Pourquoi Magnette frustre et agace

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

SNCB, Poste, Belgacom : des semi-Etats dans l’Etat. A leur tête : un ministre des Entreprises publiques aux ailes rognées. Face à lui : des parlementaires frustrés, soupçonneux devant une telle impuissance. Paul Magnette l’assume, la revendique même. Le socialiste en use avec savoir-faire dans la saga Bellens chez Belgacom.

Il avait bien prévenu, dès son entrée en fonction :  » Ce n’est pas le ministre qui établit les horaires de la SNCB.  » Inutile d’encombrer l’agenda parlementaire de Paul Magnette (PS) des mille et un petits soucis quotidiens qui accablent le rail, la distribution du courrier ou le téléphone.

Incorrigibles parlementaires. Le train-train a le dessus. L’avenir de la ligne 163, des modifications d’horaires et les suppressions des trains sur la ligne 162 Namur- Ciney, la gare de Merelbeke et la rénovation de ses quais, une locomotive défectueuse à Genk, une grève sauvage à la cabine de signalisation d’Anvers-Berchem…  » En 2010, pas moins de 800 questions parlementaires, souvent techniques, ont été posées sur la seule SNCB. Quel sens y-a-t-il de revenir cent fois sur le retard subi par tel train, sur telle ligne, à telle heure ? Un peu d’autodiscipline ne ferait pas de tort « , admet le sénateur MR François Bellot, attentif aux vrais heurs et malheurs du rail belge.

Trop de questions tuent la question. Et minent l’institution.  » Il y a une dérive de la pratique des questions orales. On veut me faire répondre sur des tas de sujets qui n’ont pas lieu d’être. Le Parlement s’affaiblit « , regrette Paul Magnette.

Au bout du compte, beaucoup de déçus chez les élus. Qui s’en repartent frustrés, avec des réponses  » copier-coller « , fournies avec les bons v£ux de la SNCB, de Belgacom ou de bpost.  » Dans 90 % des cas, le ministre livre la version des faits préparée par les entreprises publiques, que son cabinet n’a pas les moyens de contrôler « , relève un sénateur.

Tant pis pour eux, s’ils ne veulent pas comprendre ce qu’est devenu un ministre des Entreprises publiques au XXIe siècle. Paul Magnette n’a qu’un conseil à leur donner.  » Relisez la loi de 1991. Le rôle du gouvernement est extrêmement limité ; c’est un rôle de nomination, de contrôle du maintien des intérêts de l’Etat, et un rôle de sanction en cas tout à fait exceptionnel. On ne peut pas dire que les entreprises doivent être autonomes, puis demander au ministre d’intervenir à tout moment. Nous l’avons voulu. « 

Deux frustrations sur 400 questions

Heureusement, il arrive encore que le débat prenne de la hauteur et glisse sur des enjeux majeurs. Là, Paul Magnette a l’occasion de montrer plus d’envergure. De faire autre chose que de la figuration. Sans langue de bois. Si c’est possible. Ce jour-là, en commission parlementaire, la discussion roule sur la politique d’embauche de bpost, en particulier sur le sort réservé à ses contractuels. On aborde aussi l’impact des aides publiques que doit rembourser l’entreprise postale, sur injonction de l’Europe. Et voilà que Denis Ducarme pique sa crise. Connu pour son caractère trempé, le député MR y va d’une tirade bien sentie.  » Je n’ai obtenu aucune réponse à des questions pourtant extrêmement précises. Je reconnais que le ministre n’a pas eu d’expérience au parlement. J’ignore si je dois lui faire porter le bouquin d’usage qui doit être pris en compte quand on est ministre et que l’on répond à des parlementaires. S’il s’obstine à ne pas répondre, peut-être aurait-il mieux valu qu’il endosse l’écharpe de maïeur de Charleroi ! « 

Et toc. L’ex-politologue de gauche ne reste pas sans réaction, cherche plutôt querelle sur le terrain idéologique : que le MR plaide plutôt pour améliorer les dotations aux entreprises publiques, au lieu de vouloir couper dans les dépenses de l’Etat. La droite qui se met du côté des postiers, à présent ? On aura tout vu… Pour Ducarme, c’est tout vu.  » C’est donc la faute au MR ! C’est vous qui êtes ministre, vous qui devez assumer ! Ne cachez pas votre impuissance en rejetant, de manière un peu « bac à sable », la faute sur d’autres !  » Serait-ce donc le genre de Magnette ?

