Quand Macron doute

Le ministre français de l’Economie a des certitudes sur ce qu’il faut faire : accélérer les réformes de fond. Mais s’interroge sur sa manière à lui d’y parvenir. En clair, sur son avenir politique.

L’année 2015 aura été compliquée pour Emmanuel Macron. Une loi votée, une autre en chantier, sans certitude d’aboutir ; une popularité insolente, mais des ennemis partout ; une grande liberté… de parole. Le passage à un nouveau millésime ne modifie pas l’équation, à la fois flatteuse et paralysante, de l’apprenti en politique. Comment préserver un capital qui peut s’épuiser dans la routine d’une année préélectorale ? Ou faire pschitt en cas d’initiative mal contrôlée ?

Ces questions, le ministre français de l’Economie, 38 ans depuis le 21 décembre, se les pose avec acuité. François Hollande l’écoute moins. Il s’est mis à dos une bonne partie des membres du gouvernement. Manuel Valls ne peut plus le supporter. Michel Sapin, le ministre des Finances, le chef de la diplomatie, s’agace de ses interventions intempestives. Et Laurent Fabius, le chef de la diplomatie, le traite de  » petit marquis poudré « . De plus, Macron craint que son projet de loi sur les nouvelles opportunités économiques (Noé), dont il a présenté les grandes lignes le 9 novembre, ne soit sacrifié pour ne pas fâcher davantage cette partie du PS déjà électrisée par l’extension de la déchéance de la nationalité – mesure qu’il désapprouve d’ailleurs complètement.

Les interrogations du trentenaire ne sont pas nées avec la nouvelle année. A la mi-octobre, déjà, il téléphone à un ami :  » Ai-je intérêt à rester ministre après les régionales ?  » Ses rapports avec le Premier ministre se tendent, il doute de la réalisation de vraies réformes d’ici à la fin du quinquennat.

Persuadé que l’on n’a pas  » tout fait pour l’emploi  »

Un de ses amis constate :  » Sa force, c’est d’être radicalement différent des autres, mais, de ce fait, il lui est difficile de s’insérer dans le débat public.  »

Un autre l’avertit :  » Si tu démissionnes, tu vas te retrouver comme un poisson sur le sable.  » D’autres lui conseillent de rester dans le rang et de se contenter – si l’on ose écrire – d’un grand ministère de Bercy, additionnant son actuel portefeuille à celui des Finances, détenu par Michel Sapin, ce dernier pouvant hériter d’un autre poste en cas de remaniement.

Voilà plus de cinq ans que Macron a lié son destin à celui de François Hollande. Il travaille au programme économique durant la campagne présidentielle, puis à son application et à son inflexion. Comme secrétaire général adjoint à l’Elysée (2012-2014), ensuite comme ministre de l’Economie (depuis août 2014). Il plaide activement pour cette politique de l’offre, favorable aux entreprises, que Hollande finit par adopter, début 2014. Il veut aller plus loin, notamment sur la réforme du marché du travail et vers une (relative) dérégulation de l’activité. Comme le président, il pense qu’il y a urgence économique mais ne donne pas forcément le même contenu à ce mot. Le recours aux recettes classiques du traitement du chômage, annoncé par Hollande le 31 décembre, fait partie du vieux logiciel dont il cherche à se démarquer.

Tandis qu’il donne des cours d’économie à l’encan, Macron prend des leçons de politique : son projet de loi sur la croissance et l’activité ne peut être adopté en 2015 qu’en y contraignant les députés (usage de l’article 49-3 de la Constitution), et Manuel Valls n’est pas fâché d’infliger ce camouflet à un garçon qui lui vole de plus en plus la lumière. Ce texte à peine bouclé, Macron en prépare un autre, pour adapter l’économie à la nouvelle ère numérique. Il faut plusieurs mois pour que l’idée d’une loi Macron 2 soit finalement retenue, tant la perspective de repasser au Parlement avec ce patronyme en étendard fait peur. Le 14 juillet, la feuille de route du ministre est enfin clarifiée par le président de la République : le futur texte se concentrera sur  » tout ce qui est activité nouvelle, tout ce qui peut provoquer plus d’emplois « . Mais, le 4 janvier 2016, le chef de l’Etat annonce que certaines des mesures préparées par Macron seront incluses dans le projet de loi sur le travail de Myriam El Khomri, ministre de l’Emploi. Explication : depuis novembre, le chômage est redevenu un combat impérieux. Le projet El Khomri a l’avantage d’être programmé (en conseil des ministres pour début mars), pas celui de Macron.

