La tourmente qui suivra sera non seulement due à la guerre, mais aussi aux écarts graves commis par Charles Houdret, secrétaire général de cette royale fondation, qui avait donc été aux mains d’un escroc. Il fallut attendre 1955 pour voir la résurrection de la Chapelle.

Depuis lors, de trois ans en trois ans, sur le modèle de la Chapelle de Médicis pour les arts plastiques, celle d’Argenteuil accueille un petit groupe de jeunes musiciens dans les disciplines du piano, du violon (violoncelle et alto) et de la composition. Si tous ne sont pas devenus des Oïstrakh ou Ashkenazy, certains ont bien été le ferment de la Belgique musicale, et au-delà. Pour en savoir plus, il faut lire l’excellent ouvrage de Michel Stockhem (1): c’est une partie significative de la Belgique musicale profonde qui s’y trouve consignée.

Rebaptisé en 1951

Quant au concours lui-même, rebaptisé « Reine Elisabeth » pour les besoins de la cause – dont on peut penser qu’elle était aussi diplomatique, internationale et que, sur le plan national, elle tombait à point nommé après la crise royale -, il connut sa première session en 1951, il y a juste cinquante ans. Conçu sur le modèle du concours Ysaye, il apportait deux nouveautés: le redoutable concerto inédit – souvent appelé « imposé », et pour cause! – et la « mise en loge » dans cette Chapelle musicale, devenue cage dorée.

Peu de choses ont changé depuis, sauf la place des grands concours dans la vie musicale internationale: ils étaient 7 en 1937 à faire partie de la prestigieuse Fédération mondiale des concours internationaux de musique, ils sont près de 100 aujourd’hui, dont 79 établis en Europe, 5 en Asie et en Australie, 10 en Amérique du Nord et du Sud, et 2 en Afrique et au Proche-Orient. Chiffres sans aucun rapport, d’ailleurs, avec l’origine des candidats. Autre changement: l’extraordinaire médiatisation de la musique classique, ou plutôt « des » musiques classiques, qui révèle combien le répertoire abordé dans le cadre de ce concours – voué aux deux grands instruments de la musique romantique – est restreint. Enfin, l’arrivée du chant, en 1988, parmi les disciplines abordées, a suscité, après des réactions d’abord frileuses, suscita un engouement frénétique, offrant aux aficionados du Cmireb de nouveaux plaisirs musicaux et réduisant, pour tous, le temps des épreuves.

Le meilleur moyen d’entrer dans cette histoire typiquement belge – locale et mondiale à la fois, à la manière de Tintin – est de s’imprégner du DVD (également paru sous la forme de cassette VHS) produit par le concours à l’occasion de son jubilé (2). Une heure quarante de témoignages tour à tour sublimes, saugrenus ou désopilants, émouvants pour la plupart, globalement intéressants et parfois très inattendus (comptez sur Michel Stockhem, encore lui!, pour distiller simultanément le respect et la subversion). Ainsi, l’opinion d’Arthur Grumiaux sur ce concours dont il fut éliminé comme concurrent mais courtisé comme membre du jury; la détermination de la reine Elisabeth à se rendre en Pologne, puis à Moscou, en pleine guerre froide, pour mieux comprendre la vitalité de l’enseignement musical de là-bas; la frénésie renouvelée, d’année en année, d’un public toujours prêt à flamber le soir des proclamations, alors qu’on sait dans quel oubli mortel certains lauréats sont ensuite tombés; la trace du génie chez des candidats tout jeunes qu’on eut ensuite la chance de voir grandir (Philippe Hirshhorn, Vladimir Ashkenazy, François-René Duchâble), et les limites déjà apparentes, confirmées par le temps, chez d’autres.

