Pourquoi les prix s’envolent

Face aux soubresauts de la Bourse et aux taux ridiculement bas des carnets d’épargne, la brique serait devenue la valeur refuge par excellence. Effet collatéral pour la génération montante, une hausse des prix qui rend plus difficile l’accès à la propriété. Et la situation ne devrait pas s’arranger avec le temps. Explications

Le Belge a une brique dans le ventre, c’est bien connu. Mais les jeunes aujourd’hui aux études pourront-ils encore demain perpétuer cette tradition installée chez nous depuis des générations ? Au vu de la hausse des prix de l’immobilier ces dernières années, on peut en douter. Ainsi, alors que les années 1980 montraient une évolution des prix de l’immobilier inférieure à la croissance des revenus réels des ménages, que la première moitié des années 1990 laissait apparaître une évolution à peu près concomitante, depuis 1998, l’évolution des prix de l’immobilier s’écarte ostensiblement de celle des salaires (voir graphique p. 44). La courbe des prix de l’immobilier s’est en effet envolée – les prix ont plus que doublé ! – alors que celle des salaires est restée relativement stable. Derrière ce phénomène, il faut pointer au moins une dizaine de raisons.

La hausse ? Une conjonction de causes…

La DLU. La déclaration libératoire unique a ramené au pays des masses importantes de capitaux, dont une part ont été réinvestis dans l’immobilier.  » Comparaison n’est pas raison, j’en conviens, mais c’est un peu comme à la veille de chaque week-end de Pâques, explique un agent immobilier du littoral. Les gens de l’intérieur du pays se demandent ce qu’ils pourraient bien faire durant ces quelques jours-là. Un petit saut jusqu’à la côte ? Et voilà comment, de La Panne à Knokke, le week-end de Pâques est, et de loin, celui qui draine le plus de monde à la mer. Avec la DLU, ça a été pareil. Vous n’imaginez pas le nombre de gens qui avaient de l’argent planqué au Luxembourg, auquel ils ne pouvaient pas toucher sans attirer sur eux les foudres du fisc. Grâce à la DLU, beaucoup de nos concitoyens se sont demandé comment se faire plaisir. Et vous n’imaginez pas le nombre d’entre eux qui ont opté pour s’offrir un bien à la mer, une manière intelligente à leurs yeux de blanchir en toute légalité – à bon compte – leur argent noir. Au littoral, l’effet de la DLU sur les prix de l’immobilier a donc particulièrement été tangible.  » Ajoutons aussi que la DLU est intervenue dans un contexte de taux d’intérêt bas. Face à la rémunération chiche des carnets de dépôt et dans une phase haussière de l’immobilier, nombre de détenteurs de capitaux ont alors remployé dans la brique – et pas seulement à la mer -leur argent rapatrié de l’étranger.  » C’est d’autant plus vrai que la pénalité appliquée était plus réduite s’il y avait remploi dans ce genre d’actif « , note Julien Manceaux, économiste chez ING Belgium.

Une fiscalité intéressante. La DLU n’explique évidemment pas tout. Il faut aussi évoquer la fiscalité, dont celle des revenus locatifs résidentiels qui reste attractive. Ainsi, ceux qui investissent dans la brique pour donner leurs biens en location à des fins privées sont toujours soumis à un niveau de taxation assez compétitif. Leur imposition est en effet calculée sur la base de 140 % du revenu cadastral indexé de l’immeuble donné en location, un calcul souvent très éloigné des loyers réellement perçus, particulièrement à Bruxelles et dans le Brabant. Cette vision des choses fait bondir le Syndicat national des propriétaires :  » Il faut intégrer, dans les calculs de rentabilité, le précompte immobilier indexé – et ses additionnels – qui, contrairement au précompte professionnel, n’est pas imputable sur l’impôt des personnes physiques, les taxes communales de toutes sortes et le fait que l’immobilier reste soumis à des droits de donation sans commune mesure avec ce qui est de mise dans le cadre de donations mobilières « , explique Olivier Hamal, vice-président du SNP. Comme véhicule de placement, l’immobilier reste intéressant au moment de la revente. En effet, au-delà d’une période de détention de cinq ans, la plus-value dégagée est complètement exonérée d’impôts.

