PROCHE-ORIENT

Un dérapage journalistique a failli ruiner les efforts déployés par Louis Michel, au terme d’une mission remarquablement équilibrée

La tournée du chef de la diplomatie belge au Proche-Orient a frôlé l’embardée fatale, le mardi 24 avril, lorsque l’agence France-Presse a diffusé une dépêche attribuant à Louis Michel des propos qu’il n’a jamais tenus.

En gros, l’AFP faisait dire au ministre qu’Israël traitait les Palesltiniens d’une manière inacceptable, « de la part d’un peuple qui a tant souffert ». Cette allusion à l’Holocauste semblait indiquer que Michel comparait la situation actuelle des Palestiniens à celle des juifs sous l’Allemagne nazie. De là à traiter les Israéliens de nazis, il n’y avait plus qu’un pas. Qui fut largement franchi, en Israël, dans les heures qui ont suivi la diffusion – mondiale – de cette dépêche sans fondement. Bien plus qu’un simple incident diplomatique, la « nouvelle » a répandu une émotion considérable dans l’Etat hébreu et dans les milieux de la diaspora juive à travers le monde. A Jérusalem, le ministère des Affaires étrangères a rapidement réuni une « cellule de crise », tandis qu’à Vienne, la Fondation Simon Wiesenthal, spécialisée dans la recherche des criminels de guerre nazis, prononçait une condamnation sévère des propos prêtés à Louis Michel.

Le porte-parole des Affaires étrangères a évidemment opposé un démenti formel et catégorique à la dépêche de l’AFP, mais il en fallait davantage pour éteindre l’incendie allumé en Israël.

Ce n’est qu’en début de soirée, alors que la mission belge s’apprêtait à quitter Tel-Aviv pour la Syrie, que la malencontreuse dépêche de l’AFP a trouvé son explication. En fait, des propos de ce type ont bien été tenus, alors que Louis Michel visitait une zone particulièrement sinistrée de la bande de Gaza. En revanche, ils n’ont pas été prononcés par le ministre, mais bien par un journaliste belge accompagnant la mission, et invité par la radiotélévision palestinienne à commenter la situation tragique des habitants du camp de Khan Younes, récemment attaqué par l’armée israélienne. Le correspondant de l’AFP à Gaza n’était pas sur place au moment de la visite. Il s’est contenté de regarder la télévision pour diffuser une dépêche où la confusion s’est introduite entre le ministre et le journaliste. Pour dissiper le malentendu, Louis Michel a donné une interview à la radio israélienne dans les minutes qui précédaient le départ de son avion.

Mais ce grave incident, provenant du seul manque de rigueur du correspondant de l’AFP, montre l’extrême vulnérabilité de la région à tout propos jugé intempestif. A peu de choses près, la fausse dépêche de l’agence a failli réduire à néant tous les acquis positifs d’une mission que Louis Michel a conduite d’une manière remarquablement professionnelle et équilibrée, tout au long de son périple.

Sa tournée au Proche-Orient a pris fin le mercredi 25 avril à Damas (Syrie), après un marathon d’une semaine qui l’avait conduit préalablement en Egypte, au Liban, en Jordanie, en Israël et dans les territoires de l’Autorité palestinienne. Pour le chef de la diplomatie belge, il s’agissait d’une importante mission d’information menée dans la perspective de l’accession de la Belgique à la présidence tournante de l’Union européenne (UE), du 1er juillet au 31 décembre 2001.

Cette prise de contact avec le terrain était bien nécessaire alors que tout indique que la dégradation de la situation au Proche-Orient, constante depuis le début du soulèvement palestinien, fin septembre 2000, constituera le plat de résistance de la diplomatie européenne durant les six derniers mois de l’année.

Chaque semaine qui passe le démontre davantage : entre les actions de harcèlement menées par les Palestiniens et la répression de plus en plus meurtrière que leur oppose l’armée israélienne, l’escalade de la violence menace toute la région de développements aux conséquences imprévisibles.