Moment bouleversant entre tous: la proclamation du Français Pierre-Alain Volondat. Stupeur de voir le finaliste se lever avant que son nom soit cité (c’est filmé), franchir la porte de la salle dans un état second, saluer le public en levant lentement les bras vers le ciel et affirmer calmement aux micros sa certitude de gagner, que « c’était une question de foi ». A la façon d’un bouffon surnaturel, Volondat exprime non seulement ce qui fait courir les candidats de tous les concours du monde, mais aussi ce qui constitue l’essence de la démarche artistique…

Une autre façon d’entrer dans l’album des souvenirs est d’écouter les douze CD contenus dans le coffret consacré au Concours (3) et comprenant – selon une sélection subjective – les témoignages les plus représentatifs des cinquante (premières) années de la compétition. Pour les auditeurs pressés, un best of de trois CD est également disponible. Le tout à prix doux.

Trois expositions

La première, installée au musée Bellevue (4) de mai à septembre, est consacrée non seulement au concours mais à la reine Elisabeth elle-même. Elle présente le point de vue d’Euroculture Production, brillants concepteurs de l’exposition Je n’aime pas la culture, dont on appréciera la façon élargie, historique et humaniste avec laquelle ils ont abordé le sujet.

Une seconde exposition prendra place au Conservatoire de Bruxelles (5), les 19 et 20 mai. Sur le thème Les Violons d’Ysaye, cette manifestation sera entièrement organisée autour de la personnalité du virtuose, de sa vie, ses instruments, ses oeuvres, en collaboration étroite avec la Fondation Carlo Vanneste.

De son côté, le Musée des instruments de musique (MIM) proposera, de juin à septembre, une série d’animations, activités et découvertes centrées sur le violon, toujours lui, anniversaire oblige (6).

Notons que, durant la semaine des finales, le MIM présentera chaque jour, à 13 h 30, un film documentaire sur le 50e anniversaire du concours, suivi d’une visite guidée (à 15 heures), axée sur l’histoire de l’instrument.

Un livre de référence

Enfin, parmi les ouvrages indispensables à la compréhension de cette aventure élisabéthaine, figure désormais Le Rêve d’Elisabeth, par Thierry Bouckaert (7). Réalisé du point de vue subjectif d’un mélomane passionné, ce rêve royal rejoint parfaitement celui de l’auteur, ex-journaliste, qui a procédé « par touches et témoignages, avec l’espoir de voir se dessiner l’irrépressible émotion qui, de session en session, se dégage de l’événement ». Un événement que Thierry Bouckaert révère, chaque page en atteste… Outre le découpage par chapitres clairement présentés, la publication de toutes les données relatives aux sessions successives permet au lecteur de retrouver sur-le-champ qui était encore le Chinois (le Russe, la Japonaise…) qui a gagné telle ou telle année, de qui était le concerto imposé ou quand a démarré le concours de chant. Enfin, les documents photo, mêlant drôlerie et nostalgie, offrent un plongeon saisissant dans un passé proche, entre souvenirs de famille et histoire, avec encore un petit h.

(1): Chapelle musicale, par Michel Stockhem. Duculot, 135 p.

(2): DVD et VHS Le Concours d’une reine (Cypres).

(3): CD 1951-2001 et Moments choisis (Cypres. Infos: www.cyprès-records.com).

(4): Musée Bellevue, entrée Place des Palais. Tél.: 02-513 88 77).

(5): Conservatoire de Bruxelles, 30, Rue de la Régence.

(6): Mim, Place Royale. Infos: 02-512 28 21 et O2-513 00 99; www.mim.fgov.be

(7): Le Rêve d’Elisabeth, par Thierry Bouckaert. Complexe, 257 p.

Le finale du Cmireb aura lieu du 21 au 26 mai au palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Infos complètes sur le concours sur le site www.concours-reine-elisabeth.be; réservations au 02-507 82 00.

Le concours est intégralement retransmis en radio sur Musique 3. En télévision, chaque jour sur Télé 2 à partir de 20 h 15.

Martine Dumont-Mergeay

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