Pourquoi et comment en parler à nos enfants

Ils en savent moins qu’ils ne l’affirment. Et, pourtant, nous leur en parlons souvent trop peu et plutôt mal. Conseils de spécialistes pour briser tabous et silences avec nos enfants et nos adolescents. L’éveil des sens, ça se prépare

« Nos enfants ne sont plus ce qu’ils étaient… Très jeunes, ils emploient un langage et des gestes obscènes, ils racontent des blagues salaces. Les pédopsychiatres sont appelés dans les écoles pour rencontrer des jeunes qui ont eu des gestes sexuels agressifs, tels que baisser de force les culottes, vouloir mettre un objet dans le sexe des filles, demander que l’on prenne leur zizi dans la bouche. » En réalité, assure le Dr Catherine Marneffe, pédopsychiatre, thérapeute et directeur du centre pédiatrique Clairs vallons (à Ottignies), ces gamins ne font que refléter la façon dont notre société adulte les traite. Car le sexe est partout, omniprésent, omnipotent.

« La sexualité génitale adulte est étalée sur les affiches, dans les journaux, les films télévisés, les médias. Les enfants nagent dans une espèce de sur-information dont ils ne savent que faire, car elle ne leur parvient pas au bon moment, et en tout cas pas à celui qui correspond à leur stade de développement. Ils sont envahis par ces messages d’une sexualité adulte, poursuit la pédopsychiatre. Lorsque, pendant des semaines, on ne parle aux informations que des fellations d’un président américain par une stagiaire, nos enfants apprennent trop, et trop vite, les subtilités de cette sexualité des adultes. De plus, les parents sont souvent dans l’incapacité de dire « non », de mettre des limites, d’interdire, par exemple, la vision de certains films. Il faut pourtant qu’ils réalisent que les petits n’ont pas de mots pour parler de Basic Instinct: ils adopteront donc, à la place, un comportement agressif ou emploieront des phrases qui le seront tout autant. »

Face à ces enfants qui paraissent, en apparence, si savants, si instruits des « choses de la vie », on risque de conclure trop vite qu’il n’est plus besoin de leur faire de dessins… et encore moins d’expliquer quoi que ce soit ( lire en p.XX le reportage dans une école). La sexologue et pédagogue Jocelyne Robert démontre pourtant le contraire dans son excellent livre Parlez-leur d’amour… et de sexualité (Les Editions de l’homme). Elle raconte ainsi que, lors d’une enquête menée au Canada auprès de jeunes du niveau secondaire, à la question « La sexualité est-elle un sujet discuté en famille? », 80 % ont assuré que non. Lorsqu’on a demandé exactement la même chose à leurs parents, ces derniers ont répondu l’inverse, exactement dans la même proportion. « Qui mentait? interroge Jocelyne Robert. Probablement ni les uns ni les autres. Mais nous avons une perception différente de ce qu’est la discussion sur la question sexuelle, poursuit-elle. Pour l’adolescent, l’information factuelle sur les maladies sexuellement transmissibles ou sur la puberté n’équivaut pas à un dialogue sur la sexualité. Mais le parent, lui, peut avoir le sentiment du devoir accompli s’il en a parlé une ou deux fois. Nous vivons dans une société qui cherche à prévenir: le suicide, la toxicomanie, la violence, la maladie, les grossesses non désirées, les abus sexuels. Ici, il ne s’agit pas de prévenir… mais de trouver un sens. Et, sans en parler forcément davantage, d’en parler différemment. » Voici donc quelques pistes, en 10 questions/réponses, pour revoir nos copies…

1. Pourquoi est-il si difficile d’en parler?

Il y a cinquante ans encore, « il fallait regarder dans le dictionnaire, dérober des livres ou des revues pour en savoir (un peu) plus sur le sexe », rappelle le Dr Catherine Marneffe. « Longtemps la sexualité n’a été considérée que dans son unique fonction de reproduction de l’espèce, écrit Jocelyne Robert. Puis, en quelques années, on est passé de la grande noirceur à l’illumination par le sexe. En fait, la sexualité n’a jamais été intégrée à la vie, jamais traitée de manière simple, sans complication ou affectation. Elle a été, au fil du temps, l’objet des plus grands hommages comme des pires offenses. » Faut-il dès lors s’étonner qu’aujourd’hui encore des parents confient: « Je ne trouve pas les mots », « Je me sens si mal à l’aise pour en parler… »?

