Quand la police aggrave la criminalité

Ettore Rizza
Ettore Rizza Journaliste au Vif/L'Express

Bruxelles aux deux visages. D’un côté, l’une des capitales les plus dangereuses d’Europe (Eurostat, ZDF). De l’autre, la métropole la plus pépère du royaume (ses bourgmestres). Qui a raison ? Personne, ou les deux. Qui a tort ? Ceux qui jouent avec les  » taux de criminalité « .

Un enfant saurait effectuer le calcul. Prenez le nombre de délits constatés au cours d’une année sur un territoire donné (1). Divisez-le par la population dudit territoire. Multipliez le résultat par 1 000 afin de l’arrondir. Vous obtiendrez un taux de criminalité par 1 000 habitants. Pour beaucoup de responsables, ce chiffre constitue le mètre étalon de la sécurité. S’il est bas, ils sabrent le champagne. S’il augmente, ils frémissent dans leurs maisons communales. En 2010, dernière année pour laquelle la police fédérale dispose de statistiques complètes, ce taux était de 59 à Tournai et de 231 à Liège. Par régions, il allait de 83 en Flandre à 101 en Wallonie et 160 à Bruxelles.

C’est avec délice que certains bourgmestres bruxellois brandissent le dernier chiffre au nez des Flamands qui parlent d’insécurité. Car, si Bruxelles est Région, elle est aussi grande ville. Or ses résultats globaux sont meilleurs que ceux des quatre autres métropoles belges, dont la moyenne frise les 188 délits par 1 000 habitants. Le FDF en a fait l’argument massue contre la fusion des zones de police. Et toc.

Et pan ! répond Eurostat. Dans un récent rapport, l’office statistique européen classait Bruxelles en 5e position parmi les 28 capitales pour son taux d’homicides : 3,09 par tranche de 100 000 habitants, moyenne calculée de 2007 à 2009. Ce genre de rapport a le don de braquer les projecteurs sur une ville. Attirée par la lumière, la chaîne allemande ZDF a résumé la situation en ces termes :  » La capitale de l’Union européenne est l’une des plus dangereuses d’Europe. On y dénombre 33 000 méfaits pour 100 000 habitants. C’est le double de Francfort.  » Alarmant. Dommage que le confrère ait confondu les chiffres de Bruxelles-Ville avec ceux de la Région entière, inférieurs de moitié.

Mais comment peut-on passer d’agglomération plutôt sûre à coupe-gorge européen ? Pour comprendre ces querelles de chiffres, examinons la situation bruxelloise dans le détail. Par zones de police, par exemple. Qui l’eût cru ? La plus paisible est de loin Bruxelles-Ouest, qui compte les communes de Berchem-Sainte-Agathe, Jette, Koekelberg, Ganshoren et, surtout, Molenbeek-Saint-Jean. Les statistiques sont formelles : avec 19 814 délits ou crimes recensés pour 199 585 âmes, la zone pouvait se targuer en 2010 d’un rapport de 99 délits pour 1 000 habitants.

Avec 103, la zone de Waterloo fait figure, en comparaison, de Chicago-en-Brabant. Quant à celle d’Uccle/Watermael-Boitsfort/Auderghem, c’est Calcutta-sur-Cambre : 116. Si l’on détaille par communes, Molenbeek affiche certes un taux de 107, supérieur à sa moyenne zonale. Mais ce résultat brille parmi ces zones de non-droit que sont La Roche-en-Ardenne et Knokke (113), Nivelles (123) ou encore Mons (158).

Le plus remarquable, c’est que la zone Bruxelles-Ouest parvenait à réaliser cet exploit malgré la plus faible présence policière de la capitale : un homme sur le terrain pour 354 habitants, contre une moyenne de 221 dans l’ensemble des zones bruxelloises. Mieux : son taux de criminalité semble diminuer à proportion que sa population augmente. Plus on est de fous, plus on rit.

Question : qui va gober cela ? On a beau exagérer le péril molenbeekois, qui peut croire qu’une commune périodiquement en proie à des émeutes rivalise de sérénité avec la bourgeoise Namur ?

A la vérité, personne ne connaît le nombre de délits réellement commis dans la commune. Ni dans la zone Bruxelles-Ouest, ni dans la Région tout entière, ni ailleurs en Belgique ou dans le monde.  » Le taux de criminalité ne reflète qu’une chose : l’activité de la police, tranche Sybille Smeets, chercheuse en criminologie à l’ULB. On ne peut jamais estimer le chiffre noir, par définition inconnu. Et les comparaisons internationales n’ont pas de sens. En Belgique, la plupart des meurtres sont découverts, ce qui n’est pas le cas partout ailleurs. « 

Sous peu, les mesures prises dans la foulée du drame de la Stib devraient illustrer l’absurdité des statistiques policières. S’ils font leur travail, les 70 policiers venus renforcer la sécurité constateront probablement des infractions. Infractions pour lesquelles ils dresseront des PV. PV qui alourdiront le taux de délits habituel dans les transports en commun. Qui seront donc considérés comme moins sûrs à Bruxelles qu’ailleurs. Que fait la police ?

(1) Données disponibles pour toute la Belgique, commune par commune, sur le site Web de la police fédérale : goo.gl/UGFsr

ETTORE RIZZA

 » Le taux de criminalité ne reflète qu’une chose : l’activité de la police « 

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