L’inquiétude des voisins arabes d’Israël est à la mesure des attentes qu’ils formulent à l’égard de l’Union européenne. De l’Egypte au Liban, en passant par l’Autorité palestinienne, tous sont, en effet, singulièrement échaudés par l’isolement de la cause palestinienne, tel qu’il apparaît depuis les pourparlers de paix infructueux menés à Camp David (Etats-Unis), l’an dernier, à l’initiative de la diplomatie américaine. Le sentiment qui prévaut dans les capitales arabes est que les dés étaient pipés, dès le départ, en raison de la « complaisance excessive » que Washington manifeste à l’égard des positions israéliennes.

L’Europe peut faire davantage

Aussi l’Europe leur apparaît-elle comme un recours susceptible de corriger quelque peu le déséquilibre dont pâtissent les Palestiniens dans les enceintes diplomatiques aptes à peser sur l’évolution du dossier. Le souhait de voir l’Union s’impliquer davantage dans la recherche d’une solution pacifique au conflit du Proche-Orient est pratiquement unanime. Mais, à côté de la prudence feutrée des entretiens diplomatiques, des propos plus critiques se font jour. « Pourquoi l’Europe réagit-elle si peu et si mollement aux agressions d’Israël? » : cette question, posée à Louis Michel par une journaliste égyptienne, résume assez bien un sentiment largement répandu dans les pays arabes, où l’UE est ressentie comme très indolente.

Face à cette impatience, le chef de la diplomatie belge a répété inlassablement la leçon de pédagogie diplomatique dont il n’a dévié à aucun moment de son périple. En bref et en très résumé : non, l’Europe n’est pas indifférente à ce qui se passe ici. Elle se sent très concernée, non seulement pour des raisons éthiques, mais aussi parce que l’escalade de la violence au Proche-Orient peut affecter sa propre sécurité. Non, l’Europe n’est pas absente : c’est elle qui assure l’essentiel du financement de l’Autorité palestinienne. Oui, l’Europe est disposée à s’impliquer davantage. Mais elle doit se garder d’afficher des positions trop favorables à l’une ou l’autre des parties en conflit, sous peine de perdre sa qualité de médiatrice potientielle aux yeux de l’autre partie. Oui, l’Europe peut faire davantage, mais elle ne doit pas jouer cavalier seul et prendre des initiatives sans concertation avec Washington. Oui, l’Europe est un concept politique relativement avancé. Mais il n’est pas achevé : nous ne sommes pas les Etats-Unis d’Europe. Différentes sensibilités se manifestent au sein de l’Union et les décisions ne s’y prennent pas à la majorité des voix : il faut plutôt s’efforcer de convaincre et chercher le consensus.

Affirmation constante de cette volonté d’équilibre et d’équidistance entre les Arabes et les Israéliens. Professions de foi colorées : « Je pratique la méthode Coué de l’optimisme » et « Je suis persuadé qu’il existe une fatalité positive. » Ou, encore : « Je deviens diplomate! »

Il n’empêche : la prudence était de mise avant d’aborder la visite en Israël, où certains soupçonnent Louis Michel de sympathies propalestiniennes. A l’origine de cette suspicion : l’incident qui, il y a deux mois, avait créé une certaine tension entre Bruxelles et Jérusalem.

Recevant un émissaire du nouveau Premier ministre israélien Ariel Sharon, Michel s’était autorisé à lui faire part des réserves et des critiques que l’attitude israélienne suscite en Belgique, notamment dans les milieux parlementaires. Mais les propos du chef de la diplomatie belge, pourtant censés confidentiels, s’étaient retrouvés étalés, les jours suivants, dans la presse israélienne. D’où l’émoi, dans ce pays où toute prise de distance un brin critique est presque automatiquement ressentie comme une manifestation d’hostilité caractérisée.

Le malentendu avec Israël est-il dissipé ? Louis Michel a, en tout cas, tout fait pour démontrer aux uns et aux autres que sa position est rigoureusement équilibrée, et que la présidence belge de l’UE ne peut en rien être préjudiciable à Jérusalem. Bien sûr, aucun miracle ne s’est produit et il faudra du temps pour qu’un véritable processus de paix redémarre au Proche-Orient. En attendant, l’Europe peut-elle contribuer à apaiser la tension en ouvrant de nouvelles passerelles de dialogue entre Arabes et Israéliens ? C’est l’objectif de la diplomatie belge et Louis Michel a fait le maximum en ce sens, tout au long d’un parcours sans faute.

Jacques Gevers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire