La secte OKC a été fondée dans les années 1970. En haut de la photo, Robert Spatz, le gourou. © DR

Pourquoi n’arrive-t-on pas à juger les sectes ?

Le Vif

Le troisième procès de la secte bouddhiste OKC débute ce 20 février devant la cour d’appel de Liège. Sauvé des eaux par la Cour de cassation, ce dossier est le dernier avatar d’une incapacité belge à obtenir des condamnations des mouvements sectaires.

Retour au coeur des années 1990. Les journaux télévisés regorgent d’images sidérantes de massacres et suicides collectifs au sein de communautés retranchées. Le siège de Waco, l’Ordre du Temple solaire et bien d’autres s’incrustent dans les rétines et impressionnent l’opinion. Le monde politique embraie : il faut agir et contenir les mouvements sectaires nuisibles ! Traversée par ce phénomène (Ecoovie, les Trois saints coeurs, Nation libre…), la Belgique organise en 1997 une commission d’enquête parlementaire sur les pratiques illégales des sectes. Avec un impact direct sur les forces de police et les parquets.

C’est ainsi qu’en 1997, deux dossiers judiciaires emblématiques voient le jour. Il s’agit des enquêtes portant sur l’Eglise de scientologie de Belgique puis de la secte bouddhiste OKC ( lire l’encadré) et de son gourou, le lama Robert Spatz. Toutes deux ont fait l’objet d’un considérable déploiement de moyens.  » Le groupe d’assaut avait arrêté Robert Spatz, des hommes du Fast ( NDLR : la section de la police fédérale en charge de la traque des fugitifs) sont descendus depuis un hélicoptère par les fenêtres de toit de sa maison. Ils étaient persuadés de se retrouver avec un Waco à Uccle « , sourit Quentin Wauters, avocat de Robert Spatz, mais aussi de la scientologie.

Vingt-trois ans plus tard, que s’est-il passé ? L’enquête sur la scientologie a abouti à un naufrage judiciaire mémorable. Après un procès qui a vu le magistrat fédéral en poste se noyer dans un dossier mammouth, tentant de faire le procès de l’idée même de la scientologie plutôt que de chercher à établir des faits punissables par la loi, le juge Yves Régimont avait conclu à l’irrecevabilité totale des poursuites intentées contre l’Eglise de scientologie et de onze de ses membres. Le parquet fédéral n’a même pas fait appel de la décision, dès lors devenue définitive en 2016.

Des leçons à tirer du passé

Quant au procès de la secte OKC, il a failli prendre le même chemin. En 2016, le tribunal correctionnel de Bruxelles a condamné Robert Spatz à quatre ans de prison avec sursis pour abus sexuels, prise d’otage d’enfants, et blanchiment d’argent, entre autres. L’OKC et Spatz avaient aussi été condamnés à plus de quatre millions et demi d’euros de peine de confiscation.

Comment, en 2020, juger la vie d’une communauté mise en place en 1975, soit des hippies revenus de Katmandou ?

Mais le gourou a fait appel. Et a tout gagné : la cour d’appel de Bruxelles, présidée par l’ex- et l’actuel premiers présidents Luc Maes et Laurence Massart, a également prononcé l’irrecevabilité totale des poursuites, en 2018. En cause, l’action du procureur et de l’enquêteur social, le fait que les victimes ont été entendues sans respect du contradictoire. Pour la cour, ces irrégularités avaient  » atteint de manière irrémédiable le droit des prévenus à un procès équitable « . Mais, au printemps dernier, l’arrêt a été cassé et tout ce beau monde renvoyé à Liège, ce jeudi 20 février, pour un troisième procès à l’issue très incertaine.