L’incident est clos. Le ministre a obtenu réparation.  » J’ai reçu les excuses officielles de la députée Valérie De Bue [NDLR : membre MR de la commission] et d’Olivier Chastel « , confie le ministre au Vif/L’Express.

Mais Ducarme n’en démord pas. Ses mots n’ont pas dépassé sa pensée. Magnette ne se montre pas à la hauteur.  » Que je sache, le pouvoir politique garde une capacité d’intervenir dans ces entreprises où l’Etat reste l’actionnaire majoritaire. Nous sommes en droit d’attendre que le ministre de tutelle montre cette capacité de l’Etat de peser encore sur certaines décisions. Que Magnette se mette un peu en danger. C’est un minimum !  » En danger… L’exhortation a fusé de la bouche du sénateur Bert Anciaux (SP.A), autre frustré par une réponse ministérielle signée SNCB.  » J’ai beaucoup d’estime pour vous, monsieur le ministre, mais vous allez devoir apprendre à imposer votre volonté à la SNCB et non le contraire. Cette société devrait être reprise fermement en main. La SNCB n’a qu’un seul maître, c’est vous. « 

C’est mal parti ? Bert Anciaux laisse le bénéfice du doute à Paul Magnette. Un regard tout de même inquiet dans le rétroviseur.  » Je ne vois pas encore assez clair dans le jeu de Paul Magnette. Mais il doit choisir, prendre attitude. Et vite. Sous peine d’être gagné par la frustration qu’a connue Inge Vervotte, qui l’a précédé au poste. « 

 » Bah ! Deux frustrations sur 400 questions traitées depuis mon entrée en fonction  » : Paul Magnette s’accorde un bilan plus qu’honorable. C’est un peu vite oublier que Belgacom fait grimper le compteur du côté des mécontents. Belgacom : voilà une belle occasion de clouer le bec à tous ces détracteurs qui soupçonnent un peu vite le ministre socialiste de ne pas assez s’imposer.

Profondément agacé

Sale histoire. Le grand patron de l’opérateur de télécoms, Didier Bellens, reste dans l’£il d’un cyclone qui a du mal à faiblir. D’abord, ce lamentable crêpage de chignons au sommet de l’entreprise : une interminable saga d’ex-collaboratrices proches du CEO, virées en cascade sur fond d’accusations de harcèlement et de règlements de comptes. Puis, cette inculpation du big boss pour corruption passive. Enfin, ces contrats de sponsoring de Belgacom en région montoise, qui éveillent les soupçons. Tout cela devient fâcheux. Appellerait une réaction politique, à la mesure des dégâts infligés à une boîte où l’Etat a encore son mot à dire. Même Karine Lalieux, députée PS, ne s’y est pas trompée, en janvier dernier.  » Le pouvoir public ne peut assister impuissant à une saga qui continue à démolir l’image de cette belle entreprise. « 

 » Faites quelque chose, monsieur le ministre !  » se sont impatientés les parlementaires, tout déconfits par les explications que leur a données Didier Bellens à la Chambre. Magnette n’est pas resté de marbre :  » Je suis profondément agacé « , a-t-il osé. Et cette parole n’est pas à prendre à la légère :  » J’ai beaucoup réfléchi avant de choisir le mot. « 