Pourtant, « le mutisme total transmet aussi un message révélateur, souligne la sexologue. L’éducation sexuelle est un art à inventer car nous avons peu de points de repère. Nous n’avons pas appris à en parler ». Cela dit, avant de le faire, « il est indispensable d’identifier ses limites personnelles, de reconnaître ses propres difficultés ».

Parents de tous pays, rassurez-vous: la cohorte des sexologues, psychiatres, pédopsychiatres, pédagogues ou psychologues reconnaissent qu’il n’est pas facile, et même parfois qu’il est très difficile, de parler de sexualité avec ses enfants. Inutile, donc, de culpabiliser. En fait, il n’existe aucune règle, aucun plan préétabli et universel pour aborder ce sujet. Comme le rappelle le Dr Catherine Marneffe, « cette transmission dépend de la sexualité et la conception de l’amour des parents ». A chacun, donc, de chercher sa voie.

2. Pourquoi en parler ne suffit pas

« Le bébé se construit à travers sa peau, explique le Dr Catherine Marneffe. Il a besoin d’être caressé, il dépérit si on ne le touche pas. La maman caresse le petit là où elle sent que cela l’apaise et, toute sa vie, on garde des endroits où on préfère être touché. » Selon François Delor, sociologue, psychanalyste et directeur de l’Observatoire du sida et des sexualités aux Facultés Saint-Louis (Bruxelles), « on reconnaît l’autre à fleur de peau. La caresse est le signe de cette reconnaissance et de l’amour, qui se signifie par des gestes et des silences. Dans la déclaration d’amour, il y a des trous: c’est ce qu’on n’arrive pas à se dire. Mais le corps fait le lien. Le langage n’est donc, avec le silence, la caresse et la tendresse, qu’un des éléments de l’édifice relationnel bâti par les parents et du dispositif de bienveillance nécessaire, toute la vie, à chaque être humain « .

3. Les enfants ont-ils un sexe?

Certains l’ignorent ou en doutent. D’autres, les « rousseauistes », ne voient d’enfants que purs et aussi blancs que les ballons qui accompagnaient une certaine marche. Pourtant, l’enfant ne vit pas en dehors de la sexualité. « L’identité sexuée, le sens de l’intime, la sexualité se construisent bien avant la naissance, rappelle le Dr Catherine Marneffe. Après tout, lorsqu’un bébé remue beaucoup dans son ventre, s’il s’agit d’un garçon, souvent, la mère dira qu’il sera footballeur. Pour une fille, la future maman redoutera plutôt d’avoir une petite bien nerveuse! En réalité, la construction de la sexualité se fait avant la naissance, puis à partir de la venue au monde et cela va durer très longtemps… »

« L’enfant est à la fois le fruit d’un érotisme et le lieu où se fermente une érotique, complète François Delor. Ce n’est pas parce qu’un enfant se touche le zizi qu’il entre dans la sexualité: ce geste s’inscrit dans un processus beaucoup plus large. »

« Un bébé réagit sensuellement, génitalement et normalement à des contacts agréables », rappelle Jocelyne Robert. Refuser d’admettre que nos enfants ont un sexe, des envies, ou que la sexualité les préoccupe serait donc aussi illogique que de faire semblant qu’ils ne parlent pas, de crainte de les entendre, un jour, dire qu’ils nous em…

Encore faut-il éviter, aussi, de tomber dans la caricature: « L’une des conséquences de l’affaire Dutroux, souligne la pédopsychiatre Catherine Marneffe, s’est traduite par la peur de certains adultes de prendre un enfant dans les bras, de le cajoler, de jouer avec lui. En classe verte, des instituteurs ont même reçu la consigne de laisser pleurer les enfants la nuit plutôt que d’aller dans le dortoir pour les réconforter », déplore-t-elle.

