Qui est derrière les sans-papiers ?

L’accord sur la régularisation a été obtenu par une coalition hétérogène d’institutions et de mouvances parfois extrémistes, réunies sous la coupole du Forum Asile et Migrations. Le poids catholique flamand y a été déterminant.

Le 19 juillet, l’accord sur la régularisation des sans-papiers s’est fait en un tournemain, à Val Duchesse, sous la houlette de Herman Van Rompuy (CD&V) et de Guy Verhofstadt (Open VLD). Ce dernier a rompu l’isolement de son parti, d’autant plus facilement que le Vlaams Belang, en recul électoral, n’exerçait plus la même pression. Quant au Premier ministre, il avait certainement besoin d’un succès pour souder son équipe en prévision des batailles budgétaires de l’automne. Dépourvu de base électorale précise ou de liens privilégiés avec un  » pilier « , il a donné satisfaction à l’aile gauche du CD&V. Mais il ne faut pas sous-estimer l’impact qu’ont eu sur lui les arguments développés par l’influente Communauté de Sant’Egidio. Ce mouvement catholique d’origine italienne, très engagé en faveur des migrants et de la paix, est très bien implanté à Anvers, où Hilde Kieboom, l’une de ses dirigeantes, a été faite baronne.

En 2006, déjà, l’évêque d’Anvers avait pris la tête d’une manifestation en faveur des sans-papiers, ce qui avait déclenché une polémique avec le ministre de l’Intérieur, Patrick Dewael (Open VLD).  » Quand les gens que nous accompagnons sont régularisés, plaide Jan De Volder, de Sant’Egidio-Belgique, leur santé s’améliore et ils travaillent. Leur impact sur la société est positif en termes de sympathie, de discipline, de goût du travail… Beaucoup de familles vivant dans la clandestinité n’ont jamais fait parler d’elles. Elles sont bien intégrées et appréciées des Flamands. Nous n’avons pas soutenu les grèves de la faim. C’était une erreur d’accorder un titre de séjour aux grévistes de la faim occupant l’église du Béguinage, à Bruxelles… Cela n’a pas donné une image toujours belle ni sympathique des sans-papiers. Mais il fallait cette opération de régularisation car les gens sont épuisés. « 

A Bruxelles, les années d’incertitude ont, en effet, accru le jusqu’auboutisme de certains clandestins. Occupation d’églises, escalade de grues ou de buildings, grèves de la faim sauvages, manifestations hebdomadaires devant le cabinet de la ministre de la Politique de Migration et d’Asile (qui ne se trouvait pas dans la  » zone neutre  » et pouvait donc être bloqué à volonté), actes de violence entre sans-papiers à l’ULB et à Saint-Josse… Les incidents n’ont pas manqué. Car les plus entreprenants ne sont pas nécessairement ceux qui vont entrer en ligne de compte pour une régularisation. D’où les pressions exercées sur les autres, qui, eux, ne veulent pas que tout capote.

Belgique : pas de  » frontières ouvertes « 

En effet, l’accord gouvernemental ne s’est pas fait dans le cadre d’un modèle de  » frontières ouvertes « . Les sans-papiers qui n’entreront pas dans les critères de régularisation (ancrage local et longue procédure) devront soit être expulsés, soit repartir de leur plein gré. Du chahut en perspective… Le Forum Asile et Migrations, qui chapeaute une nuée d’organisations et de mouvances, risque d’être tiraillé entre ses  » réalistes  » et les autres. Ainsi, Fred Mawet, directrice du Ciré Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers), est visiblement partagée entre le désir de  » laisser le gouvernement bosser  » et le besoin d’exprimer son regret d’un  » cadre juridique plus sûr pour l’avenir  » et son soutien au  » groupe oublié « , ces personnes qui ont plus de cinq ans de présence en Belgique mais qui n’ont  » jamais rien demandé  » aux autorités.

