Rebelles à la pensée dominante

C’est dans de modestes salles de séminaires qu’ils trouvent refuge et bonheur. Là où, à l’intention d’auditoires plus confidentiels, ils s’évertuent à enseigner les théories des écoles dites hétérodoxes, parce qu’elles font tache dans la pensée économique ambiante. Jusqu’il y a peu, l’intitulé de leurs cours sonnait presque comme une insulte : finalité de la croissance, analyse critique du capitalisme…. Des économistes sont entrés en dissidence, à force de ramer à contre-courant de la lame de fond dite  » néoclassique « . Cette tendance lourde qui ne jure que par la mathématisation de l’économie.  » Il y a quelque part, non pas une pensée unique, mais une méthodologie unique « , relève le professeur Jean-Luc De Meulemeester (ULB). Mais elle a fait des ravages sur le plan idéologique, en faisant des victimes parmi les courants de pensée alternatifs : les marxistes, mais aussi les ultra-libéraux de l’école autrichienne emmenée par Hayek ou les post-keynésiens. Et cela laisse des traces au sein des corps professoraux.

Les enseignants marxistes en ont payé le prix fort. Lorsqu’il prend sa retraite en 2000, le professeur de l’UCL, Jacques Gouverneur, ne laisse rien derrière lui : son cours d’analyse marxiste de l’économie capitaliste passe à la trappe après 28 ans d’existence. Faute de relève parmi le corps enseignant. Mais aussi par manque d’intérêt des étudiants :  » Lors de sa création, en 1972, ils étaient une centaine à suivre mon cours. Leur nombre a décliné à mesure de l’importance prise par les idées libérales « , se souvient le professeur émérite, marxiste convaincu. Le départ à la pension des enseignants nommés à la fin des années 1960 dépeuple le courant des adeptes de Marx. Lorsque l’ULB doit se passer des services de l’économiste politique internationalement reconnu, Jacques Nagels, elle se sépare aussi d’un ancien parlementaire communiste. La débâcle de l’idéologie communiste fait son £uvre. Les règles du jeu propres au monde académique font le reste.  » Elles n’incitent guère à trop sortir des sentiers battus. Les approches qui ne s’inscrivent pas dans l’axe sont éliminées « , confie un économiste. Mieux vaut, pour faire carrière,  » suivre les canons méthodologiques de la discipline « . Sous peine d’encourir de ses pairs un ostracisme larvé.  » Il devient difficile de publier dans les revues les plus prestigieuses, généralement anglo-saxonnes « . Etre nommé professeur, survivre aux évaluations de la recherche, devient aléatoire.  » Les plus brillants, mais aussi les plus contestataires, n’y résistent pas toujours « , poursuit ce professeur qui préfère garder l’anonymat.

P. Hx

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