« En fait, rappelle Jocelyne Robert, la sexualité est une composante comme les autres, ni plus ni moins importante que les autres, d’un être humain, d’une existence, d’une société. » Et son importance peut varier avec le temps, comme l’indique cette blague racontée par la sexologue: « Effrayée de voir son petit garçon toucher sans arrêt son zizi, une mère va voir son vieux médecin de famille et lui confie: « Docteur, il est tout le temps en érection. Qu’est-ce que vous donneriez pour ça? » Et le médecin de répondre: « Pour ça, je donnerais ma BMW, ma maison et mon yacht. » »

4. Comment briser le grand silence?

Une enquête menée pendant douze ans auprès de 8 000 jeunes nord-américains a montré que 15 % des jeunes reçoivent une éducation sexuelle significative de leurs parents. En général, la mère est alors le premier informateur des enfants. Et le père… le dernier. « Les recherches ont également révélé que les jeunes souhaitent que leurs sources d’information sexuelle proviennent d’abord des parents », ajoute Jocelyne Robert. Cela dit, le dialogue est plus difficile encore quand on s’imagine qu’il faut prendre un rendez-vous « officiel » avec son enfant pour aborder avec lui ce grand sujet… et en être quitte par la suite!

« A chaque moment de la vie, on peut croiser des moments « bons » ou « mauvais » et des questions qui font peur ou qui révèlent un trou dans le savoir, explique François Delor. C’est à l’adulte de porter attention à ce qui est une énigme ou une angoisse pour le jeune et, alors, de l’accompagner. Mais sans lui imposer de prêt-à-penser amoureux ou sentimental. » Bref, rappelle Jocelyne Robert, « l’éducation sexuelle s’insère dans le quotidien et nous avons trop tendance à la traiter isolément ». Dès lors, même si l’enfant ne pose pas de questions, les occasions d’en parler ne manquent pas: un film, une femme enceinte, une naissance, un feuilleton culte qui passionne les adolescents, l’annonce du mariage d’Agnès avec Jérôme, 7 ans tous les deux. Tout peut être prétexte à aborder ce thème avec le jeune et permettre de joindre ainsi les problèmes de sexualité à sa vie de tous les jours. « Et puis, l’enfant pose aussi des questions. Il demande, en particulier, ce qui est le plus important pour tout être humain: il veut savoir d’où il vient », précise le Dr Catherine Marneffe.

« S’il y a une chose à transmettre à ses enfants, c’est bien ce qui concerne l’éducation sexuelle, assure le Pr Philippe van Meerbeeck, psychiatre au centre thérapeutique pour adolescents des Cliniques Saint-Luc (Bruxelles). Par chance, c’est, aussi, ce qui les intéresse le plus. Leur envie d’apprendre est animée par la curiosité et, en particulier, celle qu’ils développent autour du désir et de l’amour. L’enfant et l’adolescent sont avides de mots pour parvenir à comprendre, à penser, à prendre des distances. »

Enfin, il s’agit, aussi, de ne pas se laisser berner. « La candeur des enfants, l’arrogance des adolescents peuvent nous apparaître à l’occasion comme des obstacles pour parler ouvertement de sexualité », écrit Francine Duquet, professeur au département de sexologie à l’université du Québec (Montréal). Pourtant, sans tomber dans les discours moralisateurs ni dans une attitude faussement « cool et relax », il est moins difficile qu’on ne le pense de parler… d’amour, de sentiment, de respect de l’autre et de soi-même.

5. La sexualité est-elle seulement une affaire de « plomberie »?

« La sexualité ne se bâtit pas en dehors d’une relation affective », souligne le Dr Catherine Marneffe. « Et l’éducation sexuelle ne va pas sans éducation affective », ajoute Jocelyne Robert. « L’un contient l’autre », conclut François Delor.

Après tout, les questions relatives à l’anatomie, à la physiologie, à « la plomberie »… il y a des livres pour ça! « Mais, s’il est facile de parler de contraception à un adolescent ou de maladies sexuelles à une fille, il est plus ardu de partager l’angoisse, l’étonnement, la peur et le désir qui les tiraillent », souligne la sexologue. En réalité, « les domaines de la sexualité et de l’affectivité sont presque indissociables et, pourtant, différents. Il importe de parler de l’un et de l’autre afin d’amener le jeune à distinguer ses besoins personnels véritables ».

