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Climat : jeunes, ONG, activistes… Qui fait quoi, qui aide qui, qui finance quoi ?

Marches du dimanche, grèves scolaires du jeudi, actions ciblées, organisations archiconnues, nouveaux mouvements… En Belgique, la galaxie climatique s’étend tant et plus. Revue des troupes.

Rise for Climate Belgium

– Faits d’armes : marches citoyennes, dont celles du 27 janvier dernier et du 31 mars

– Noyau dur : une dizaine de citoyens

– Revendications : plan d’investissement européen pour la transition énergétique (1 000 milliards/an), création d’une banque de développement durable, sortie des énergies fossiles…

Un verre, place Flagey. Kim Lê Quang et Gaëtano Boutcher ne se connaissent pas bien mais, cet après-midi d’avril-là, tous deux voient vert. L’environnement, le climat, tout ça, ils s’insurgent. Imaginent une mobilisation durable, citoyenne, puisque le politique ne fait rien. Pas vraiment leur domaine de prédilection. Le premier : un professeur d’échecs qui a bien un passé militant (Les Indignés, Nuit debout…), mais pas d’écolo. Le second : chanteur (Getch Gaëtano, de son pseudo) et papa, obsédé par l’idée de léguer à son enfant ce  » monde-là « .  » Les ONG se battent depuis des décennies, sans résultat. Alors on s’est dit qu’un rassemblement de personnes lambda pourrait faire changer les choses.  »

Kim Lê Quang.
Kim Lê Quang.© RTBF

Le succès du premier, organisé le 8 septembre 2018, reste timide. Un millier de sympathisants, des amis ou des fans essentiellement. Pas grave, leur modèle est islandais : la révolution des casseroles qui avait mobilisé des citoyens durant des semaines après la crise économique de 2008, finissant par faire tomber le Premier ministre. Alors ils continuent. Le 6 octobre et le 3 novembre derniers. Ils invitent même Greta Thunberg, mais la jeune Suédoise n’est pas encore une écostar. Les ONG environnementales soutiennent, sans plus, se réservant pour leur marche du 2 décembre, qui attirera entre 75 000 et 100 000 manifestants. Dont Gaëtano Boutcher et Kim Lê Quang. Battre le vert tant qu’il est chaud : un événement Facebook est lancé pour le 27 janvier 2019. Les organisateurs du 2 décembre se distancient poliment, de peur que cette réplique fasse pâle figure. Elle rassemblera 70 000 personnes. Même les deux initiateurs n’y croyaient pas.

Ils ont été rejoints par une petite dizaine de proches ou d’inconnus ( » sans couleur politique « ). Certains se chargent du lobbying politique (ils ont été reçus par le cabinet de Donald Tusk, le président du Conseil européen), d’autres de la presse, des relations avec d’autres groupes à l’étranger… Prochaine manifestation : le 31 mars. Organisée, comme les autres, avec des bouts de ficelle financiers. Un peu de leur poche, un peu de soutien d’ONG, Greenpeace en tête.  » On n’a pas l’impression d’être entendus. Mais que peut-on faire d’autre ? Quand on quittera cette planète, on aura au moins essayé.  »

Gaëtano Boutcher.
Gaëtano Boutcher.© DR

Jeunes pour le climat/Youth for Climate

– Faits d’armes : grèves scolaires des jeudis depuis janvier, grève mondiale du 15 mars

– Noyau dur : une petite dizaine de jeunes (surtout flamands) autour d’Anuna De Wever et Kyra Gantois

– Revendications : que les politiques écoutent les scientifiques et prennent les mesures climatiques ambitieuses

Elles regardaient la télé, pendant les vacances de Noël dernier. Un reportage sur Greta Thunberg, Suédoise de 16 ans qui, chaque vendredi depuis septembre, faisait la grève scolaire pour le climat. Le déclic. Anuna De Wever et Kyra Gantois postent une vidéo sur Facebook, et ça suffit à faire brosser entre 1 000 et 3 000 jeunes Flamands, le 10 janvier. Les médias s’en mêlent, les réseaux sociaux propagent et, le jeudi suivant, ils sont 12 500.

