Pourquoi Israël ne peut pas gagner

En lançant une offensive contre la place forte des islamistes du Hamas, l’Etat juif poursuit une stratégie sur plusieurs fronts : militaire, politique, économique… Et cela au risque de l’aveuglement. La genèse d’un conflit, et les raisons de la haine.

De notre correspondant

Beaucoup de tactique, mais quelle est la stratégie ? Près de deux semaines après le lancement de son offensive, le 27 décembre, les  » buts de guerre  » d’Israël, dans la bande de Gaza, restent opaques. L’opération  » Plomb durci  » a commencé avec des vagues de bombardements ininterrompues, sur le modèle de l’opération américaine  » Choc et effroi « , menée en prélude à l’invasion de l’Irak en 2003. Entre autres cibles, dont des bases de miliciens palestiniens, ces frappes ont pulvérisé des dizaines d’édifices publics, comme ceux de la présidence palestinienne, du Parlement, du conseil des ministres et du ministère de l’Education. Le gouvernement israélien affirme, sans fournir de preuves, que ces bâtiments étaient réquisitionnés par la branche militaire des islamistes du Hamas ; ils avaient été construits dans les années 1990, grâce aux fonds de la communauté internationale, pour servir d’ossature au futur Etat palestinien. Le 3 janvier, confronté à la poursuite des tirs de roquettes sur son territoire, Israël a lancé une opération terrestre. Les colonnes de blindés ont rapidement pris position, coupant en deux la bande de Gaza. Les bombardements ont fait de très nombreuses victimes parmi les civils. En milieu de semaine, on dénombrait 660 morts et près de 3 000 blessés côté palestinien, et dix morts côté israélien, dont quatre soldats tués par erreur par leur armée.

E Pourquoi la bande de Gaza

est-elle toujours le théâtre

de violences, trois ans et demi après l’évacuation des colonies israéliennes ?

Sur les marches de l’Elysée, le 1er janvier, à la sortie de son rendez-vous avec le président français Nicolas Sarkozy, la ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni, l’a encore redit : après l’évacuation des colonies juives de la bande de Gaza durant l’été 2005, les Palestiniens de Gaza avaient l’opportunité de poser les fondations de leur futur Etat, au lieu de quoi ils ont choisi d’élire le Hamas et de lancer des roquettes sur l’Etat juif… Cet argument, leitmotiv de la diplomatie israélienne ces trois dernières années, omet un élément crucial. Le retrait de Gaza n’était pas destiné à faciliter l’accession des Palestiniens à l’indépendance. Au contraire même. Dès octobre 2004, dans une interview au quotidien israélien Haaretz, Dov Weisglass, chef de cabinet du Premier ministre d’alors, Ariel Sharon, avait prévenu :  » Le désengagement fournit la dose de formol nécessaire pour qu’il n’y ait pas de processus politique avec les Palestiniens.  » De fait, avant même la victoire électorale du Hamas en janvier 2006, les Palestiniens de Gaza ont été privés des moyens de se gouverner. Tout en maintenant son emprise sur les points de passage, bouclés à la moindre alerte, le gouvernement israélien dénia à l’Autorité palestinienne le droit de bâtir un port, de rouvrir son aéroport ou d’aménager un couloir routier avec la Cisjordanie. Ce simple remodelage du système d’occupation empêcha toute reprise économique à Gaza et accéléra le discrédit du Fatah.

E Pourquoi la trêve en vigueur

depuis le mois de juin

a-t-elle été rompue ?

L’échec de la trêve négociée en juin dernier est le produit d’une double provocation. La première est le fait d’Israël. Le 4 novembre, après cinq mois de cessez-le-feu globalement respecté, Tsahal pénètre en force à Gaza pour détruire un tunnel creusé par des militants islamistes. Six Palestiniens armés sont tués dans cette incursion, dont la nécessité n’a jamais été démontrée. En conséquence, et comme les stratèges israéliens l’avaient sans doute prévu, sinon voulu, le Hamas reprend aussitôt ses tirs de roquettes. Seconde provocation, le 19 décembre : la direction du mouvement islamiste décide de ne pas renouveler le cessez-le-feu conclu pour six mois. De son point de vue, cet accord n’a plus de sens dès lors qu’Israël viole une clause portant sur la levée graduelle du blocus. Depuis le début de novembre, en effet, l’étranglement du territoire palestinien atteint un niveau tel que les agences des Nations unies ne parviennent plus à faire entrer leurs convois d’aide humanitaire. En l’espace d’une semaine, le Hamas lance 200 roquettes sur Israël. Ce coup de sang des islamistes fait l’affaire des autorités israéliennes. Elles estiment qu’en refusant de revoir à la baisse ses exigences pour libérer le soldat Gilad Shalit, capturé en lisière de Gaza en juin 2006, et en poursuivant la contrebande d’armes via les tunnels creusés sous la frontière avec l’Egypte, le Hamas n’a pas non plus respecté sa part du contrat. Le Premier ministre Ehud Olmert ordonne donc àl’armée de mettre en £uvre le plan d’attaque sur lequel elle travaillait depuis le mois de juin.

