Jamais la gauche française n’a eu autant de pouvoirs depuis le début de la Ve République : Elysée, Assemblée nationale, Sénat, collectivités territoriales… Pourtant une question continue de tarauder les esprits, celle du propre pouvoir de François Hollande, comme l’illustre l’ » affaire du tweet de Valérie Trierweiler « .
» C’est la nation tout entière qui est rassembléeà » Jeudi 14 juin. Dans la cour d’honneur des Invalides, à Paris, devant les cercueils recouverts du drapeau tricolore, François Hollande prononce l’éloge funèbre des quatre soldats français tués en Afghanistan la semaine précédente. Le discours est solennel, les accents gaulliens. » Ils sont morts pour des valeurs justes et hautes : la paix, la liberté, la démocratie, la souveraineté des peuples – les valeurs de la France. » Le président de la République, en ces instants où il incarne une patrie en deuil, touche au c£ur de la fonction, qu’il porte au-delà de lui-même pour permettre à tout un peuple de s’y identifier ; l’hommage du chef de l’Etat à ces hommes morts au combat est, sans doute, le moment le plus symbolique de l’exercice du pouvoir suprême. Un peu plus tard, une fois la cérémonie terminée, il prend le temps d’un entretien, privé cette fois, avec les familles des soldats. Nul ne l’a su, mais pour leur exprimer son soutien, il a demandé à sa compagne d’être présente : elle l’a rejoint discrètement. Valérie Trierweiler n’apparaîtra nulle part, sur aucune photo. Mais c’est bien un couple qui a murmuré des paroles de réconfort à des parents dans la peine, après les mots officiels prononcés, au nom du peuple français, par son premier représentant.
C’est un couple encore qui s’est affiché le 15 juin au soir chez Dominique Bouchet, un restaurant gastronomique du VIIIe arrondissement de Paris. Un couple toujours qui visite, l’après-midi du lendemain, la galerie 75 Faubourg, où a lieu une vente aux enchères des toiles de Florence Cassez, ressortissante française incarcérée au Mexique. Une façon, pour le président, de ne pas donner prise aux rumeurs sur sa vie personnelle qui bruissent depuis quelques jours – le 12 juin, Valérie Trierweiler a apporté son soutien à l’adversaire de Ségolène Royal, quelques minutes seulement après que la candidate a obtenu, et c’est la seule dans ce cas, l’appui de l’Elysée.
Tonnerre politique. Buzz médiatique. Zizanie familiale. Fin de la présidence normale. » Moi, présidentà » Lui, président, c’en serait fini de la confusion des genres entre rôle public et scène privée. Lui, président, chacun aurait sa place et saurait s’y tenir. Lui, président, le pouvoir serait politique, uniquement politique, complètement politique. » Nous élisons un président de la République, pas une famille « , disait déjà François Hollande, le 5 mai 2008 ; ce jour-là, le premier secrétaire du PS refusait de répondre à la presse, qui l’interrogeait sur la première dame, la nouvelle épouse de Nicolas Sarkozy. Un mois après son élection à la tête de l’Etat, il se trouve affaibli par sa propre compagne, atteint au plus fragile, contraint à des exercices de funambule sur la ligne jaune qu’il a lui-même tracée et qui sépare la vie publique de la chambre à coucher. Rattrapé par des tensions intimes jamais apaisées, tandis que se dénouent, au vu et au su de la France entière, les fils de deux histoires qui n’ont jamais réussi à n’en faire qu’une.
Le paradoxe est saisissant : François Hollande, l’un des acteurs de la scène politique française le plus réservé sur son intimité, le plus discret, le plus difficile à cerner, est aussi celui dont les Français connaissent les méandres intérieurs, les plus doux secrets. Pudique par nature, le voilà dévoilé, mis à nu par ricochet. Ses compagnes, ses enfants, ses amours, ses emmerdes – depuis presque trente ans, nous connaissons tout d’eux. Nous les avons vus entrer à l’Assemblée, nous avons regardé grandir ses deux fils et ses deux filles – en 1992, grâce à TF 1, des millions de téléspectateurs anonymes, ont même découvert sa cadette, Flora, au lendemain de sa naissance, alors que sa maman, Ségolène Royal, n’avait pas encore quitté la clinique. Pendant des années, le couple Royal-Hollande a alimenté la chronique, l’un ministre l’autre pas, l’une élue l’autre battu, l’une candidate l’autre déçuà Dans l’imaginaire des Français, leurs noms sont liés, destins parallèles ou ambitions croisées. Public et privé se confondent avec constance, à cause d’elle, malgré lui : en janvier 2007, candidate à l’élection présidentielle, Ségolène Royal évoque, devant des journalistes, un éventuel mariage, sitôt démenti par François Hollande ; en juin 2007, c’est encore par voix de presse qu’elle le congédie, révélant non seulement qu’elle lui a demandé de quitter le domicile conjugal, mais surtout qu’il vit de son côté une » histoire sentimentale » ; le mensonge privé qui a sous-tendu toute la campagne devient une affaire politique, une grille de lecture qui éclaire le passé et jette une ombre sur le futur ; la séparation, au soir du second tour des élections législatives de juin 2007, prend le pas sur les résultats dans les médias : » J’en ai assez que la vie de mon parti tourne autour de la vie d’un couple « , lâche Manuel Valls, excédé, sur un plateau télévisé.