La baisse des taux d’intérêt. En analysant une demande de crédit hypothécaire, le banquier veille à ce que la charge de remboursement n’excède pas une certaine quote-part du revenu disponible. Principe des vases communicants oblige, plus les taux d’intérêt baissent, plus les gens peuvent, à budget égal, emprunter davantage.  » Cela amène sur le marché nombre de gens qui, a priori, ne pourraient normalement pas se porter acquéreurs et cet afflux de candidats-acheteurs se fait sentir sur le niveau des prix « , poursuit Julien Manceaux (ING). Depuis la survenance de la crise financière, la politique menée par la Banque centrale européenne a finalement fait chuter sensiblement les taux d’intérêt à court terme et les banques ont répercuté cela sur les taux de leurs crédits hypothécaires à taux variables (voir graphique p. 45), singulièrement sur ceux révisables annuellement. Chez Test-Achats, on prévient déjà du danger qui se profile à ce niveau à l’horizon :  » En cas de reprise économique, les taux d’intérêt vont forcément remonter et nombre de consommateurs ne pourront plus faire face au remboursement des mensualités qui, dans certains cas, peuvent grimper au-delà de 40 %.  » Et Test-Achats de fustiger au passage la politique commerciale de certaines institutions financières :  » Le personnel et les intermédiaires se voient de plus en plus souvent imposer des objectifs de résultats les incitant à vendre un pourcentage déterminé de crédits à taux variables, même si cette formule est moins intéressante pour le consommateur à ce moment !  »

L’allongement de la durée des prêts. Face à la hausse des prix de l’immobilier, une des réactions du monde financier a été de proposer des crédits hypothécaires d’une durée allant au-delà des classiques vingt années, vingt-cinq ans par exemple.  » C’est une fausse solution, souligne le notaire Olivier de Clippelle. En réduisant la charge de remboursement mensuel par tranche de 25 000 euros empruntée, on augmente forcément la capacité d’emprunt, donc la demande et donc, au final, les prix.  » Pour cette ancienne figure de proue du SNP, l’allongement de la durée des crédits hypothécaires à 50 ans, comme le suggère pourtant l’ancien ministre Marc Verwilghen (Open VLD) dans une récente proposition de loi, ne serait qu’une mauvaise réponse à un vrai problème (lire à ce sujet Le Vif L’Express du 22 octobre, p. 52).  » Cette mesure, avec l’effet d’emballement qui en résulterait, est de nature à engendrer une bulle immobilière, à l’image de ce qui s’est passé récemment en Espagne « , en conclut-il.

L’apparition des formules flexibles. Face à l’incertitude entourant l’évolution des taux, les emprunteurs à taux variable peuvent, le cas échéant, compter sur un accord anticipé de l’institution financière d’allonger la durée du crédit, l’objectif étant de maintenir inchangée la mensualité à rembourser. Ce qui a permis à ceux qui hésitaient encore à franchir le pas.

La croissance des apports personnels. Même si les taux d’intérêt ont été tirés à la baisse, si la durée des crédits s’est allongée, les candidats-acquéreurs ont toujours mis la main à la poche – ou à celle de leurs proches – pour boucler leur budget d’achat (voir graphique p. 46).  » Nous sommes passés pour ainsi dire de rien du tout fin des années 1980 à une moyenne d’environ 75 000 euros !  » témoigne Julien Manceaux (ING). C’est un peu le serpent qui mord sa queue :  » Cette mise de départ constitue aujourd’hui la principale source de croissance des prix de ces dernières années. Les biens des segments supérieurs continueront de bénéficier de la croissance de l’apport personnel. Il ne s’agit là que d’un gros quart des cas mais ce sont ces segments qui tirent les prix des autres segments vers le haut « , précise notre interlocuteur.

Et demain ?

 » Face à des capitales comme Londres ou Paris, les prix de l’immobilier pratiqués à Bruxelles restent malgré tout raisonnables, estime Olivier Hamal, vice-président du SNP. Mais l’époque où tout un chacun, un tant soit peu solvable, pouvait acquérir son habitation en la finançant avec un prêt hypothécaire sur vingt ans est, je le crains, derrière nous.  » L’allongement de la durée des prêts n’est pas sans conséquences sur le budget futur des ménages. Alors que la durée moyenne des crédits hypothécaires était encore, il y a peu, de 17,5 années, elle a à présent passé le cap des 20 ans. Bref, là où, pour le moment encore, la fin de la charge de remboursement du crédit hypothécaire est souvent mise à profit pour contribuer au financement des études supérieures des enfants, il va sans dire que ceux qui s’endettent sur plus de vingt ans boucleront le moment venu plus difficilement leur budget mensuel… Et ceux qui s’endettent pour plus longtemps encore se priveront aussi des moyens nécessaires au financement de leurs vieux jours…  » Un graphique parlant mieux qu’un long discours, le ratio prix/revenus montre qu’aujourd’hui le salaire annuel brut moyen ne correspond plus qu’à grosso modo 25 % du prix moyen d’une habitation. On vient de plus de 60 % dans les années 1980 et, voici dix ans à peine, nous étions encore aux alentours de 45 % !  » Sur le long terme, plusieurs facteurs au moins devraient en tout cas contribuer de continuer à au moins soutenir les prix de l’immobilier résidentiel en Belgique :

