Prêt à tout

Son objectif, c’est l’Elysée en passant par la case Matignon. En attendant, l’homme fort du gouvernement français doit prouver qu’il est un bon ministre de l’Intérieur et canaliser son impatience. Enquête sur une ambition et premier bilan d’une politique.

Le 31 mai, Manuel Valls arpente les allées d’une cité marseillaise des quartiers Nord, célèbre pour ses règlements de comptes sanglants. Au Clos-la-Rose, escorté par une nuée de policiers en civil, le ministre français de l’Intérieur est venu s’assurer que la température a baissé depuis que les camions de CRS stationnent entre les barres d’immeuble.  » Tu sais qui je suis ?  » lance-t-il à un garçonnet, blotti contre sa mère, à l’entrée du grand ensemble. Le petit ignore l’identité du visiteur. Manuel Valls s’accroupit sur le trottoir pour se mettre à la hauteur du gamin. D’une voix caressante :  » Je suis le chef de la police… Tu vois Superman, Spiderman ?  »

Le premier flic de France ne mégote pas sur les comparaisons. Face aux bons sondages, la personnalité politique préférée des Français a du mal à canaliser son ambition, de celles qui transforment une vie en destin. Depuis longtemps, Manuel Valls attend que l’Histoire bascule et savoure, aussi silencieusement qu’il le peut, les compliments de cette gauche qui le loue et les attaques de circonstance de cette droite qui a du mal à cacher son admiration.

Au Clos-la-Rose, pourtant, la réalité le rattrape. Manuel Valls entre dans un hall, croise quelques rares passants, puis hâte le pas – un citron vient d’être jeté depuis une tour en direction du ministre, ratant sa cible de quelques mètres et s’écrasant dans un bruit sec contre le capot d’une Citroën. On remonte en voiture. Le convoi file vers la cité Air-Bel, de triste réputation, dans l’est de la ville. Depuis son accession aux responsabilités, il y a un an, l’homme qui veut reconquérir les territoires délaissés de la République, avec son discours sur l’autorité et les valeurs de la laïcité, passe le plus clair de son temps sur le terrain. Ses services ont compté 183 déplacements. Spider-Valls tisse sa toile. Chaque fois, il visite une gendarmerie, un commissariat et il reste souvent dormir dans les appartements officiels des préfectures. Il lui arrive, certaines nuits, d’embarquer avec la brigade anticriminalité (BAC) du coin.  » Je veux marquer de mon empreinte le ministère de l’Intérieur « , confie-t-il au Vif/L’Express.

Son souhait : ne pas changer d’affectation

Ce printemps, l’homme fort de l’équipe de Jean-Marc Ayrault a vraiment cru que François Hollande allait remanier le gouvernement. Son souhait, alors, était clair : ne pas changer d’affectation.  » Excepté Matignon, il n’y a rien de plus passionnant que le ministère de l’Intérieur « , explique-t-il. Excepté Matignon… Manuel Valls ne cache pas son jeu. Il estime qu’il lui faut encore  » trois ans  » pour achever sa mission Place Beauvau. En 2015, après les élections régionales, une autre étape s’ouvrira. Lors d’une rencontre avec les lecteurs du quotidien La Provence, en marge de sa tournée marseillaise, il lâche :  » Si demain, on me proposait d’autres responsabilités, je les assumerais, bien évidemment. J’ai toujours pensé que j’avais la capacité d’assumer les plus hautes responsabilités de mon pays.  »

En attendant son heure, Manuel Valls est tenaillé par l’obsession de durer. Jusqu’en 2015 pour briguer Matignon –  » Il pense que cela va se jouer entre Martine Aubry et lui « , assure un proche. Jusqu’à la présidentielle de 2022, ensuite, après l’éventuel second quinquennat de François Hollande.  » Dans les séminaires gouvernementaux, on l’entend moins, note un ministre. Il est plus effacé qu’avant, ne s’exprime que sur la sécurité. Peut-être a-t-il peur de se brûler les ailes ?  » Il se montre d’une loyauté totale à l’égard de Jean-Marc Ayrault, pour ne pas sembler vouloir déloger dès à présent le locataire de Matignon.  » J’ai une relation de bonne qualité avec lui « , résume mollement Valls. Au sein du PS, il a placé des affidés (Carlos Da Silva, Luc Carvounas) aux postes-clés, mais il refuse de structurer le moindre courant. Il veut jouer l’élève exemplaire du hollandisme – lui qui fut longtemps le plus virulent détracteur de l’ex-premier secrétaire du PS. Se rendre incontournable. Et cela fonctionne.  » Chaque fois que je passe une heure en compagnie de Manuel, il reçoit sur son portable un appel du président de la République « , note un député.