La fin de l’aventure privée ne fait pas taire les commentaires, au contraire : elle amplifie la loupe posée sur leur rivalité publique. François Hollande a beau s’en tenir à une expression strictement politique, ce qui a été se lit à l’aune de ce qui sera. D’autant que perce, sous un rideau qui dévoile plus qu’il ne dissimule, une autre aspérité : la jalousie. L’homme était à la merci des déclarations d’une femme ; le voilà soumis aux aspirations contradictoires de deux compagnes, l’ancienne et la nouvelle, l’une dont il ne partage plus la vie mais avec laquelle il partage encore la politique, l’autre dont il partage la vie mais qui refuse la pérennité des liens anciens, fussent-ils strictement politiques. On s’y perdrait à moins.
» Valérie est la femme de ma vie « , déclarait-il à Gala
Chaque fois qu’il en a eu l’occasion, celui qui était alors n°1 du PS a pointé du doigt le » narcissisme » inhérent, selon lui, au système de l’ancien président : » Avec Nicolas Sarkozy, il n’y a plus de frontières, sauf celles qu’il installe lui-même et qu’il expose complai- samment à chacune de ses séquences de communication « , soulignait-il dans Le Parisien du 30 décembre 2007, à propos de la mise en scène des vacances en Egypte du couple Sarkozy-Bruni. » Ce qui n’est pas acceptable, insistait Hollande à cette occasion, c’est la confusion permanente des genres : entre vie privée et vie publique, intérêt particulier et intérêt général, financements privés et financements publics. » Mais lui, sort-il réellement du mélange des genres lorsqu’il déclare dans Gala, en octobre 2010 : » Valérie est la femme de ma vie » ? Il se justifie, lui qui ne s’était jamais exprimé, par la nécessité politique d’entériner la rupture avec Royal. Sans nier son intérêt privé : rassurer quelqu’un pour qui, avoue-t-il, il n’est pas facile d’exister dans l’ombre de » Ségolène « . Etait-ce assez ?
De fait, pour » rassurer » Valérie Trierweiler, Hollande, pendant toute la campagne, a détourné le regard des frontières entre ce qui était public et ce qui n’aurait pas dû l’être, laissant peu à peu s’ériger en problème politique une situation vouée à demeurer personnelle – les difficultés de la journaliste à composer avec Royal. L’éviction de l’ex-candidate du film diffusé lors du meeting du Bourget, en janvier 2012, en est le premier stigmate visible ; car quelques semaines plus tôt, au soir du premier tour de la primaire, la violence de la réaction de Valérie Trierweiler devant le rapprochement des deux » ex » imposé par les événements avait déjà stupéfié les non-initiés réunis autour de Hollande. » Un truc de fou, se souvient l’un des présents ; on était dans l’hystérie, personne n’a rien compris. » Toute l’organisation du meeting commun à Rennes, en avril, porte encore le poids de cette impossible cohabitation ; et le baiser sur la bouche que la première dame tente d’arracher au président, le soir du 6 mai, place de la Bastille, laisse augurer le pireà Mais qui pour le lui dire ? Face à une Ségolène Royal qui n’a jamais renoncé à être une partenaire, la question était posée à Valérie Trierweiler dès le mois d’octobre 2011 : » Comment ferez-vous avec elle ? » » Comment fera-t-elle avec moi ? » rétorquait immédiatement sa rivale.
» Prends-moi la main « , à l’approche des caméras
Pendant toute la campagne, Hollande a laissé sa compagne s’imposer. A la halle Freyssinet, à Paris, le 22 octobre 2011, elle assiste à l’investiture du candidat socialiste. Pour la première fois, elle qui a si souvent demandé aux reporters de ne pas la filmer pendant les meetings apparaît devant, au même rang que les responsables du PS. Et donne volontiers à l’orateur, descendu de l’estrade après son allocution, un baiser d’amoureux qui fait la joie des caméras. Plus tard, on se masse devant la loge de » François » : tout le monde veut saluer le héraut du parti. Mais, sur le seuil de la porte, Valérie Trierweiler indique au service d’ordre que certaines personnes ne peuvent pas entrer. Gardienne du temple autoproclamée. Jalouse de sa proximité. Jalouse tout court – » Enlève cette main « , glisse-t-elle, devant témoins, à un collaborateur, alors qu’une groupie vient de serrer Hollande à la taille, le temps d’une photo. Quand ce n’est pas elle qui murmure un » Prends-moi la main » à son compagnon, tandis qu’elle voit approcher les caméras. En novembre 2011, elle s’agaçait, à la Foire du livre de Brive-la-Gaillarde, de le voir discuter volontiers avec des journalistes du beau sexe. » Valérie n’a pas d’influence politique sur François, assure un intime de toujours, mais sur les femmes qui peuvent l’approcher, çaà «
Elle a, confient ses proches, la nostalgie d’avant, du temps où François Hollande était disponible. Elle a aimé les voyages, après le départ de Solferino. Elle a aimé cette vie où il n’était que lui. » Ce n’est pas du tout elle qui m’a dit : « Vas-y, c’est à toi, il faut y aller » – au contraire : elle cherchait, comme quand on refait sa vie, à être en période de quiétude plutôt qu’en période d’agitation « , reconnaît Hollande dans L’Homme qui ne devait pas être président, d’Antonin André et Karim Rissouli (Albin Michel). Pendant l’été 2011, au Pays Basque, le prétendant passe ses vacances vissé à son téléphone ; à Noël, au Portugal, il termine d’écrire Changer de destin. De plus en plus politique ; de moins en moins idyllique.