La gauche radicale, avec notamment le PTB+, maintient son mot d’ordre de régularisation pour tous, avec ses avocats membres du Progress Lawyers Network et ses méde-cins de Médecine pour le peuple, très actifs auprès des grévistes de la faim. Cette gauche ex-stalinienne a été rejointe par la nouvelle génération des anarchistes. Les quelques pensionnés de la CSC qui s’affichent lors des manifestations, comme Jesus Manchego et Paul Van Camp, sont minoritaires, mais ils incarnent la  » mauvaise conscience  » altermondialiste d’une partie de la gauche chrétienne. La CSC de Bruxelles a d’ailleurs mis sur pied une antenne pour les sans-papiers, rue Plétinckx. Elle les affilie contre une cotisation symbolique de 2,83 euros par mois.

Les mouvements les plus pointus ont eu, à un moment, l’oreille des décideurs politiques. Le meilleur exemple en est Oscar Florès, d’origine chilienne, dont la Fondation Roi Baudouin a soutenu un projet pour 5 000 euros en 2007, et qui a ses entrées un peu partout. C’est l’un des responsables de la Coordination pour la régularisation et la liberté de circulation, située à l’extrême gauche. En 2008, la VRT avait suscité un beau tollé en montrant Oscar Florès au téléphone avec le chef de cabinet de Joëlle Milquet (CDH), déjà ministre de l’Emploi et du Travail, pour s’enquérir de l’évolution du dossier des sans-papiers. Agité par les Flamands, le soupçon de récupération électorale des (futures) voix des sans-papiers n’est pas totalement vain. Une autre anecdote l’illustre. Les policiers dépendant des bourgmestres de Bruxelles-Ville, Ixelles et Saint-Josse, tous PS, se sont montrés peu interventionnistes à l’égard des sans-papiers tant qu’a duré le bras de fer entre Marie Arena et Annemie Turtelboom. Sitôt l’accord conclu, toute activité militante a disparu des rues comme par enchantement.

Des Wallons moins mobilisés

Par rapport à la précédente campagne de régularisation, les Wallons ont été plus discrets, voire indifférents – ce qu’avait bien senti le MR, qui refusa d’arbitrer le match Turtelboom-Arena. Peut-être cela tient-il à la paupérisation galopante des centres urbains wallons ? Même si tous les appareils (cultes, laïcité organisée, universités, avocats, médecins, etc.) ont appuyé les revendications des sans-papiers, la population s’est moins mobilisée autour de familles étrangères qu’elle ne l’a fait avant la régularisation décidée en 1999.

Pour éviter que les sans-papiers mènent des actions désespérées et contre-productives, les autorités locales leur ont laissé la jouissance de certains lieux. Le bourgmestre de Liège, Willy Demeyer (PS), a, par exemple, permis à l’Organisation des sans-papiers de s’installer dans l’ancienne gare de Bressoux. Mais, le 2 septembre dernier, contrairement aux accords passés, 37 des 75 clandestins qui s’y trouvaient ont entamé une grève de la faim. Trois d’entre eux s’exhibent, les lèvres cousues. Dans le dossier des sans-papiers, la presse écrite régionale est restée en retrait, à l’inverse des médias francophones dits  » de référence « , qui, plus d’une fois, se sont retrouvés en porte à faux avec leur lectorat. En revanche, les médias TV montrent des scènes dures, voire insoutenables.

La maîtrise de la communication est l’un des atouts des sans-papiers. Malgré le turn over de leurs porte-parole (que divers ministres de l’Intérieur ont tenté d’amadouer en les régularisant), le transfert de compétences s’effectue au sein de l’Union pour la défense des sans-papiers (Udep). Si, grosso modo, les conditions des régularisations de 1999 et de 2009 se ressemblent (clivage gauche/droite, poids des appareils syndicaux et philanthropiques), l’auto-organisation des migrants clandestins est, elle, un fait nouveau, relevé par tous les observateurs.

MARIE-CÉCILE ROYEN

En Flandre, on soupçonne la récupération électorale des sans-papiers

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