Il faut donc dire, aussi, que « l’ardeur érotique ne garantit pas l’amour et que l’amour n’est pas le gage de la satisfaction érotique », rappelle Jocelyne Robert. Que ce soit sur Internet ou ailleurs, nos enfants peuvent être en contact avec la pornographie. En abordant le fait qu’une relation sexuelle n’est pas toujours liée à l’amour et que les deux ne vont pas forcément de pair, « on peut insister sur le fait qu’on peut avoir une jouissance brève, telle celle qu’apportent la nourriture ou le haschisch, et suggérer également qu’on reçoit davantage de plaisir sur la durée, précise le Dr Catherine Marneffe. On entre ainsi véritablement dans le problème des valeurs que l’on donne à sa vie ».

Parler d’amour et de sexualité, c’est aussi, résister. « Il était, bien sûr, important de libérer la sexualité de la procréation et du péché, rappelle le Pr Philippe van Meerbeeck. Mais, dans nos sociétés, le sexe est exacerbé, affiché, outrancièrement provocant. Et personne ne dit plus le pourquoi ni le comment. En réalité, le sexuel est ramené à la dimension d’un objet. On nous présente une sexualité qui tente d’abolir la différence entre les sexes et les générations, une sexualité hors de l’amour, de l’alliance, de l’engagement. Elle est réduite à la dimension d’une jouissance sexuelle, banalisée par les machines à préservatifs qui inaugurent des vies sexuelles fondées sur l’idée qu’il n’y a plus de risque à aimer et plus de risque à être désiré. Le sexuel est ainsi réduit et lié uniquement à des fluides et à des muqueuses. »

« Plus personne ne parle d’amour et rien n’a remplacé les pistes de réflexion proposées jadis par le religieux ou par les romantiques, constate le psychiatre. Lorsque je dis à mes étudiants que l’idéal de l’humain, ce n’est pas une sexualité réduite à l’orgasme, que la jouissance dépasse l’instinct sexuel, que, chez l’homme, tout ne se résume pas au brame du cerf, que l’attachement humain est compliqué et qu’on passe toute une vie à le construire, cela les intéresse pourtant au plus haut point. »

Ainsi, lorsqu’il leur demande « en quoi l’amour est beaucoup plus fort qu’un sentiment? », les jeunes répondent par le mot « engagement », ils assurent que « dire « Je t’aime » est plus impliquant que faire l’amour, parce que la parole engage ». Ils pensent que « l’amour est fidèle et que le désir ne l’est pas… ».

« Actuellement, les jeunes vivent ensemble, longtemps, puis se marient. Or, souvent, c’est alors que ça foire, poursuit le Pr Philippe van Meerbeeck. C’est qu’ils ont supprimé ce jeu de l’élastique qui servait leur désir: l’autre n’est plus manquant. Or ils ne savent pas, et personne, d’ailleurs, ne leur en parle, que le désir, extrêmement envahissant, n’est cependant pas l’aune de l’amour. »

6. Que dire à des enfants?

« L’enfant est un pervers polymorphe », disait Freud. « Son éducation va cependant lui permettre de renoncer à des plaisirs partiels, précise le Pr Philippe van Meerbeeck. Il le fera contre la promesse, pour les filles, de la venue d’un prince charmant et, pour les garçons, contre celle de devenir un jour un homme, père et responsable. »

Le nouveau-né a besoin de nos caresses, de nos cajoleries. « Une fois les repères sensitifs construits, vers l’âge de deux ans et demi, l’enfant observe ses parents. Le petit garçon, qui a un amour inconditionnel de sa maman, découvre alors qu’elle aime quelqu’un d’autre que lui, qu’elle ne l’aime pas tout le temps, et qu’elle n’est pas comblée par lui, même si lui l’est par elle, détaille le Dr Catherine Marneffe. Jusqu’à 6 ans, l’apprentissage va consister à le conduire à renoncer à ses parents pour s’intéresser à l’autre. En fait, l’enfant se pose déjà la quête majeure de toute son existence et il le montre à travers ses gestes et ses attitudes: comment être aimé? « 

Le rôle des parents consiste donc à créer un espace sécurisant et contenant, c’est-à-dire avec des limites. Ces dernières permettent à l’enfant de contrôler ses pulsions. C’est dans ce cadre qu’on explique déjà aux petits que l’amour sexué n’a pas à exister entre enfants et adultes, parents y compris. Cependant, « l’information donnée doit correspondre au stade du développement de l’enfant », insiste le Dr Catherine Marneffe. « Ils ne posent que des questions de leur âge, il faut leur proposer des réponses de leur âge, avec des termes positifs et justes », détaille Jocelyne Robert.

