POLITIQUE Reynders, les clés de sa survie

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

La presse flamande le vomit, il indispose ses partenaires politiques. Le Fortisgate n’a pourtant pas eu raison de celui qui est à la fois vice-Premier, ministre des Finances et président du MR. Cela fait trop à déboulonner.

Les temps sont apparemment durs pour Didier Reynders. Il a d’ailleurs soigné sa com’ pour l’admettre. Avec cette petite touche intimiste que lui a servie RTL-TVI, lors d’un  » entretien-vérité  » diffusé sur le site Web de la chaîne privée, au terme d’une semaine éprouvante pour la gestion du dossier Fortis. Ah, ce canapé de couleur anthracite et cette petite lampe de table à la lumière orangée qui vous changent un homme ! Le ministre des Finances a quitté un temps son allure de  » poisson froid  » pour le registre de  » l’homme blessé « , soudain  » bien seul  » face à l’adversité et au poids des responsabilités. Rien n’y manquait, pas même le frottement nerveux des doigts qui trahit l’émotion au moment d’être  » soumis à la question « à. On y regarderait à deux fois avant de faire mordre la poussière à ce diable d’homme que tout accable.

Sitôt acté le cinglant revers de fortune dans la saga Fortis, les éditorialistes flamands se sont en effet empressés de lui voler dans les plumes et de lui rabattre le caquet. Le déluge de feu s’est abattu sur le seul ministre des Finances, désigné du même coup responsable de tous les maux qui minent la conduite des finances publiques.  » L’homme supposé mener la bonne gestion du dossier Fortis a une nouvelle fois semé la pagaille « , s’emporte le Standaard. Une nouvelle fois ? La presse flamande a balancé en vrac tous les £ufs que le nord du pays a à peler avec celui qui gère depuis près de dix ans le département des Finances. Et le président du MR n’a pas fini d’aggraver son cas, vu de Flandre : ce francophone n’a-t-il pas eu l’outrecuidance d’ambitionner le poste de Premier ministre, chasse gardée des partis flamands ? Ne s’ingénie-t-il pas à contrecarrer les velléités de réforme de l’Etat, comme il vient encore d’en donner une preuve ? N’est-ce pas de sa faute si le gouvernement fédéral n’a pu secourir la banque flamande KBC ? Le tir de barrage déclenché par la presse flamande promettait d’être meurtrier s’il se déployait aussi sur le terrain politique. La tentation était grande, mais la plupart des partis n’y ont pas cédé. Il ne s’est trouvé que l’opposition flamande extrémiste ou populiste (Vlaams Belang, Lijst Dedecker, N-VA) pour réclamer la tête du vice-Premier et ministre des Finances. Au sein de la majorité gouvernementale, on a promptement serré les rangs autour de celui qui est aussi président du MR. Et, de ce fait, comme il aime tant le rappeler, chef de file de la première famille politique du pays. Réflexe élémentaire de survie :  » Si Reynders claque la porte, le MR le suit « , dit-on dans tous les états-majors de parti. Impensable et irresponsable, dans le chaos économique et budgétaire ambiant.

D’autres raisons poussent à maintenir en selle un personnage que, dans la coulisse, on persiste à qualifier d’imbuvable. Que l’on maudit pour son arrogance. Cet art consommé qu’il aurait  » de passer à travers les gouttes « , enrage-t-on côté flamand. Ce talent fou  » de ne pas dire la vérité avec un aplomb dingue « , fulmine cet élu PS. Seulement voilà : mieux vaut ménager encore un homme qui brouille habilement les cartes. Comment flinguer un ministre libéral qui ne cesse de prendre à témoin la majorité silencieuse des épargnants et du personnel de Fortis, pour justifier son action face aux calculs égoïstes des actionnaires ? Au PS, on préfère donc se satisfaire de l’image ternie du ministre des Finances. Sans prendre le risque de  » faire de Reynders un martyr « , en pleine campagne électorale. On mise plutôt sur la fâcheuse publicité que pourrait constituer l’étalage de ses défaillances ou de ses man£uvres peu orthodoxes, devant les commissions parlementaires qui vont tenter de mettre en lumière les intrigues politico-judiciaires autour du dossier Fortis. C’est là que prend tout son sens le forcing, notamment socialiste, pour que les acteurs clés soient mis sur le gril au Parlement, avant le scrutin de juin. Le CD&V, qui a pourtant perdu trois ministres (Leterme, Vandeurzen, Vervotte) dans la saga Fortis, s’est gardé d’exiger un tribut du côté francophone.  » Nous ne sommes pas animés d’un esprit revanchard « , assure le député CD&V Hendrik Bogaert, d’ailleurs élogieux envers celui que le CVP, alors dans l’opposition, avait pourtant qualifié de  » pire ministre des Finances de tous les temps « à. Il est vrai que désavouer l’action de Reynders dans le dossier Fortis reviendrait à crucifier le bilan de l’ex-Premier ministre Leterme. Cerise sur le gâteau, le président du MR a même pu compter sur l’indulgence de l’opposition Ecolo et son refus de jouer l’homme. Le sénateur Josy Dubié en est vert de rage :  » Je ne comprends pas l’attitude de mon parti. Il n’était pas question de tirer sur une ambulance, ni même un corbillard. Mais bien sur une Rolls-Royce, qui a été payée par les contribuables !  » Surtout, n’allez pas voir dans cette retenue de la formation de Jean-Michel Javaux l’amorce d’un pas de deux souhaité par le président du MR. Vraiment seul dans l’adversité, Reynders ?

PIERRE HAVAUX

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