Adélaïde Charlier a envie d’en être. La Namuroise a vécu cinq ans au Viêtnam et y a vu le Mékong qui débordait. Et puis, sa famille  » a toujours réfléchi à comment agir à notre échelle « , son papa est membre d’Ecolo. Alors, elle contacte Anuna De Wever (elles ont une amie commune) et le mouvement s’étend comme ça, au sud du pays. La semaine suivante, ils sont 35 000 à Bruxelles. Aujourd’hui, ils enchaînent leur 11e semaine de grève.

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Les Youth for Climate ont engendré des comités locaux dans chaque grande ville. Une toile reliée par des groupes Messenger,  » mais, pour les grandes décisions, on se réunit « , explique Augustin Crespin (Liège). Pas d’adultes,  » juste nous « , précisent-ils, lassés d’entendre qu’ils seraient manipulés. Alors ils n’affichent plus aucun soutien même si, dans les faits, ils peuvent compter sur différents coups de main logistiques (pour le financier, ils se débrouillent via du crowdfunding… ou la poche de leurs parents). De Greenpeace, de la Coalition Climat, puis de tous les for climate nés dans leur sillage. Teachers, Workers, Schools…

Mais aussi les students, les étudiants du supérieur.  » On était en train d’étudier pour les examens de janvier, avec mon frère, et on s’est dit qu’on devait soutenir le secondaire « , se souvient Bakou Mertens, étudiant à la VUB et ancien de l’asbl Climate Express. Là encore, un appel sur les réseaux sociaux aura suffi à faire naître des mouvements dans chaque ville. Regroupant  » parfois une centaine de personnes, comme à Liège, parfois entre vingt et quarante. Des représentants se réunissent une fois par semaine, à Bruxelles.  » Pour discuter des grèves à venir, d’autres actions à imaginer, des moyens de ne pas s’essouffler. Car ils savent qu’on les observe, qu’on les critique. Certains reçoivent des pluies d’insultes sur les réseaux sociaux, parfois des coups de fil d’intimidation.

Mandat climatique

Anuna De Wever.
Anuna De Wever.© W. MAECKELBERGHE/ID PHOTO

– Faits d’armes : campagne Sign for my Future

– Noyau dur : Guy Weyns et Koen Verwee

– Revendications : une loi climat ambitieuse, un plan d’investissement socialement juste ; la création d’un comité d’experts indépendant évaluant les actions politiques

 » Koen, on va faire une campagne !  » Tchin ! (bruit des verres de vin qui s’entrechoquent). Sign for my Future ainsi né, dans un restaurant à Affligem, en septembre 2016. Grâce à la femme de Guy Weyns (directeur marketing et mobilité chez De Lijn), très écoconcernée. Grâce aux enfants de Koen Verwee (à l’époque CEO de De Persgroep), végétariens, allergiques aux voitures, qui lui avaient lancé :  » Et toi, papa, tu fais quoi ?  » Alors les deux amis l’ont lancée, cette campagne.

Ça leur a pris deux ans, pour convaincre tout ce que leurs carnets d’adresses comportaient de patrons et d’associations de défense de l’environnement :  » 90 % nous ont dit oui.  » Oui pour signer cette pétition  » donnant un mandat climatique aux politiques qui n’osent pas agir car ils réfléchissent à court terme.  » Oui aussi, pour certains, pour soutenir financièrement la démarche. Les membres de l’asbl Mandat climatique fondée par Koen Verwee, Guy Weyns et douze autres personnes, ne sont pas rémunérés. Mais ils emploient entre cinq et dix personnes, rétribuées grâce à la générosité d’individus ou d’entreprises. Anonymes : pas de publicité en contrepartie. Les deux initiateurs ont convaincu les médias de leur céder gratos de l’espace publicitaire. Valeur estimée : cinq millions d’euros.