Avec la meilleure volonté du monde, impossible d’aller au-delà de ce vif courroux qu’il a répercuté à qui de droit.  » Un conflit de personnes relève de la gestion quotidienne, il n’y a pas lieu de faire intervenir directement l’autorité de l’Etat.  » Pas plus que de se mêler du sponsoring de Belgacom.  » Belgacom est une entreprise publique autonome, libre de mener sa propre politique de marketing. « 

Désolé, mais la loi est la loi. Face aux regards obstinément incrédules, Magnette a pris les députés à témoin :  » J’ai utilisé tous les moyens qui existent. Si vous étiez à ma place, que feriez- vous ?  » Certainement autre chose que d’afficher un coup de mou de circonstance, grincent plusieurs élus, de la majorité comme de l’opposition. Ceux-là ont du mal à reconnaître le Magnette combatif, volontaire, qui s’était présenté devant eux lors de son entrée en fonction. Ils sont convaincus que ce dossier Belgacom, le ministre  » ne le sent pas. « 

 » Je perçois une volonté politique de ne pas vouloir se mêler de cette affaire. Magnette se disait prêt à s’attaquer aux rémunérations des grands patrons, à mettre fin aux parachutes dorés : or les parachutes dorés qui ont été offerts suite à la rotation de hauts responsables de Belgacom ont un coût direct et une incidence sur le budget de l’Etat. Paul Magnette utilise la loi de 1991 quand elle l’arrange. Alors que cette saga porte préjudice à la mise en £uvre des tâches de service public, il y a une frilosité qui me laisse perplexe « , s’interroge Catherine Fonck (CDH).

 » Après la catastrophe de Buizingen, Inge Vervotte a été très loin dans la mise en £uvre de mesures qui pouvaient relever de la gestion interne de la SNCB. Là, il y avait une volonté politique d’intervenir dans le débat. Ici, c’est plutôt la courbe rentrante. Comme si, dans le cas de Belgacom, Magnette se mettait dans l’incapacité d’intervenir dans le débat. A moins qu’on ne le mette dans cette incapacité « , renchérit l’Ecolo Ronny Balcaen.

Plus Dieu le père

Suivez les regards des mauvais esprits : Bellens sur le gril, le sponsoring montois sur la sellette. La galaxie PS, et son grand maître Elio Di Rupo, ne sont pas très loin.  » Se contenter de rencontrer l’administrateur délégué me semble un peu court. J’espère que vous allez vous ressaisir « , lançait Valérie De Bue à Magnette. Gros soupir de l’intéressé :  » La mauvaise humeur de députés, que je peux partager, ne suffit pas pour intervenir. « 

A ceux et à celles qui le prennent sur ce ton, le socialiste se fait un devoir et un plaisir de rappeler que le ministre des Entreprises publiques n’est plus Dieu le père tout puissant, autorisé à frapper tout qui s’écarte du droit chemin, à la SNCB, chez bpost ou chez Belgacom. Et que c’est avec la bénédiction des parlementaires qu’il en est ainsi.

Libre à eux de mettre fin à son impuissance. Mais franchement, Paul Magnette ne le leur conseille pas.  » Si vous voulez me donner le pouvoir d’intervenir dans la gestion quotidienne des entreprises publiques, de nommer et de démettre les directeurs et les administrateurs selon mon bon vouloir, je peux éventuellement être preneur. Néanmoins, je ne pense pas que ce soit la philosophie de cette loi. Le ministre n’a pas de pouvoir d’intervention directe au sein de l’entreprise, et c’est tant mieux. Heureusement, car on a voulu sortir d’une logique de politisation des entreprises publiques. Nous devons « vivre avec ». C’est sans doute sain.  » Et si c’est mieux pour tout le monde…

PIERRE HAVAUX

Paul Magnette :  » On a voulu sortir d’une logique de politisation. C’est sans doute sain « 

 » Je sens la volonté politique de Magnette de ne pas se mêler de l’affaire Bellens  » Catherine Fonck

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