E Que veut Israël ?

Rendus prudents par le fiasco au Sud-Liban, lors de l’été 2006, les dirigeants israéliens disent ne pas tant vouloir détruire le Hamas que  » redonner une vie normale aux habitants du sud d’Israël « . De 2001, date de leur mise en service, à la veille de l’offensive contre Gaza, près de 3 700 roquettes de type Kassam ou Grad se sont écrasées sur le territoire israélien, en particulier dans la petite ville de Sderot. La force de frappe des artilleurs du Hamas demeure limitée : 24 morts et un millier de blessés en sept ans. Mais leur capacité de nuisance est réelle. Les multiples opérations militaires menées en représailles, comme l’incursion, en mars 2008, qui a tué 120 Palestiniens, en majorité civils, n’ont jamais réussi à faire cesser les tirs. Persuadé que là où la force a échoué une force plus grande pourrait réussir, Israël s’est donc lancé dans une campagne de bombardements massifs. Nul doute que la transition en cours à la Maison-Blanche, qui lui laisse les mains libres, a joué dans le choix du timing. Le calendrier électoral aussi. Avec un scrutin législatif le 10 février prochain, Tzipi Livni, chef du parti Kadima, et Ehud Barak, ministre de la Défense et dirigeant travailliste, ne pouvaient guère se permettre de temporiser face au Hamas, alors que leur rival, Benyamin Netanyahu, patron du Likoud et partisan de la manière forte, caracole en tête dans les sondages. Ils ont donc fait le pari que, saoulé de coups, le mouvement islamiste préférera signer une trêve sous leur dictée et celle de parrains régionaux, comme l’Egypte ou le Qatar, plutôt que de courir le risque de perdre le contrôle de son simili-Etat. D’autant que certains responsables israéliens, comme Haïm Ramon, le vice-Premier ministre, poussent à un renversement du régime islamiste.

E Que veut le Hamas ?

Au début de l’année 2006, le candide Dov Weisglass, passé au service d’Ehud Olmert, révélait l’objectif du blocus de Gaza, resserré après le triomphe électoral du Hamas :  » L’idée est de mettre les Palestiniens au régime, pas de les faire mourir de faim.  » Là encore, la consigne a été suivie à la lettre. En dosant au millimètre la fermeture des points de passage, Israël a plongé la bande de Gaza dans un état de misère abjecte, sans pour autant qu’une famine s’y développe. Pour le Hamas, déjà boycotté par la communauté internationale et tenu à distance par ses rivaux du Fatah – l’organisation du président Mahmoud Abbas, boutée hors de Gaza lors des affrontements de juin 2007 – le danger le plus immédiat est là. Car l’embargo entretient un climat de grogne qui menace les acquis des islamistes. Le choix de l’escalade militaire, outre qu’il ravit l’aile radicale du mouvement, vise donc à obtenir une trêve améliorée, qui inclurait une ouverture effective des points de passage, à commencer par celui de Rafah, avec l’Egypte. Avec son aura renouvelée de  » résistant « , le Hamas espère du même coup discréditer un peu plus le président Abbas, qui, depuis un an, négocie en vain avec Israël.

E Et après l’attaque ?

La victoire militaire est promise à Israël. Mais ses fruits risquent d’être amers : si le Hamas réussit à préserver sa tutelle sur Gaza, le mouvement islamiste aura, par son endurance, galvanisé les Palestiniens autour de lui et démontré la vanité des man£uvres destinées à le court-circuiter. A l’inverse, le président Abbas pourrait se rapprocher un peu plus de la sortie. Même s’il espère qu’un artifice juridique lui permettra de prolonger son mandat au-delà de ce 9 janvier, son terme officiel, il cessera d’être reconnu, après cette date, par le Hamas. Il appartiendra alors à la communauté internationale et au futur président américain, Barack Obama, de réparer ces ravages. A l’échelle locale, bien sûr, mais aussi dans la région, où de nombreux régimes arabes modérés ont été bousculés par leur opinion publique.  » Depuis l’aube de la présence sioniste sur la terre d’Israël, aucune opération militaire n’a fait avancer le dialogue avec les Palestiniens « , rappelle l’historien israélien Tom Segev. Il semble que la dernière en date ait même réussi à le faire reculer. l

Benjamin Barthe, François Brabant, Olivier Rogeau; Benjamin Barthe

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