Toulouse. Mercredi 21 mars, 3 h 10
Clang. A 3 h 10, mercredi 21 mars, la porte de l’immeuble du 17, rue du Sergent-Vigné vient de se déverrouiller. Ce claquement sourd est un premier soulagement pour les hommes du Raid. Dans l’après-midi, l’un de leurs collègues, appartenant au renseignement toulousain, a dégoté le » passe » de l’immeuble. Il leur a remis la carte magnétique sans être en mesure de certifier qu’elle allait fonctionner correctement. [à]
En tenue d’intervention, vêtus de noir et casqués, les policiers progressent maintenant en colonne, longent les boîtes aux lettres et tournent à l’angle du couloir plongé dans l’obscurité. A 2,50 mètres au-dessus de leur regard, ils distinguent la ligne franche du palier. Une volée de marches, une dizaine tout au plus. Porte de gauche : ils y sont.
Clang. Dans ce petit immeuble mal insonorisé, le verrou de la porte d’entrée en se désaimantant résonne comme dans un hall de gare. Au premier, on entend les voix étouffées d’une fin de soirée entre jeunes.
Dans son appartement équipé comme pour un siège, Mohamed Merah tend l’oreille. Il s’est préparé, installant des matelas et un sommier à lattes contre les fenêtres, elles-mêmes occultées par des volets en fer constamment fermés. [à]
Quelque chose cloche. Les flics ? Déjà ? Merah en a bientôt la confirmation, lorsqu’il entend un grattement, là, tout contre sa porte, comme un chat qui se ferait les griffes. Deux policiers viennent de poser un système d’ouverture de porte hydraulique, baptisé Door-Raider, qui se déclenche à l’aide d’une bouteille de gaz. Pour assurer une prise solide, il faut au préalable le positionner soigneusement contre le chambranle. Un policier a déjà en main le dispositif permettant de libérer la pression et de souffler la porte vers l’intérieur. Mais soudain le panneau de bois éclate de part en part. Derrière la paroi, Merah a ouvert le feu. Il ne s’est pas embarrassé de sommations. Il est 3 h 12. [Deux hommes du Raid sont blessés. L’un d’eux a reçu une balle au niveau du genou, l’autre dans son casque en Kevlar.] Depuis sa planque, Mohamed Merah, surexcité, nargue les policiers. » Approchez ! Venez, je sais ce que j’ai à faire ! J’en ai pas tué assez ! Je suis le messager d’Allah et je soutiens Al-Qaeda ! Je veux taper la France ! » Un enquêteur de la PJ a le réflexe de saisir son iPhone pour enregistrer ces paroles, ses premières revendications.
[à] A 7 heures, Merah demande à parler à un policier toulousain qu’il a rencontré quatre mois auparavant. Karim (1), un brigadier appartenant à la Direction régionale du renseignement, passe pour un enquêteur d’expérience : voilà près de vingt ans qu’il s’est engagé dans la boîte, d’abord aux Renseignements généraux puis à la DCRI. Il a débriefé Mohamed Merah à son retour du Pakistan, quatre mois auparavant. Sans jamais détecter sa dangerosité réelle. A l’époque, le courant semblait être passé entre les deux hommes. Karim est maintenant dans l’appartement voisin, réquisitionné pour servir de PC opérationnel au Raid. Il lance : » Momo, c’est moi. Tu m’entends ? «
Un échange s’engage entre Mohamed et Karim, tantôt en français, tantôt en arabe, devant des voisins médusés qui se souviennent, presque mot pour mot, de leur dialogue. Parfois, la discussion tourne au discours théologique sur le recours à la violence selon le Coran. Le jeune djihadiste cherche à en imposer. [Plus tard, il lancera au policier : » Si tu es musulman, moi, je suis cosmonauteà « ] – Salut Karim. Tu n’as rien vu venir, hein ? T’as vraiment pensé que j’allais faire du tourisme au Pakistan ?
(1) Le prénom du fonctionnaire a été modifié afin de préserver son anonymat.