Et le reste du texte ? Redoutant une plongée aux oubliettes et persuadé que l’on n’a pas  » tout fait pour l’emploi et le marché du travail « , le ministre fait du préventif. L’affection qu’il porte à son patron (et réciproquement) n’empêche ni la liberté ni la lucidité. Dans un cercle très privé, Macron parle même du  » nihilisme sympathique  » du président. Dans une interview au Monde daté du 7 janvier, il châtie son langage, mais ne ménage pas ses critiques de fond. Il plaide pour que des  » réformes d’impacts forts  » soient menées. Celles qu’il a soumises au président de la République et au Premier ministre. En novembre, tous deux lui ont demandé, ainsi qu’à Myriam El Khomri et à Michel Sapin, des mesures en faveur de l’emploi. Macron fait donc la promotion des thèmes qui seront au coeur du projet de loi Noé : donner plus de place à l’entrepreneuriat individuel, simplifier la vie fiscale, sociale et réglementaire des petites entreprises, réduire les exigences excessives en matière de qualification professionnelle…  » Le ministre redoute que l’on oublie les sujets économiques, que l’on donne raison à ceux qui disent qu’il n’y aura plus de réformes « , dit-on à son cabinet. Une manière de mettre une amicale pression sur l’Elysée et Matignon à quelques jours de l’annonce des mesures pour l’emploi, le 18 janvier.

 » La réforme du pays, c’est de laisser les gens la faire  »

L’interview n’est pas qu’une plaidoirie. Elle est aussi un réquisitoire. Sachant que le texte a été relu par François Hollande (personnellement) et par Manuel Valls (idem) – tous deux y ont apporté des corrections -, on mesure de quelle liberté jouit le turbulent de Bercy.  » Le constat est rude, mais c’est ce qui nous permet de franchir un palier « , reconnaît-on à l’Elysée.  » Rude  » est bien le mot : Macron parle (presque) comme un membre de l’opposition. Il souligne l’échec français en matière de lutte contre le chômage : la France est l’un des 4 pays européens sur 28 qui n’a pas réussi à réduire le nombre de sans-emploi ces douze derniers mois. Il insiste sur une croissance atone, la faiblesse de l’investissement, et fustige la désertion des élites, leur  » irresponsabilité économique  » et leur  » cynisme « .

Le ministre ne parle donc pas qu’à ses chefs. Il s’adresse aussi à la société civile, comme pour court-circuiter un parti socialiste qui ne l’intéresse pas – et vice versa.  » Cela pourrait être utile à Hollande. Macron attire une nouvelle génération, il peut faire venir des voix qui se tairaient sinon « , souligne un proche du chef de l’Etat français. Ainsi ces Jeunes avec Macron, collectif de groupies du ministre qui suit et soutient son action avec enthousiasme. Macron lui-même organise régulièrement des Rencontres citoyennes, qu’il anime en rock star. Depuis le Consumer Electronic Show à Las Vegas, le 7 janvier, sur le plateau de 01netTV, il martèle à un public enchanté :  » La réforme, elle n’est plus subie ; elle doit être faite avec tous.  » Elle ne peut plus appartenir  » à une élite entre elle qui décide « .  » La réforme du pays, c’est de laisser les gens la faire « , insiste-t-il. Prémonitoire ?

Par Corinne Lhaïk

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire