Dans La Belgique et la bombe, Luc Barbé décrit les relations litigieuses que la Belgique a souvent entretenues avec des pays aux ambitions nucléaires en privilégiant les intérêts économiques sur les enjeux de sécurité. Une attitude qui prévaut encore aujourd’hui, surtout en Flandre.
La Belgique a été trop laxiste dans l’exportation de son savoir-faire nucléaire et l’est encore aujourd’hui, surtout en Flandre, malgré sa politique officielle de lutte contre la prolifération. Tel est le constat dressé par Luc Barbé, auteur de l’ouvrage La Belgique et la bombe. Du rêve atomique au rôle secret dans la prolifération nucléaire (1), qui sort ces jours-ci. Le propos, émanant d’un ancien député Agalev (ex-Groen) à la Chambre et au Parlement flamand (de 1991 à 1995), pourrait paraître frappé d’un manque d’objectivité. Mais celui qui fut aussi chef de cabinet du secrétaire d’Etat à l’Energie, Olivier Deleuze, énumère avant tout des faits, implacables, et évite le parti pris idéologique, hormis l’insistance mise à affirmer qu’un programme nucléaire civil induit quasi automatiquement une ambition nucléaire militaire.
Des contrôles trop lâches
Que les gouvernements belges, à différentes périodes de l’après-Hiroshima, aient joué, en connaissance de cause ou non, avec le feu nucléaire est un enseignement que l’on peut partager avec Luc Barbé. La Belgique a eu dans le développement de l’industrie et de l’arme nucléaires un rôle auquel ne le prédestinait pas son poids politique. Mais les stocks d’uranium que l’Union minière avait thésaurisés grâce à l’exploitation de la mine de Shinkolobwe au Congo allaient changer le cours de la guerre en même temps que le regard des Etats-Unis sur la petite Belgique. Administrateur délégué de l’Union minière, Edgar Sengier saisit l’opportunité ainsi offerte de vendre son précieux minerai à la fois aux Etats-Unis, contribuant en cela à fabriquer les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, et à l’Allemagne nazie, officiellement pour des applications non-militaires.
A contexte exceptionnel, mesures exceptionnelles. Luc Barbé ne condamne pas les Paul-Henri Spaak et consorts. Ses reproches sont autrement plus virulents à l’encontre des décideurs des années 60, 70 ou 80. En 1967, l’ » affaire Plumbat » met en exergue la légèreté du contrôle belge et européen des exportations nucléaires. La Société générale des minerais, qui commercialise les matières premières de l’Union minière, vend 200 tonnes d’uranium à une entreprise allemande, Asmara Chemie, qui en sous-traite un traitement préalable à une firme italienne. Entre Anvers et Gênes, la cargaison est détournée par le Mossad qui a dupé les Belges et monté toute l’opération. L’uranium servira les ambitions nucléaires israéliennes dans le centre de Dimona. Ni la Belgique ni Euratom, la Communauté européenne de l’énergie atomique, ne chercheront à confondre les services de renseignements israéliens.
De sulfureux stagiaires pakistanais
Si, dans ce dossier, la prolifération nucléaire s’est réalisée » à l’insu de son plein gré « , la Belgique n’a pas toujours été aussi naïve dans l’exportation de matériel sensible. Dans les années 70 et 80, la Belgonucléaire, entreprise dans laquelle le Centre d’étude de l’énergie nucléaire (CEN), organisme public, est actionnaire à 50 %, va s’illustrer dans sa quête de » bonnes affaires » au Pakistan, en Iran, en Libye, en Irak… » Tout le monde à l’époque savait que ces pays avaient peut-être un programme d’armement nucléaire clandestin et que la vente de la technologie du plutonium et la formation de scientifiques, dans ce contexte, ne pouvaient être que très risquées « , note Luc Barbé. La Belgonucléaire empoche pourtant deux contrats particulièrement sensibles au Pakistan (une installation de retraitement et un laboratoire de production de combustibles) et la Belgique accueillera, entre 1970 et 1986, une centaine de stagiaires, dont certains deviendront des piliers du programme nucléaire pakistanais.
Luc Barbé épingle en particulier Chaudhry Abdul Majid qui, devenu fondamentaliste, aura des contacts – finalement infructueux – avec Oussama Ben Laden sur un projet de confection de » bombes sales « . Il dégage en revanche la responsabilité de la Belgique dans la formation, souvent mise en exergue, du » père de la prolifération nucléaire » pakistanaise, Abdul Qadeer Khan, qui tirera l’essentiel de son expertise d’un séjour à l’Université de Delft aux Pays-Bas.
Israël, Pakistan… On pourrait croire que les dysfonctionnements relèvent d’un lointain passé. Certes, reconnaît Luc Barbé, les contrôles se sont affinés ces dernières années (voir l’encadré). Mais le dossier EPSI (la vente en 2005 par une société de Tamise d’une presse isostatique) ou la mise en cause de deux sociétés pour l’exportation présumée de zirconium et d’uranium appauvri témoignent que les relations dangereuses persistent avec l’Iran, pourtant au centre de toutes les attentions de la communauté internationale pour son présumé programme nucléaire militaire.
Si Luc Barbé ne va pas jusqu’à prétendre que la Belgique n’a rien appris de ses erreurs passées, il n’en suggère pas moins quelques mesures de prévention : couper le lien entre le Centre d’étude de l’énergie nucléaire, public, et la Belgonucléaire, privée, renforcer le contrôle des exportations en Belgique par la création d’un Comité E, avant, idéalement, de déléguer les autorisations d’exportation à l’échelon européen pour prévenir les problèmes de concurrence commerciale d’un pays à l’autre.
(1) Ed. Etopia, 495 p.
G.P.
Les relations dangereuses persistent avec l’Iran, pourtant au centre de toutes les attentions de la communauté internationale pour son présumé programme nucléaire militaire