PSYCHOTHÉRAPIE

Remous: la volonté de la ministre de la Santé de réglementer la profession de psychothérapeute pourrait en réduire fortement le nombre

« A la Fédération belge des psychologues (FBP), nous recevons régulièrement des plaintes, reconnaît Nady Van Broeck, la présidente. Des clients reprochent à leur thérapeute de ne pas avoir su conserver une certaine distance, d’avoir noué une relation trop intime avec eux, sexuelle, parfois, ou d’avoir violé le secret professionnel, par exemple. En cas de faute grave, nous ne pouvons qu’exclure le membre de notre fédération. C’est peu comme sanction, d’autant que beaucoup de psychothérapeutes ne sont pas psychologues et que, s’ils le sont, ils ne sont pas forcément affiliés à la FBP. »

Actuellement, les patients n’ont en effet aucune garantie quant aux diplômes de leur psy, à l’exception des psychiatres (médecins spécialistes) et des psychologues (licenciés en psychologie). Tout le monde peut placer sur sa façade une plaque de psychothérapeute. Ainsi certains ont effectué une spécialisation postuniversitaire. Mais d’autres se sont contentés d’un vague stage.

Dès 1997, la Commission d’enquête sur les sectes avait soulevé le problème. Elle avait notamment épinglé les agissements suspects d’un médecin de Diepenbeek, qui réclamait des honoraires élevés pour des séances de yoga mâtinées de massages et de pratiques exorcistes, ou ceux d’un vicaire de la région de Charleroi, qui prônait « l’abandon total ». « Tout cela n’a certainement pas contribué à améliorer la crédibilité des psychothérapeutes », remarquait, le 18 mai dernier, Bob Cools, attaché au cabinet de Magda Aelvoet (Agalev), ministre de la Santé, lors d’un forum organisé par la Fondation Julie Renson. Cette association devait récolter, pour le 31 mai, les réactions du terrain au projet de la ministre de réglementer le titre de psychothérapeute.

La réflexion a débuté voici quelques années. Au moment de l’affaire Dutroux et des témoins X, la Commission nationale contre les abus sexuels d’enfants avait déjà proposé de créer, comme pour les médecins, un ordre des psychothérapeutes. En 1998, un groupe de travail a été mis en place par Marcel Colla (SP), alors ministre de la Santé. Il était composé de représentants d’associations (Fédération belge des psychologues, Association européenne de psychothérapie et Association flamande des psychiatres-psychothérapeutes), de grandes écoles thérapeutiques (psychanalyse, cognitivo-comportementaliste, systémique et thérapie non directive), ainsi que de spécialistes de la psychothérapie infantile.

A la fin de l’an dernier, ce groupe a donné un avis qui n’a toutefois pas fait l’unanimité. Pour beaucoup de ces experts, le psychothérapeute est un praticien de niveau universitaire qui poursuit sa recherche. Dans cette optique, la formation proposée en psychothérapie est une spécialisation postuniversitaire assez exigeante. Dispensée à temps partiel pendant trois ans, elle comprend une formation théorique et technique, une pratique supervisée et un travail personnel, où l’on se met dans la situation du patient. La pierre d’achoppement? Pour le groupe de réflexion, elle devrait être réservée aux psychiatres et aux licenciés en psychologie. Les sexologues et les pédagogues pourraient y avoir accès moyennant, préalablement, un complément de formation.

Une conception quelque peu restrictive qui priverait de leur gagne-pain des dizaines, voire des centaines d’assistants sociaux, d’infirmiers ou de sociologues? Actuellement, les psychothérapeutes ont en effet des formations différentes: « Dans le métier, il y a beaucoup de criminologues, d’anthropologues ou même de mathématiciens, remarque Francis Martens, président de l’Association des psychologues praticiens d’orientation psychanalytique (APPPsy). Ils ont souvent changé d’orientation après avoir traversé une crise de vie, à 30 ou à 40 ans. Ils ont alors suivi eux-mêmes une thérapie et se sont formés dans une école de psychothérapie. Ils ont ainsi acquis une maturité personnelle, à laquelle ne peuvent prétendre bien des jeunes licenciés ou docteurs en psychologie. » Au cabinet de Magda Aelvoet, Cools le reconnaît: « Le groupe de réflexion a donné une définition très stricte du psychothérapeute. » Comme s’il ne fallait pas tout mélanger, et réserver ce titre à celui qui traite les pathologies psychiatriques de malades mentaux. « A l’hôpital, le psychologue, l’infirmier ou l’assistant social qui propose un soutien psychosocial à un malade en phase terminale ou à une famille qui doit faire le deuil d’un enfant ne fait pas de la psychothérapie au sens strict, poursuit l’attaché de Magda Aelvoet. Mais pour valoriser ce type d’accompagnement qui est aussi important, la ministre a proposé de reconnaître le titre de « counsellor ». » Cette appellation anglo-saxonne désignerait l’aide apportée à toute personne qui traverse une crise: adolescence, chômage, divorce, etc.