Les mouvements démographiques. Même en laissant de côté l’effet sur l’immobilier bruxellois et brabançon de la présence des institutions internationales sur notre territoire et les flux migratoires en provenance de l’Afrique du Nord et de l’Europe de l’Est, il faut aussi épingler la multiplication des familles monoparentales, sans oublier le nombre croissant de personnes vivant seules.  » Cela soutient tangiblement et durablement la demande et donc les prix « , souligne Julien Manceaux.

Les règles strictes de financement bancaire.  » Contrairement à ce qui est de mise aux Etats-Unis, nos banques s’entourent – et fort heureusement d’ailleurs – de bien des précautions avant de consentir un crédit hypothécaire, poursuit Julien Manceaux. Outre-Atlantique, crise financière oblige, il est courant de voir des gens carrément renvoyer leurs clés à la banque quand ils constatent qu’ils ont plus de dettes que la valeur de leur immeuble et qu’ils n’arrivent plus à nouer les deux bouts. On assiste du coup à des remises de biens sur le marché et l’accroissement de l’offre immobilière qui en résulte pèse sur le niveau des prix.  » Chez nous, rien de tout cela, mais la sinistralité (les retards de paiements) des crédits hypothécaires s’accroît.  » Elle a augmenté de 50 % depuis 2008 et atteignait 769,9 millions d’euros fin juin 2010 contre 520,5 millions d’euros fin juin 2008 !  » pointe Test-Achats.

La forte sédentarité des Belges.  » Les habitants du Royaume-Uni déménagent en moyenne 7,8 fois au cours de leur vie contre 1,7 fois en Belgique, poursuit Julien Manceaux. La taille du territoire, conjuguée à une plus grande mobilité des travailleurs, amène généralement à déménager lorsqu’on change d’employeur.  » Chez nous, à moins d’être muté de Bertrix à Ypres – mais qui l’est ?-, point besoin d’envisager tel scénario. D’autant que les droits d’enregistrement perçus à l’occasion d’une mutation de propriété immobilière n’encouragent pas le déménagement et par voie de conséquence celle de la revente/achat d’un bien immobilier.  » Du coup, notre marché est assez statique en raison de la faible rotation du parc immobilier, cela va dans le sens d’une stabilisation des prix « , en conclut Julien Manceaux.

Les finances publiques.  » Le contexte économique et politique ne laisse pas entrevoir d’embellie fiscale majeure « , prévient Julien Manceaux. Bref, il apparaît donc clair que les pouvoirs publics n’auront que peu – voire pas – de marges nouvelles pour aider à l’accès à la propriété. A moins peut- être d’envisager un glissement des mesures fiscales existantes en ciblant singulièrement les contribuables finançant leur première et unique acquisition immobilière.

L’évolution des taux hypothécaires. Quand la reprise économique sera là, les taux d’intérêt devraient logiquement remonter, diminuant forcément la capacité d’emprunt des ménages. De quoi engendrer une baisse en conséquence des prix de l’immobilier ?  » Pas sûr, conclut Olivier de Clippelle. Vous verrez alors à nouveau poindre des initiatives pour allonger à nouveau la durée des crédits et faire du coup repartir les prix à la hausse.  »

Maintenant ou jamais ?

 » Les taux sont à un plancher historique. Ceux qui sont aujourd’hui à la limite de pouvoir acheter quelque chose et qui ne le font pas risquent bien, d’ici à cinq ans, d’éprouver encore plus de difficultés à accéder à la propriété et, en tout état de cause, les acheteurs qui ne peuvent compter que sur la croissance de leurs revenus pour « augmenter leur mise », verront la qualité de leurs achats potentiels baisser « , conclut Julien Manceaux.

JEAN-MARC DAMRY

 » Dans le contexte actuel, Il n’y a pas d’embellie fiscale majeure en vue  » Apports personnels :C’est un peu le serpent qui mord sa queue « 

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