Il s’agit, aussi, de dédramatiser. Un gamin de 7 ans peut bien lancer à un copain: « Je vais te niquer », souvent, il ignore comment se font les enfants… Autant savoir, également, que « les gros mots grossissent les problèmes, sourit François Delor. Bite a le même nombre de lettres que zizi, mais la première est plus grosse que le second. » Enfin, « il est également essentiel de respecter, à tout âge, l’intimité du jeune », complète le Dr Catherine Marneffe.

De 6 à 12 ans, les questions des jeunes restent nombreuses. Ce qui a été mis en place lors des années précédentes va être intégré, assimilé, détaillé. Ainsi, l’enfant va mieux comprendre les différences entre les sexes, les processus de conception, de gestation et de naissance ainsi que les responsabilités qui en découlent. C’est alors qu’il faut, aussi, l’aider à apprivoiser l’idée de la puberté, parler de son anxiété face au corps qui va se transformer, préparer le prépubère au côté initiatique que peut avoir l’arrivée des premières règles ou des premières éjaculations.

Les adolescents s’interrogent plus clairement sur leur propre sexualité. Mais il demeure encore nécessaire de rafraîchir leur mémoire. En effet, « ainsi que l’expliquait Anna Freud, tels ces groupes primitifs christianisés qui croient encore, en cachette, à leurs anciens dieux, en matière de sexualité, l’enfant chérit ses propres hypothèses, qu’il teste au fur et à mesure », explique le Dr Catherine Marneffe.

7. Peut-on répondre à tout?

Certaines questions sont indirectes. Un langage outrancier et vulgaire indique parfois à quel point la sexualité les angoisse, les tourmente, leur pose problème. Quant aux franches interrogations…

« Avant d’y répondre, on peut – pourquoi pas -? leur demander ce qu’ils savent déjà du sujet ou ce qu’ils ont envie qu’on leur en dise », rappelle Catherine Marneffe. Il « suffira », ensuite, de trouver les mots, mais toujours sans en faire de trop, sans en rajouter. Ils attendent des infos, pas des conférences!

Cela dit, il n’existe pas forcément de réponse à toutes les questions. « Le rôle de l’adulte, de « l’expert », n’est pas de « savoir » mais de reconnaître le trou dans la connaissance de l’autre et d’éviter de le boucher de son propre savoir, assure François Delor. En effet, à la question « Suis-je belle? », répondre « Oui, tu es belle », cela ressemble à une réponse, mais ce n’en est pas une. Car la vraie demande, c’est « Puis-je séduire? » ou « Serais-je la plus belle aux yeux de celui qui me choisira? » Or, de cela, nous ne savons rien. »

Alors, que dire à un jeune qui demande si « une fellation, c’est bien ou c’est sale? ». « Qu’il trouvera sans doute sa propre réponse et qu’il n’est pas étonnant que cela l’intrigue! dit en souriant François Delor. Ce qui importe, en fait, c’est de continuer à soutenir l’enfant et à dédramatiser. Le rôle de l’adulte consiste à placer le jeune dans le cadre d’une autorisation orientée: il y a une balise entre « tout n’est pas permis » et « ce qui est autorisé n’est pas, non plus, obligatoire ». Prenons un exemple: « Je peux me masturber? » demande l’enfant. Il le peut. Mais ce n’est pas obligé. Notre réponse n’est donc ni oui ni non. Nous pouvons cependant lui dire qu’en tout état de cause il n’a pas à le faire devant des gens. »

A travers l’éducation sexuelle et affective, conclut François Delor, le message principal à donner aux enfants serait donc, peut-être, finalement, celui qui leur permettra leur vie durant de grandir: « C’est à toi de voir. Mais, quoi que tu fasses, essaie de le faire bien. »

8. Que taire à des enfants?

Nous l’avons vu: il est inutile de tout dire ou d’aller trop vite. « Accompagner quelqu’un, c’est souvent se tenir un peu en arrière, assure François Delor. C’est, en fait, permettre à celui qui avance de se retourner et de dire: « Et toi, qu’est-ce que tu en penses? » » Certains parents claironnent que leur fille est réglée, lui proposent aussitôt la pilule ou demandent à leur fils de 12 ou de 13 ans de prendre des préservatifs quand il invite pour la première fois une amie au cinéma. Ils oublient de respecter l’indispensable intimité de leurs enfants, de naviguer entre une nécessaire distance et une coupable indifférence.

