Quelle vérité pour le collège Saint-Pierre?

Le jugement de la 54e chambre du tribunal de Bruxelles, dans l’affaire dite du collège Saint-Pierre, me paraît sonner le glas de la justice pénale d’hier et de son crédit. A peine était-il prononcé que l’indignation des parents d’élèves, parties civiles au procès, éclata avec une force et une intransigeance inouïes, aussitôt relayées dans les journaux. En pleine lecture du jugement, une de ces parents d’élèves avait lancé au sujet d’un attendu lu par la présidente De Gryse: « C’est faux! », comme elle aurait dit: « Vous mentez! ». Le ton était donné: il ne s’agissait pas seulement, à ses yeux, d’une erreur judiciaire éventuelle, mais d’un complot dont le tribunal était le principal acteur. Cette dame, qu’on ne saurait taxer de sottise ni même de légèreté, au su de ce qu’elle avait dit pendant les débats, sait apparemment ce qu’elle sait: son enfant a bel et bien été l’objet d’actes de pédophilie, mais des pressions ont été exercées, pense-t-elle, empêchant la vérité d’être révélée.

Le tribunal s’attendait-il à une attaque aussi frontale mettant en cause son honnêteté? On peut le croire, puisqu’il a tenu, d’entrée de jeu, à « exprimer solennellement à l’égard des parties civiles que dans la présente cause, pas plus d’ailleurs que jamais dans le passé, il n’a fait l’objet d’aucune pression ni d’aucune tentative de pression, émanant de qui que ce soit » et que, « cela étant dit, le tribunal a entendu avec stupéfaction l’un des avocats des parties civiles déclarer qu’il avait fait l’objet de manoeuvres d’intimidation de la part des plus hautes autorités judiciaires « , propos que cet avocat ne démentit jamais, au contraire, il est vrai, d’un de ses confrères qui eut « la sagesse « , quant à lui, de renier ce qu’il avait d’abord plaidé à cet égard.

Voilà pourtant où nous en sommes. Un tribunal ne rougit pas de soutenir « solennellement « qu’il est indépendant et que les juges qui le composent ne sont pas malhonnêtes!, comme si cela n’allait pas de soi! Le tribunal pourtant n’acquitte pas les six prévenus pour des motifs sommaires mais avec une méticulosité, un souci de préciser pourquoi il acquitte, qui occupe une grande partie de ce jugement d’une cinquantaine de pages. J’en ai pour ma part écouté la lecture avec attention et je l’ai lu ensuite avec la même attention soutenue. Je crois qu’on ne saurait le critiquer ni même l’approuver sans avoir fait cet effort. Pour moi, il me convainc mais peut-être faut-il dire en quoi? Il ne dit pas que les prévenus sont innocents mais bien qu’on ne peut pas les tenir pour coupables, ce qui n’est pas la même chose. Je ne vais pas reprendre le vieux laïus sur la vérité judiciaire, différente de l’inaccessible vérité tout court mais qui s’impose à tous. C’est, en somme, une question d’ordre intérieur. Puisqu’il faut bien que les juges disent blanc ou noir, acquittent ou condamnent, leur décision doit être respectée sous la réserve d’un appel. C’est la règle du jeu. Est-elle devenue obsolète? Certains le pensent, dans la mesure où, tout serait faussé au départ et où loin de chercher la vérité, les juges, mis sous pression, n’auraient plus été en situation de rester sereins, pouvant seulement habiller juridiquement un acquittement qu’on leur imposait. Hypothèse ravageuse, ô combien! qui ne me semble pas résister à l’analyse du jugement. Tout ce qui est exagéré est insignifiant et il est peu probable, non pas que tel magistrat soit pourri jusqu’à l’os – il y a toujours eu des brebis galeuses – mais que les trois juges de la 54e, plus la représentante du ministère public dont on sait qu’elle sollicita l’acquittement, plus le procureur général, plus le procureur du roi et tous les avocats de la défense qui seraient forcément complices de cette forfaiture, soient également corrompus. Trop c’est trop!