Si le dossier OKC a été – jusqu’ici – sauvé des eaux, il a lui aussi pâti d’énormes erreurs. Et il arrive si tard devant la cour qu’il semble pour certains vidé de son sens.  » Comment faire pour, en 2020, juger la vie d’une communauté mise en place en 1975, soit des hippies qui reviennent de Katmandou vivant dans une utopie visant à ne rendre aucun compte à l’extérieur de la communauté ? C’est une distorsion d’époque complète « , pointe Quentin Wauters. Les premiers faits relevés par l’enquête datent en effet des années 1980. Et si le dossier a rebondi en 2016, c’est grâce à l’obstination de dizaines d’anciens enfants de membres de l’OKC qui, une fois adultes, se sont constitués parties civiles, en dernière minute.

Pour Dimitri de Béco, avocat de ces parties civiles, juger une secte reste  » possible. Mais il y a des leçons à tirer du passé. Dès le début de l’enquête judiciaire, il faut cibler mieux et plus vite. Le parquet et moi ne dénonçons pas les sectes, mais des crimes et infractions précises. Ce ne sont pas des idées qui sont jugées mais les actes d’un homme « , assume-t-il.

L’avocat général Jean-François Godbille, qui fut auditionné en 1997 par la commission d’enquête parlementaire, représentera le ministère public lors du procès liégeois de Robert Spatz. Lui aussi reconnaît la marche à suivre.  » Le piège est de vouloir appréhender l’ensemble d’un phénomène, de vouloir s’enfermer dans une conception religieuse. On tombe alors dans une querelle sémantique et philosophique « , commente-t-il.  » Pour prouver l’extorsion ou l’escroquerie, il ne faut pas démontrer que le discours religieux est une fumisterie. Il faut démontrer que ce discours et ses finalités ne sont pas compatibles avec les flux financiers observés. « 

Aujourd’hui, regrette une source versée dans l’observation des phénomènes sectaires, les moyens policiers et de la Sûreté de l’Etat pour lutter contre les organismes nuisibles sont à la baisse. Ce qui a pour conséquence le sentiment diffus, dans l’opinion, que ces menaces ont disparu. Cependant, d’autres affaires judiciaires sont nées ces derniers mois en Belgique. Ainsi, le parquet de Namur a ouvert une instruction judiciaire contre X pour assassinat, dans le cadre du décès, en 2011 à Hastière, d’une Belge de 39 ans appartenant à la communauté du gourou Joël Labruyère (ex-Nation libre, animant aujourd’hui la secte de tendance extrême droite des Brigandes, dans le sud de la France).

De la même manière, le parquet fédéral a ouvert une instruction judiciaire dans le cadre de dénonciations de dizaines d’abus sexuels sur mineurs dans la mouvance des Témoins de Jéhovah. Selon une source judiciaire, l’enquête ne s’attarde pas sur la communauté mais bien sur la manière dont elle a traité les informations sur ces abus sexuels. La preuve qu’au moins une leçon a été retenue des derniers naufrages judiciaires belges sur les mouvements sectaires.

Par Julien Balboni.

OKC, le procès d’un gourou absent

Ce 20 février débute devant la cour d’appel de Liège le troisième procès de Robert Spatz, ou lama Kunzang Dorje, et de sa secte OKC (Ogyen Kunzang Chöling). L’affaire est née en 1997 autour de dénonciations d’abus sexuels commis par Spatz. Le juge d’instruction Jean-Claude Leys s’était aussi attaché au volet financier, démontrant que le gourou s’était enrichi personnellement au détriment de sa communauté. Retiré en Espagne, malade, Robert Spatz s’est vu refuser par la cour d’appel de Liège de pouvoir s’expliquer via la visioconférence. Pour son avocat, Quentin Wauters, ce dossier est unique, truffé de  » choses qui ne se sont jamais vues « . L’avocat des parties civiles, Dimitri de Béco, ne vise, quant à lui, qu’un seul but :  » Ce qui m’intéresse, c’est que Robert Spatz, un escroc, un violeur et un manipulateur, soit condamné pour ce qu’il a fait.  » Le procès devrait se tenir jusqu’au mois de mai. Pendant ce temps, la communauté continue à exister et ses trois commerces (restaurant, produits bio) ont toujours pignon sur rue à Bruxelles, rue de Livourne.

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