Rosanne Mathot

Qui a peur du Petit Chaperon rouge ?

Où il est question de censure en Espagne, du Petit Chaperon rouge et d’une unité belge de forces spéciales féminine.

La chica en rouge eut un furtif mouvement de recul (1). Planquée dans les kékés de rhododendrons du Geyser, sous la pluie, avec un genou à terre, la PMF (Personnel Militaire Féminin, 2) comptait mentalement ses bastos (Uno, dos, tres…) tout en ajustant un loup dans la ligne de mire de son fusil de tireuse d’élite. Loulou, la louve du Geyser, inconsciente du drame qui était sur le point de se produire, ronflait gentiment, la tête entre les pattes, sous l’auvent de la terrasse. Devant le café, les rares passants hâtaient le pas, un brin de muguet tremblant entre leurs mains : la fille en rouge au fusil de précision accrochait tous les regards. A vrai dire, on ne voyait plus qu’elle, dans tout Bruxelles. On ne parlait plus que d’elle. Partout : à la radio, sur Twitter, sur Facebook, Snapchat et sur la chaîne belge de télé en continu. Dans tout le royaume, la mystérieuse PMF des rhododendrons était aussi connue que le loup blanc.

–  » Mais il est si connu que ça, ce loup blanc ?  » demanda Daisy, la fillette fantôme du café, au vieil Heinrich, l’homme à tout faire des lieux, en baissant le son de la télé.  » Tu l’as déjà vu, toi ?  »

 » M’est avis qu’il se planque sur notre terrasse « , dit Heinrich – ancien soldat – très sombre, en empoignant ce qu’il trouva pour sa défense (la casserole antidépression du cuisinier). Serrant la poignée de la cocotte de toutes ses forces – phalanges blêmes – le vieux se dirigea vers la porte, l’ouvrit d’un coup sec et s’écria :

–  » Halte-là ! Qui va là ?  »

Le cri de Heinrich se voulait viril et puissant. Mais il évoquait plutôt petitement les lamentations de la chevrette de Seguin bouffée par le loup.

 » Estoy el PCR !  » répondit une roide voix féminine à l’accent de castagnettes.

–  » Tu es une PCR ?  » interrogea le germanophone qui comprenait l’espagnol.

–  » Claro ! Heuu… Affirmatif !  » poursuivit la voix féminine.

–  » Précisez.  »

–  » En tant que PMF, j’ai reçu en dotation une parka rouge. A l’issue, on m’appelle PCR (Petit Chaperon rouge). Vu (3) ?

– « Vu ! Où vas-tu, PCR ?  »

 » Sur ordre de ma mère, je m’en vais voir ma mère-grand, avec pour mission de lui porter un RCIR.  »

–  » Une Ration de Combat Individuelle Réchauffable ?  »

– « Affirmatif. Pourquoi ?  »

–  » Pourquoi ? ragea Heinrich. Mais, PCR, dans l’armée, ne sais-tu pas que le mot « pourquoi » n’existe pas ?  »

La PCR – qui savait que réfléchir, c’était désobéir – répondit d’un simple  » Vu  » et fonça vers sa mère-grand, oubliant la grande méchante louve qui pionçait sur la terrasse du Geyser…

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film, qui va démarrer, sur la Une, à 20 h 15…

(1)  » Chica  » signifie  » fille « , en espagnol.

(2) C’est en 1975 que les femmes belges reçurent le droit d’intégrer l’armée en temps de paix. Face au peu de candidatures, l’armée veut créer une unité des forces spéciales 100 % féminine fin 2019 ou début 2020.

(3) Le 10 avril 2019, une école maternelle de Barcelone a retiré Le Petit Chaperon rouge de sa bibliothèque, estimant que ce livre véhiculait des stéréotypes sexistes.

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