POURQUOI TOCQUEVILLE FAIT PEUR AU RÉGIME CHINOIS

Lorsque Super Girl, l’équivalent chinois de Nouvelle Star, a été lancé par Hunan TV dans la province d’origine de Mao, la chaîne a reçu 120 millions de votes par téléphone. Vous avez bien lu : près de dix fois la population belge !  » Cette expérience de suffrage universel direct, dérangeante pour les autorités, a été interdite ensuite « , explique un producteur de la télévision chinoise. Un peu plus tard, lors du Dating show Fei cheng wu rao ( » Si tu es l’élu « ), Ma Nuo, une Pékinoise de 22 ans, a écarté les avances d’un garçon de basse extraction en lui disant :  » Je préfère pleurer à l’arrière d’une BMW que sourire sur ton vélo.  » Depuis, les producteurs de télé-réalité ont reçu une nouvelle consigne : éviter de véhiculer des valeurs trop matérialistes. Mais, en Chine, si l’on doit se garder de tout phénomène de masse et gommer l’appétence pour l’argent, on fait de la télé, pas de la réalité…

Rien de tel que la télé-réalité pour comprendre la Chine d’aujourd’hui. Le train de 60 réformes lancé par le président Xi Jinping il y a quelques semaines, qu’on appelle là-bas  » la Décision  » (un nom de jeu télévisé !), s’inscrit dans ce double contexte de reprise en main et de moralisation. Il s’agit d’une ouverture économique et d’une fermeture politique. Ces dernières années, la Chine semblait s’acheminer vers un pouvoir politique plus collégial. Xi Jinping a inversé la tendance. Son Premier ministre est à peine audible. Xi Jinping sera certainement le leader le plus puissant depuis Deng Xiaoping.

La Décision est bien plus qu’une opération de communication de sa part : le combat affiché contre la corruption des cadres du Parti – officiellement contre  » la bureaucratie, l’hédonisme et l’extravagance  » – a immédiatement changé les habitudes. Le secteur du luxe et celui des alcools, sur lesquels les Français sont en pointe, souffrent au premier chef, car les cadeaux deviennent plus rares et les banquets de travail sont moins fréquents et plus sobres. Même le look des managers a changé. Un homme d’affaires français revenu à Pékin après deux mois d’absence a eu un choc : tous ses interlocuteurs avaient troqué les costumes griffés chics contre des jeans et des doudounes ! En Chine, procéder à une ouverture économique suppose de tenir le pays d’une main ferme afin d’affaiblir l’aile conservatrice du Parti. Autrement dit, pour faire des réformes économiques, il faut verrouiller la situation politique.

En matière économique, la Décision vise à doter la Chine d’une véritable panoplie lui permettant de poursuivre son ascension vers la première place mondiale. Certains secteurs vont être ouverts à la concurrence, et l’Etat laissera le marché jouer un plus grand rôle. Le yuan, qui vient de souffler à l’euro sa deuxième place dans la finance commerciale mondiale, avance vers une vraie convertibilité. Des banques privées vont voir le jour. L’assouplissement de la politique de l’enfant unique, pour relancer la démographie, et la réforme du hukou (permis de résidence), qui facilite les installations en zone urbaine, favorisent la consommation.

Mais, si la fermeture des camps de rééducation par le travail est un geste encourageant pour les droits de l’homme, personne ne parle pour autant de perestroïka. Ce n’est pas par hasard que, depuis deux ans, le deuxième grand livre d’Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, est devenu un best-seller en Chine, où il se vend même dans les gares. Il démontre, à la lumière de la Révolution française, que ce n’est pas pendant les longues périodes de pauvreté, mais au contraire lorsqu’on sort des phases de fort essor économique, qu’éclatent les révolutions. S’il a raison, De la démocratie en Amérique n’aura jamais d’équivalent chinois. Car le verrou politique n’est pas près de sauter.

par Christine Kerdellant

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