Dans sa longue marche, Manuel Valls s’agrippe à son ministère comme à une rampe. Ce qu’il craint par-dessus tout, c’est la  » glissade « . Une bavure, une mort de gendarme qui aurait pu être évitée, une manifestation qui dégénère, comme au Trocadéro, à Paris. Son caractère bouillonnant est son autre ennemi. Le ministre a des colères irrépressibles. Le 13 novembre, il s’écharpe avec la droite à l’Assemblée nationale, allant jusqu’à l’accuser de n’avoir rien fait contre le terrorisme. Ses camarades lui soufflent :  » Reprends le micro et excuse-toi.  » Le ministre :  » Jamais !  »

Manuel Valls est opiniâtre, entêté, orgueilleux. Lors de l’interview du 31 mai à La Provence, un ancien flic, Marc La Mola, fait partie du panel de lecteurs. Auteur d’un livre à charge, il s’en prend au fonctionnement de la police. L’ex-maire d’Evry crispe ses maxillaires, explose en entendant les critiques :  » Je suis méditerranéen et je vais donc répondre avec mes mots, rugit le ministre. Il y a des policiers qui ont arrêté quelqu’un qui s’en était pris à la police à la Défense (NDRL : en fait, un militaire agressé par un islamiste présumé). Ce sont des nuls ?  » Il marque un silence.  » La police judiciaire arrête l’un des plus gros voyous de ce pays (NDLR : Redoine Faïd) en moins de six semaines. Ce sont des nuls ?  » Il enchaîne les uppercuts :  » Je ne demande pas à la police d’écrire des livres, mais d’avoir des résultats.  »

Des résultats ? Son bilan reste incertain, face à une délinquance qui s’immisce dans des territoires naguère épargnés. Sainte-Foy-la-Grande, dans la Gironde (sud-ouest de la France). Une bourgade médiévale de 2 500 âmes, non loin des vignobles. Depuis quelque temps, les bijoutiers ont des sueurs froides quand ils ferment leur boutique, à cause des braquages qui se multiplient à la tombée de la nuit. Manuel Valls fait la tournée des commerçants, le 30 mai. Les élus, qui le reçoivent ensuite à la mairie, n’en reviennent pas :  » Cette visite en pays foyen fera date, on n’avait pas vu de ministre ici depuis Robert Boulin (dans les années 1970) « , dit un élu.  » Non, Georgina Dufoix, en 1985 « , corrige un autre édile. Ici, le Front national, jadis inexistant, commence à faire son lit.

Le ministre a créé là, en plein territoire semi-rural, une zone de sécurité prioritaire (ZSP).  » La France est un pays magnifique, un pays unique, souligne-t-il devant les élus. On doit pouvoir vivre dans ces villages tranquillement. Autour des valeurs qui nous rassemblent.  » Les cloches de l’église ponctuent le propos. Un proviseur de collège prend la parole.  » Depuis trois ans, je constate la montée du communautarisme chez les élèves.  » Valls :  » Je suis ministre de l’Intérieur mais aussi des cultes. J’ai moi-même été l’élu d’une ville multiconfessionnelle, Evry. Il y a une population qui arrive dans des villes comme les vôtres. Le choc culturel et social est très profond. Il faut désigner le défi si on veut s’y attaquer.  » A la sortie, une foule l’attend.  » Bravo pour votre action !  » clame un retraité. Dans la rue de la République, il y a un gamin avec sa mère, qui regarde le spectacle. Il s’appelle Luigi. Quand Manuel Valls s’approche du petit garçon, il n’a pas besoin d’évoquer les superhéros. Le môme le montre du doigt :  » Toi, je t’ai vu à la télé !  »

PAR MARCELO WESFREID

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