« Ce terme de « counsellor » ne correspond pas aux usages en vigueur en Belgique, regrette le Dr Willy Szafran, neuropsychiatre et psychanalyste, professeur à l’ULB et à la VUB. Il n’est pas compris du grand public. En outre, cette distinction accrédite l’idée qu’il existerait deux sortes de psychothérapie: l’une, élitiste, l’autre, plus terre à terre. En réalité, chez nous, le « counselling » est pratiqué par les psychothérapeutes. » La frontière est d’ailleurs floue. « Les gens qui consultent un psy le font souvent spontanément, sans passer par un médecin, observe-t-on à la Fondation Julie Renson. Certains se considèrent comme de grands malades, alors qu’ils ont simplement besoin d’accompagnement. D’autres, au contraire, minimisent leurs troubles, bien qu’ils souffrent d’une pathologie grave. »

Minorisé au sein du groupe de réflexion, le Dr Szafran suggère, pour sa part, d’abandonner la distinction entre psychothérapie et « counselling » et d’ouvrir la formation de thérapeute à tout diplômé d’une haute école ou d’une université, comme il le fait déjà au sein de l’Association européenne de psychothérapie, qui propose un postgraduat de quatre ans. Autre proposition: pour Martens, dans un souci de transparence, les personnes spécialisées en psychothérapie pourraient simplement être tenues de préciser leur formation de base. « Au psychologue psychothérapeute, le patient qui a besoin de médicaments préférera un psychiatre psychothérapeute, le seul habilité à en délivrer », renchérit Nady Van Broeck. Les autres clients pourront choisir, en fonction de leur sensibilité, entre un infirmier psychothérapeute, un philosophe psychothérapeute, etc.

Des suggestions pour éviter le corporatisme? Actuellement, en effet, seuls les médecins psychiatres disposent d’un code Inami. Les psychologues convoitent depuis longtemps cette possibilité de remboursement pour le patient. Même s’il est exclu, pour le moment, d’étendre le principe du remboursement, il est clair que les psychologues ont tout intérêt à limiter le titre de psychothérapeute à un club restreint, pour plaider plus facilement leur cause ensuite.

Ces arrière-pensées nourrissent-elles aussi le projet de réglementation relatif à la psychologie clinique? En effet, en septembre dernier, Magda Aelvoet a demandé à un groupe d’experts de plancher sur le sujet. Cela concerne les professionnels qui proposent un psychodiagnostic, des tests ou une aide psychologique dans un service hospitalier, dans un centre de santé mentale ou dans un cabinet privé. Un avant-projet de loi fait actuellement l’objet de consultations entre les ministres concernés.

« Voici quelques années, le titre de psychologue a été protégé, explique Nady Van Broeck. Mais cela n’oblige en rien le licencié en psychologie d’observer un minimum de déontologie. Ainsi, l’avant-projet propose la constitution d’un Conseil national de psychologie clinique. Il pourrait recevoir les plaintes de patients et remettre un avis au ministre qui aurait un droit de sanction. » Le problème? « Le risque existe que tout acte clinique, même le plus anodin, ne puisse plus être posé que par des médecins ou des psychologues formés à la clinique, affirme Martens. Ce serait un appauvrissement considérable du secteur. »

Nady Van Broeck, qui est aussi professeur en psychologie clinique à l’UCL, le reconnaît: « Mais quand j’explique à mes étudiants comment poser un bon psychodiagnostic, il ne faut pas oublier qu’à l’heure actuelle je suis déjà dans l’illégalité. » En 1967, en effet, la législation sur l’art de guérir a réservé toute forme de diagnostic ou de traitement aux médecins. A l’époque, les psychologues, qui, historiquement, étaient issus de la faculté de philosophie et non de celle de médecine, avaient refusé de faire partie des professions paramédicales. Depuis, la psychologie clinique s’est développée hors la loi. Et la remettre dans le chemin du droit est décidément une gageure.

Dorothée Klein

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