Caroline Sägesser (Crisp) © Hatim Kaghat

Signes convictionnels: « Que les entités fédérées légifèrent chacune de leur côté »

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Selon Caroline Sägesser, politologue au Crisp, une inscription de la laïcité dans la Constitution est impraticable. En revanche, les entités fédérées devraient chacune légiférer (ou pas), quitte à ce que des solutions différentes émergent, comme c’est le cas ailleurs.

Les signes convictionnels dans la fonction publique embrasent les débats depuis trois décennies. Est-il temps de légiférer, pour éviter une succession de polémiques sans fin?

Il existe un consensus pour dire que le politique doit se saisir de cette thématique. Mais à quel niveau de pouvoir? Là est la question. Une proposition de loi, portée par DéFI et visant à inscrire la laïcité dans la Constitution, va être discutée au Parlement fédéral. Selon moi, cette piste n’est pas porteuse. Dans d’autres Etats fédéraux, comme la Suisse ou l’ Allemagne, cette matière a pu être parfaitement réglée au niveau des entités fédérées.

Comment Bruxelles, la Wallonie et la Flandre pourraient-elles légiférer?

Via le statut des agents de la fonction publique. Le texte régional bruxellois mentionne déjà la neutralité de l’agent, mais ne dit rien sur la neutralité d’apparence. Il faudrait clarifier, en laissant la liberté de vote aux élus, ce qui éviterait des écueils pour le PS, écartelé entre deux de ses valeurs cardinales: l’émancipation du religieux et l’émancipation par le travail.

Quelle serait le contenu de ce texte?

Il faudra trouver un compromis. On ne pourra pas interdire tous les marqueurs convictionnels. Comment éviter que certains hommes portent une longue barbe, par exemple? La ministre de la Défense, Ludivine Dedonder (PS), est récemment intervenue au JT et à la Chambre avec une croix autour du cou: ça n’a pas fait couler d’encre. Il faudra donc clarifier ce qui est ostentatoire et ce qui est plus discret. Tout le monde voit bien la différence entre un foulard coloré noué dans la nuque, et un voile noir qui descend jusqu’au milieu du dos

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Pourquoi inscrire la laïcité dans la Constitution n’est-il pas envisageable à vos yeux?

Il faut d’abord distinguer la neutralité de la laïcité. La neutralité, c’est très clair: elle découle du principe d’égalité et de séparation entre l’Eglise et l’Etat. La laïcité est un terme qui vient surtout de France et du Québec (d’ailleurs, pendant longtemps, ce mot n’a pas eu d’équivalent en néerlandais, ce qui peut expliquer que le débat fasse moins écho au nord du pays) et qui postule que l’Etat ne peut pas avoir d’action à l’égard des cultes, ne peut pas les soutenir financièrement, etc. Pour être cohérent, il serait donc difficile d’inscrire la laïcité dans la Constitution sans toucher aux articles 24 sur l’enseignement et l’article 181 sur le financement des cultes. Tout ça nécessiterait une vaste réforme constitutionnelle, qui n’est pas à l’ordre du jour. Il n’y a de toute façon actuellement pas de majorité des deux tiers pour soutenir la proposition de DéFI. Par contre, dans le cadre constitutionnel actuel, on peut imaginer que les entités fédérées légifèrent chacune de leur côté.

On a du mal à imaginer qu’on puisse simplement se remettre la tête dans le sable.

Cela signifierait potentiellement des règles différentes dans chaque Région?

Effectivement, il pourrait par exemple y avoir une législation à Bruxelles mais pas en Flandre ou en Wallonie. En Suisse, chaque canton possède ses propres règles, parfois différentes les unes des autres.

Un autre secteur souvent sujet à polémique en matière de signes convictionnels est l’enseignement. Faut-il, là aussi, légiférer?

Absolument, car chaque école pour l’instant décide de son propre règlement et il y a régulièrement des cas de contestation. Tout en prenant garde que la neutralité de l’enseignement devrait s’appliquer aux enseignants, qui sont des agents publics, mais aussi aux élèves, ce qui relève d’une autre dimension.

D’autres pistes de solutions?

Puisque, selon moi, la modification de la Constitution au fédéral est une voie impraticable, je ne vois pas quelle autre piste pourrait s’offrir à nous. Ou alors, laisser les choses en l’état mais, lorsqu’on est au milieu d’une crise, on a du mal à imaginer qu’on puisse simplement se remettre la tête dans le sable.

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