Environ 300 ambassadeurs sont mobilisés et 193 000 signatures ont déjà été obtenues.  » Plus on en a, plus on sera fort. C’est déjà plus du double des gens dans la rue !  » se réjouit Marion De Backer, social media manager. Lorsqu’ils ont présenté la campagne, le 5 février dernier, Koen Verwee et Guy Weyns ne s’attendaient pas à tomber pile au milieu d’une vaste mobilisation climatique. D’autres acteurs émergents les ont hostilement accueillis, soupçonnant les patrons de s’offrir une séance de greenwashing. Les entreprises ne sont-elles pas coresponsables du merdier écologique de la planète ?

 » Il reste encore de gigantesques efforts à faire, répond Koen Verwee. Mais cette campagne peut encourager les sociétés à réaliser cette transition. Et donner la possibilité aux travailleurs d’interpeller leurs dirigeants :  » Vous nous demandez de signer, OK, mais vous faites quoi ?  »  » Sign for my Future se clôturera avant les élections, mais veillera jusqu’à ce qu’un accord de gouvernement climatiquement ambitieux soit scellé.

Mouvements de désobéissance civile (Act for Climate Justice, Extinction Rebellion)

Kyra Gantois.
Kyra Gantois.© W. MAECKELBERGHE/ID PHOTO

– Faits d’armes : occupation de la cour du Parlement fédéral, blocage de la rue de la Loi, de BNP Paribas Fortis, de Total, campagne d’envoi de sms aux ministres du climat…

– Noyau dur : indéterminé

– Revendications : des mesures climatiques fortes mais socialement justes

Joke Schauvliege avait menti. Non, la Sûreté de l’Etat ne lui avait jamais dit que les manifestations climatiques étaient mises en scène. Début février, l’ex-ministre flamande de l’Environnement (CD&V) avait pété les plombs. A cause des 6 000 sms reçus en quelques jours, fustigeait-elle. Act for Climate Justice ne s’attendait pas à faire démissionner une élue. Mais à emmerder les politiques, ça, oui. Via Wake up your Ministers (plus de 20 000 messages envoyés aux quatre ministres de l’Environnement) ou tout autre action de désobéissance civile.

Puisque défiler dans les rues et signer des pétitions ne suffit pas, ces activistes veulent  » perturber l’ordre établi « . A visage découvert, sans violence, mais en  » ne respectant pas certaines lois, pour montrer que les problèmes contre lesquels on s’insurge sont plus importants que ces lois « , développe Johan Verhoeven, membre d’Act for Climate Justice. Ce groupement, fondé en novembre 2018, a été rejoint par un autre, Extinction Rebellion, inspiré d’un mouvement britannique qui s’est fait connaître en paralysant les ponts de Londres.

Entre les deux, très peu de divergences de vue. Ensemble, ils organisent la plupart de leurs coups, dispensent des formations à la désobéissance. Que faire en cas d’arrestation, comment apaiser une discussion tendue, comment bloquer un endroit… Chacune est sold out. Leurs rangs ne font que grossir. Des militants, mais surtout des citoyens lassés de manifester dans le vide. Financièrement, ils se débrouillent comme ils peuvent.  » Beaucoup de bricolage et de bonnes volontés.  » Les élections, préviennent-ils, ne seront qu’une échéance parmi d’autres.  » Toutes les grandes victoires sociales ont historiquement eu lieu grâce à la désobéissance civile !  »

Koen Verwee et Guy Weyns.
Koen Verwee et Guy Weyns.© KATRIJN VAN GIEL/ID PHOTO AGENCY

Climate Express

– Faits d’armes : mobilisations avant les sommets climatiques, co-organisation de la marche du 2 décembre 2018

– Noyau dur : un conseil d’administration de cinq membres (flamands)

– Revendications : une société centrée sur l’humain et l’environnement, un plan climatique ambitieux mais socialement juste, la fin des énergies fossiles, une solidarité internationale, une Belgique écologiquement à la pointe