Les parents auraient également tort de croire qu’ils ont tout à savoir de la sexualité des jeunes. « Il faut éviter d’essayer d’en savoir trop, résister à la pulsion du regard, à la curiosité. Nous n’avons pas à tout voir et à tout savoir », affirme François Delor.

De même, l’enfant n’a pas davantage à être informé de ce qui se passe dans nos lits. « On peut montrer qu’on aime son conjoint, mais on n’a pas à exhiber sa propre sexualité, poursuit le Dr Catherine Marneffe. Pas plus que nous n’avons à laisser traîner de vidéos pornos, nous n’avons à raconter à nos enfants nos déceptions sexuelles. »

Enfin, l’enfant est longtemps avide de tout savoir sur la rencontre entre ses parents et sur sa conception. Lorsque le couple est séparé, « même si on a changé et qu’on ne comprend plus comment on a pu aimer le père ou la mère de son enfant, avouons-nous qu’à un moment donné de notre vie on a bel et bien éprouvé ce sentiment. L’enfant est né du désir de ses parents et fait partie de cette histoire d’amour qu’il est inutile de salir », insiste le Dr Catherine Marneffe.

9. Nos ados ont-ils vraiment besoin de nous?

« Les parents, assure Jocelyne Robert, sont les premiers acteurs dans l’éducation sexuelle de leurs enfants car ils demeurent les personnes les plus significatives auprès d’eux. C’est à tort qu’ils s’imaginent avoir perdu toute influence sur leur enfant. Ils doivent continuer, malgré et avec les erreurs, à occuper leur place et ils ne peuvent surtout pas démissionner. »

François Delor rappelle, pourtant, que « les parents n’ont pas tant à parler d’érotique que de mettre en place, en oeuvre, un dispositif de bienveillance et de respect, en évitant les excès d’impudeur et de pudeur. De plus, cet espace de tendresse légitime n’est pas forcément un monopole: d’autres adultes peuvent remplacer les parents. A priori, le père et la mère ne sont pas meilleurs que d’autres dans ce domaine. Ils sont, seulement, mieux placés. »

En tout cas, il reste indispensable que des adultes se placent sur un terrain par ailleurs bien mal occupé. « En matière de sexualité, les jeunes sont terriblement sollicités, souligne François Delor. Or ce qu’ils reçoivent s’apparente à des repas de mauvaise qualité, importés de la planète Mars. Contrairement à ce qu’ils voient dans les revues ou les films pornos qui, parfois, tiennent lieu d’éducateurs, 90% de la population ne fait pas l’amour à plusieurs, avec cinq femmes ou dans l’irrespect de celles-ci! Le porno, c’est un peu comme un déguisement que l’on porte à un bal. Les jeunes sont-ils capables de résister à ce qui semble irrésistible et à ce qui est totalement faux, à cette hypertrophie du sexe, cette gonflette imaginaire du macho, cette performance permanente. De ne pas tomber dans le culte du « mâle » qui l’entoure? » Les adolescents, assure le sociologue, ne vivent plus un âge tendre mais un âge dur, où on leur demande d' »être fort, d’être lisse, de s’adapter et où l’homme est réduit à un organe qui fait la loi ».

Pour sa part, le Pr van Meerbeeck pense que « les jeunes sont avides de pistes mythiques pour repenser la condition humaine. La culture, dit-il, doit les aider à s’ouvrir, leur apprendre à penser, pas à baiser. Et, entre autres, à penser ce que baiser veut dire. » Pour les aider, on n’a encore rien inventé de mieux que les adultes et, surtout, des adultes qui les aiment…

10. Mais que veulent les ados?

« Les jeunes ont besoin qu’on leur dise ce qui les émerveille plutôt que ce qui nous tourmente, qu’on leur parle de ce qu’ils vivent plutôt que ce qu’on souhaite qu’ils ne vivent pas, qu’on leur communique ce qu’ils sont en mesure et en désir de comprendre, plutôt que ce qu’on veut qu’ils comprennent », conclut Jocelyne Robert. Après tout, Jean Cocteau disait presque la même chose en écrivant: « L’important, c’est la rose. » Et personne n’a jamais dit qu’elle ne contenait pas quelques épines…

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