Le plus grand triomphe d'Offenbach, ici " adapté " au septième art. © Bernd Uhlig

Quatre d(r)ames sur grand écran

Les Contes d’Hoffmann, de Jacques Offenbach, de retour à La Monnaie, à Bruxelles, dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski : tout un cinéma !

Avant qu’il ne s’attèle à chanter le long récit de ses quatre amours malheureuses, Hoffmann, poète exalté et solidement ivrogne, vaque à son toc favori (astiquer le mobilier par une débauche de Kleenex) dans un box doté d’un écran géant, qui monte et qui descend et semble n’être, au fond, qu’un décor de cinéma. Se croisent sur ce plateau danseuses en tutu et preneurs de son très fifties, tous clope au bec, et pressés de poser leur séant sur les tabourets d’un bar aux moulures dorées, pareilles au cadre de scène de La Monnaie : étrange méli-mélo… En 1961, dans cet endroit précis, Maurice Béjart avait orchestré ces mêmes Contes, les magnifiant d’une chorégraphie féerique, soutenue par une scénographie fantasque et poétique qui fit date. En 1985, Sylvain Cambreling dirigeait José van Dam dans la belle production inventive de l’Ouest-flandrien Gilbert Deflo…

Trente-cinq ans plus tard, le plus grand triomphe d’Offenbach, qui est aussi le testament musical du maître (il mourra en 1880, peu avant les répétitions), a donc repris le chemin de la maison lyrique bruxelloise. En négociant un détour par l’univers du septième art, qui n’est pas celui qui colle le mieux au sujet, certes, mais qui constitue la marotte absolue du Polonais Krzysztof Warlikow- ski, chef de file du théâtre européen, et monomaniaque des films hollywoodiens, comme de la lingerie féminine, des talons aiguilles et des volutes de fumée on stage. Mais la greffe d’innombrables références cinématographiques n’est pas toujours réussie, loin s’en faut. Un remake d’une cérémonie des Oscars, mauvais sketch inspiré d’ A Star Is Born (1954) de James Cukor, tombe mal à propos. Et bien disgracieuse paraît la Barcarolle, cette berceuse pourtant si douce au clair de lune vénitien, lorsqu’elle se coule, ici, sans romantisme, au milieu des paillettes, des perruques, des rouflaquettes et des smokings moutarde d’une bande d’industrieux cinémateux.

Sur cette large scène où trône ce bric-à-brac multicolore, dans ce qui fait office de studio, loge, coulisses, salle de danse ou de montage, piste de cirque ou cafétéria — les couches sémantiques sont si denses qu’on y perd le sens –, les choeurs et les solistes, sous la direction de l’excellent chef Alain Altinoglou, bien que très statiques, donnent néanmoins le meilleur d’eux-mêmes. Deux distributions masculines se partagent le rôle-titre (les ténors Eric Cutler et Enea Scala, en alternance), et il en va de même pour les incarnations des idylles ratées d’Hoffmann : avec tout le talent qu’il faut pour passer, en près de quatre heures, des vocalises coloratures aux veloutés mezzos, les sopranos Patricia Petibon et Nicole Chevalier flamboient dans leur quadruple rôle, l’un des plus terribles défis du répertoire. La musique aux multiples  » tubes  » est aussi savoureuse que la langue française, joliment désuète, du livret. Mais où restent la folie, la magie, la fête ? Tout ça manque de joie, de fantaisie, d’allégresse. Tout ça manque d’Offenbach, en fait…

Les Contes d’Hoffmann, de Jacques Offenbach : à La Monnaie, à Bruxelles, jusqu’au 2 janvier.

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