D’autant que les orages privés ont, presque chaque fois, des incidences publiques : à Nice, le 28 mars 2012, Hollande fait une halte dans son marathon présidentiel pour un meeting en plein air dans le Théâtre de verdure ; en coulisse, tout le monde cherche Valérie Trierweiler : elle a filé en ville, exigeant qu’on la laisse seule. D’ailleurs, elle est rentrée à Paris. Nouveau coup de sang à Rouen : elle espère un café en tête à tête avec le candidat, en campagne dans les rues de la ville. Voyant s’approcher la meute, prise de colère, elle disparaît sans autre forme de procès.
Elle supporte mal cette nouvelle vie trop remplie
Sa présence à Montauban, pour les obsèques des militaires assassinés par Mohamed Merah, étonne ? » C’est François qui m’a demandé d’être là « , répond-elle ; la manière qu’elle a de serrer les mains des corps constitués, le jour de l’investiture, détonne ? Un souhait du protocole, assure-t-elle – mais aucune des épouses des présidents précédents ne l’a fait ; et si elle » laisse « , pour reprendre son expression, le président remonter seul des Champs-Elysées, le 15 mai, elle est de nouveau à son côté dans la voiture qui le ramène au palais. Dedans, dehors, dans l’ombre, sous les projecteurs, Valérie Trierweiler a du mal à trouver sa place. Ulcérée par les commentaires qui lui reprochent d’avoir demandé aux photographes, via Twitter, de ne pas » planquer » devant chez eux, elle songe à fermer son compte sur le réseau de minimessages ; elle promet, puis annule, un rendez-vous avec une poignée de journalistes de la presse régionale en Corrèze.
Le 9 juin, elle accompagne Hollande aux commémorations en souvenir du massacre des » pendus de Tulle » par les nazis, mais supporte mal le bain de foule qui suit, perchée sur des talons qui la font souffrir et lui causeront une douleur aux cervicales – dans la voiture, elle porte même une minerve. Le lendemain, premier tour des législatives, elle n’apparaît pas ; à ses proches, elle glisse qu’elle ne compte pas revenir le week-end suivant. Le problème ne se posera pas, la candidate socialiste corrézienne est élue dès le 10.
Valérie Trierweiler peine à se mettre en retrait, tout en supportant mal cette nouvelle vie trop remplie. Et la question du mariage lui porte sur les nerfs, ambiguïté entretenue par un homme qui n’a jamais souscrit à cette forme d’engagementà Au fond, elle aimerait que tous les déjeuners ressemblent à celui du 9 juin – ce jour-là, à la table de la Taverne du sommelier, en centre-ville de Tulle, autour d’une poignée d’anciens collaborateurs du conseil général, le président de la République se détend un peu. La matinée a été rude, avec l’annonce de la mort des quatre soldats français en Afghanistan. Un proche lui offre une revue débusquée chez un bouquiniste, un numéro de Match datant de 1939. Valérie Trierweiler sourit en reconnaissant le visage d’Henri Queuille, gloire corrézienne de la IIIe République, en Une du magazine. L’ancien président du Conseil était alors en lice pour remplacer le président Albert Lebrunà Le couple feuillette le journal avec gourmandise. Le regard de François Hollande s’arrête sur le plan détaillé de l’Elysée, étalé sur une double page. » Cela a un peu changé. Le vestibule a disparu « , note-t-il en connaisseur. Un drame intime
Trois jours plus tard, 137 signes font tout voler en éclat. Le 13 juin, sur le plateau du Grand Journal de Canal +, la journaliste Constance Vergara, une amie de Valérie Trierweiler, est interrogée par Michel Denisot, qui précise : » Vous avez passé l’après-midi avec elle. Ce que vous dites est doncà vrai. » La théorie de Constance Vergara, érigée de fait en porte-parole ? Hollande a eu tort d’intervenir dans l’élection législative, lui qui s’était engagé à se tenir à l’écart. Sous-entendu : il a donc ouvert la voie aux hostilités privées. L’acte était politique, ont beau marteler les proches du chef de l’Etat, c’est bien un drame intime qui s’est joué entre La Rochelle et Paris. La défaite de Royal, ex-compagne, ouvre une nouvelle séquence, intime, politique, publique, privée. Tout mélangé.
ÉLISE KARLIN ET MARCELO WESFREID
Ses compagnes, ses enfants, ses amours, ses emmerdes : nous connaissons tout d’eux