Le premier embarquement eut lieu en 2013. Train  » Climate Express  » pour Varsovie et sa conférence internationale pour le climat. Parmi les 800 passagers belges, la Gantoise Natalie Eggermont, médecin urgentiste en formation. Ecoconvaincue depuis la lecture d’un rapport scientifique affirmant que le changement climatique était la plus grave menace sanitaire du xxie siècle. Alors, avec quelques amis de l’université de Gand, elle fonde une asbl et réitère cette mobilisation annuelle : avant chaque  » Cop  » – la convention qui réunit les Etats signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques -, envoyer une délégation (en train, à vélo ou même en kayak) réclamer que des mesures politiques fortes soient prises. En 2015, près de 7 000 personnes avaient acheté leur billet pour aller manifester à la Cop 21 de Paris… avant que les attentats annulent l’événement. Un rassemblement eut finalement lieu à Ostende (entre 10 000 et 14 000 participants) et l’argent des tickets inutilisés – quand il n’avait pas été remboursé – servit en grande partie à… la marche du 2 décembre dernier, que Climate Express a co-organisée avec la Coalition Climat.

Après avoir écrit un livre, présenté une émission télé en Flandre et s’être portée candidate aux élections communales à Courtrai sur la liste du PVDA (PTB), Natalie Eggermont a passé la main. L’équipe de bénévoles est exclusivement flamande mais l’asbl se définit comme nationale.

Un sitting d'Act for Climate Justice organisé devant le siège du centre d'investissements de BNP Paribas Fortis à Bruxelles.
Un sitting d’Act for Climate Justice organisé devant le siège du centre d’investissements de BNP Paribas Fortis à Bruxelles.© THIERRY ROGE/BELGAIMAGE

Coalition Climat

– Faits d’armes : mobilisations citoyennes, dont la co-organisation de la marche du 2 décembre 2018, lobby politique

– Noyau dur : 61 organisations

– Revendications : loi spéciale sur le climat, diminution de 55 % des gaz à effet de serre d’ici à 2030 et décarbonation avant 2050, désinvestissement fossile, création d’un comité d’experts indépendants, taxe sur les billets d’avion/le kérosène…

Ils voulaient devenir aussi célèbres que la campagne Bob. Que leur nom vienne directement à l’esprit. Lutte contre le réchauffement climatique ? Coalition Climat ! En vice versa. Douze ans plus tard, leur logo reste méconnu mais leur ambition vient de se concrétiser. Tous ces citoyens dans la rue… Pile ce que l’asbl ambitionnait, lorsqu’elle fut créée en février 2007. Deux ans jour pour jour après l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre. Déjà, les politiques étaient accusés de ne pas en faire assez. Alors, le CNCD-11.11.11, Bond Beter Leefmilieu/Inter-Environnement, Greenpeace, WWF, la Ligue des familles et le Cnapd s’étaient associés et avaient rassemblé autour d’elles d’autres ONG, syndicats, mouvements de jeunesse…

L’une de ses premières manifestations, en 2008, n’avait ameuté que 700 à 800 personnes. Bon, il drachait. Les suivantes feront s’en déplacer 15 000, pour les plus réussies. Jusqu’à celle du 2 décembre dernier et ses 75 000 à 100 000 participants. Depuis, dans la nouvelle galaxie climatique, la Coalition Climat joue un rôle central. Elle discute avec tout le monde, coordonne les actions, file des coups de main… Parce qu’elle est la plus ancienne, la plus structurée, la plus stable financièrement, aussi. Chaque membre s’acquitte d’une cotisation proportionnelle à sa taille (de 20 à 1 250 euros par an, qui permettent de rémunérer l’unique employée) et des subsides sont glanés auprès du fédéral et des Régions bruxelloise et wallonne. En cas de gros événements, certains membres mettent davantage la main au portefeuille.

 » Depuis décembre, on suscite beaucoup d’espoirs, observe Nicolas Van Nuffel. Il faut garder tout le monde à bord, ce qui n’est pas simple.  » Les débats autour du soutien à Sign for my Future, par exemple, furent houleux.  » On jouait en troisième division, on était armés pour la deuxième, mais on se retrouve à jouer en tête de D1 !  » Les joies d’être devenu le Bob du climat !

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