Pourquoi le  » grand complot pédophile  » circule toujours

Ettore Rizza
Ettore Rizza Journaliste au Vif/L'Express

Loin de la déferlante de 1996, les théories du complot liées à l’affaire Dutroux continuent de faire florès dans la pénombre du Net. Ces élucubrations traduisent aussi un réflexe humain et une crise de confiance envers les  » autorités « .

On nous cache tout. Les médias  » subsidiés  » sont à la solde du pouvoir. Les politiques sont tous pourris. Comme la justice d’ailleurs. Tous dans le même sac, et le sac dans un trou avec du feu. Discours démago ? C’est pourtant celui d’une certaine frange de la population.

Récemment, la double sortie d’un député fédéral populiste a mis le phénomène en lumière. En publiant sur son blog une vieille et invraisemblable liste de notables prétendument pédophiles, suivie du rapport d’autopsie de Julie et Melissa, le parlementaire savait qu’il susciterait l’indignation. Mais aussi qu’il trouverait des alliés parmi les partisans de la théorie du grand complot pédophile. Sa page Facebook en regorge. Un noyau dur rescapé de l’époque où le soupçon taraudait la Belgique entière.

Des illuminés ? Pour certains d’entre eux, la réponse est clairement oui. Mais pas pour tous. Devant ces  » révélations « , des internautes qui n’ont pas vécu l’affaire ont été interpellés. Seize ans après la découverte de la cache de Marcinelle, huit ans après la condamnation de Dutroux et consorts à Arlon, les scénarios les plus énormes troublent toujours. Rien de surprenant pour Jérôme Jamin, chargé de cours en science politique à l’université de Liège et auteur de L’Imaginaire du complot (Presses universitaires d’Amsterdam, 2009) :  » Plus un drame est grave, plus l’horreur est inouïe, plus l’inimaginable se réalise, plus on a besoin d’une explication et de coupables à la hauteur. Présenter l’affaire Dutroux comme le résultat d’une succession d’erreurs ne satisfait pas. Cela voudrait dire que le mal est en nous et pourrait se reproduire.  »

Mais pour que cette réaction humaine se transforme en certitude délirante, encore faut-il planter la graine dans un terreau favorable. En l’occurrence, des esprits en proie à une profonde méfiance envers tout discours officiel.  » Dans un premier temps, ces gens se veulent critiques envers ce qu’on leur dit à la télévision, poursuit Jérôme Jamin. Mais au lieu d’adopter une posture critique, en acceptant certaines choses et en refusant d’autres, ils finissent par sombrer dans une lecture inversée du monde : tout ce que l’on présente comme vrai est faux et vice versa. Cela leur apporte le plaisir narcissique de se croire détenteurs de la vérité face à une population manipulée. « 

Peut-on venir à bout de cette vision paranoïaque ? En demandant, par exemple, pourquoi un grand réseau pédophile aurait laissé ses victimes mourir de faim ? Difficile.  » Une théorie du complot est souvent extrêmement bien construite, souligne Olivier Klein, chercheur en psychologie sociale à l’Université libre de Bruxelles. On peut parler d’hyper-rationalité plutôt que d’irrationalité.  » Tout comme les créationnistes parviennent à expliquer l’existence des fossiles, les adeptes des cabales trouvent des répliques à toute objection. Quitte à triturer les faits à leur manière. Quitte à devoir accuser des parents de s’être vendus aux bourreaux de leurs enfants.

ETTORE RIZZA

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