Encore faudrait-il ajouter à cette liste de « belles crapules », pour reprendre l’expression d’un avocat des parties civiles s’adressant à un de ses confrères lors d’une suspension de séance, les noms de plusieurs experts. Jamais, je crois, un jugement ne les a étrillés à ce point. Lisons le jugement: attendu « que le procès dit du collège Saint-Pierre avec tous ses prolongements judiciaires et extrajudiciaires et son retentissement médiatique, est avant tout celui de la validité des rapports d’expertise psychologique des enfants, de la crédibilité non seulement des enfants, mais des rapports sur les enfants, c’est celui du choix et de l’indépendance des experts désignés, celui de la probité intellectuelle, de leur sens des responsabilités et de leur compétence « . Eh bien! c’est clair et net pour le tribunal, plusieurs experts ne méritent qu’un zéro là-dessus. D’où il s’ensuit, non pas qu’aucun acte de pédophilie n’ait été perpétré, mais qu’aucun de ces actes n’a pu être établi. Que demander d’autre à la justice? Quand il n’y a pas de preuve, l’acquittement s’impose, c’est ce que nous exigerions tous si nous étions poursuivis.

La cour d’appel pourrait mettre à néant cette vérité judiciaire. Ce ne serait qu’une banalité de le rappeler si, encore une fois, des parents d’élèves et une cohorte de commentateurs ne soutenaient pas que le jugement n’est pas une erreur judiciaire mais bien l’effet d’une volonté arrêtée de protéger le collège Saint-Pierre. Ce ne serait donc plus un procès où chaque partie expose son point de vue devant des arbitres, les juges, mais une tromperie fondamentale.

Qui se donnera la peine de lire ce jugement que, pour ma part, je compte publier dans le Journal des procès? A part les professionnels du droit et de la justice, sans doute presque personne! Qui tentera d’en peser l’argumentation? On se fiche bien de savoir pourquoi le tribunal acquitte, on voit seulement qu’il acquitte, comme s’il fallait aller vite, toujours plus vite, alors que la justice est lente.

Le cas d’un des prévenus, un instituteur, doit retenir l’attention. Lui aussi était accusé d’avoir, sinon accompli, du moins toléré des actes de pédophilie dans sa classe. Or il résulte des dépositions que jamais il n’a touché un de ses élèves. Très bien, mais cet instituteur peut néanmoins sembler ne pas être à l’abri de tout reproche d’ordre moral, sinon légal. Pour parler net, un de ses élèves était devenu la tête de Turc de la classe, avec sa complicité tacite. Nous avons presque tous, je crois, des souvenirs pareils d’un condisciple dont tout le monde se moquait à l’école primaire, y compris le maître participant à une sorte de harcèlement que la loi n’érigeait pas encore en infraction, selon la recette du célèbre sketch Pachterbeek, je n’ai pas dit ouvrez mais prenez votre journal de classe! Et il est vrai que ces enfants-là sont très malheureux, très seuls, très abandonnés. Et alors? Si toutes les injustices du monde, toutes les méchancetés, toutes les tristesses devaient appeler des condamnations en justice, qui donc serait à l’abri?

C’est peut-être la leçon de ce procès qu’il n’est plus un seul enseignant et, plus généralement, aucune personne investie de responsabilités qui n’aurait des comptes à rendre, nous faisant accéder à l’impossible innocence. Que répondre à cette mère s’écriant que son enfant a été victime d’actes de pédophilie, qu’elle le sait de science certaine et qu’on a beau lui dire qu’en l’espèce c’était matériellement impossible, les dix à quinze minutes d’une récréation ne permettant pas d’organiser les séances dénoncées? Sinon qu’il paraît improbable que tous les magistrats soient de « belles crapules », ni que tous ceux qui, la main sur la conscience, trouvent ce jugement du collège Saint-Pierre convaincant, des jobards.

par Philippe Toussaint

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