Pourquoi la librairie Google fait-elle peur ?

Le projet de librairie numérique poursuivi par Google suscite la polémique partout dans le monde. Et en Belgique ? L’avis de trois experts.

Lancée il y a cinq ans, la bibliothèque virtuelle de Google peut déjà se targuer d’être la plus avancée au monde : environ 10 millions de livres numérisés. Evidemment, la société de Mountain View ne veut pas en rester là. Elle ambitionne d’agrandir considérablement ses rayons et même de commercialiser des ouvrages dont les droits d’auteur n’ont pas expiré.

Un accord a été négocié en 2008 avec les éditeurs américains. Face à l’opposition suscitée par ce compromis – notamment celle du géant Amazon -, la justice américaine doit se prononcer, le 7 octobre prochain, sur le Google settlement.

En attendant, le moteur de recherche, qui est venu plaider le bien-fondé de sa démarche devant la Commission européenne, continue de signer des accords avec des bibliothèques universitaires pour numériser leurs ouvrages. Même la Bibliothèque nationale de France a été approchée. Du coup, le débat à propos du projet de bibliothèque numérique a pris une tournure passionnelle dans l’Hexagone. Mais que pensent les acteurs du monde du livre en Belgique des intentions du grand méchant Google ?

> BERNARD GéRARD (association des éditeurs de Belgique)

Pour l’instant, nous ne souscrivons pas aux propositions de Google. Nous nous alignons sur le Syndicat national de l’édition en France, car, de toute façon, nous n’aurions pas les moyens de nous battre contre un géant comme Google. Ce dernier a été vite en besogne en numérisant des ouvrages toujours protégés par le droit d’auteur, sans parler de son intention de vendre de tels livres. La société de Mountain View n’a pas du tout respecté les règles légales. La manière dont elle met les éditeurs au pied du mur est choquante.

Cela dit, le projet de Google peut être un magnifique outil de marketing. A fortiori pour des petits éditeurs – et on en trouve beaucoup en Belgique -, la possibilité de se faire connaître dans le monde entier est séduisante. Ceux qui ont adhéré au service Google Book Search, qui permet de retrouver en ligne des livres libres de droit ou à acheter, se disent plutôt satisfaits. Mais là, cela a été correctement négocié.  » l

> ALAIN BERENBOOM (écrivain et avocat, spécialiste du droit d’auteur)

Pouvoir consulter la mémoire du monde librement sur son PC ! Même un Serbo-Croate vivant en Belgique pourra trouver des livres dans sa langue. Oubliée la frustration de ne pouvoir mettre la main sur un bouquin introuvable, parce que les éditeurs sont obligés de pilonner leurs fonds de livres en raison des coûts de stockage. Le projet de Google est a priori fascinant. En même temps, il me paraît très opaque. Comment se fait la sélection des livres à mettre en ligne ? Et si, demain, la société américaine était vendue à un obscur holding qui décide d’alimenter la librairie numérique en livres pervers ? Il y a là un vrai risque culturel.

En ce qui concerne les droits d’auteur, la manière dont Google procède est contraire à toute la législation internationale. La base du droit d’auteur, garantie par la Convention de l’Union de Berne, est que l’on doit disposer de l’autorisation préalable de l’auteur ou de ses ayants droit pour pouvoir utiliser son £uvre, que ce soit pour la traduire ou la mettre en ligne. Or, selon le protocole de Google, si l’auteur ne fait pas opposition à la mise en ligne, il est considéré comme ayant accepté. Ce système est la négation même du droit d’auteur.  » l

> PATRICK LEFèVRE (Bibliothèque royale de Belgique)

La société Google ne nous a pas encore approchés. Si cela devait être le cas, nous la considérerons comme n’importe quel autre partenaire privé potentiel. Jusqu’à présent, nous avons numérisé, grâce à un financement de l’Etat, 3 millions de pages de journaux remontant jusqu’au xixe siècle et, avec nos fonds propres, environ 100 000 documents anciens. Une goutte d’eau… Nous sommes bien sûr demandeurs d’un partenariat public-privé pour numériser les 8 millions d’ouvrages que possède la Bibliothèque royale. La ministre de la Politique scientifique a lancé un appel d’offres en juin.

Mais il y a des principes à respecter. Nous devrons décider nous-mêmes ce qui sera mis en ligne et les ouvrages numérisés devront l’être intégralement, sans qu’un choix d’extraits soit fait à la place de l’internaute. Il faut éviter toute manipulation de l’information. La seconde vie virtuelle d’un livre doit correspondre à sa première vie papier. Par ailleurs, nous sommes solidaires des autres bibliothèques nationales en Europe. Les bibliothèques avec lesquelles Google a déjà signé un accord sont des bibliothèques universitaires (Lyon, Gand, Oxford…) et non pas nationales.  » l

Thierry Denoël

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