Plus près des étoiles

Plus de dix ans après sa création, l’Euro Space Center prend enfin son envol. Doublé d’un musée moderne, ce hall d’entraînement pour fanas d’aérospatiale reste une originalité en Europe

Devant un parterre de collègues hilares, tous salariés de la même firme de nettoyage, une grande bringue en tunique bleu ciel fait des bonds de kangourou déjanté: elle est arrimée au « moon walk », une étrange chaise high-tech qui, pendue au plafond par de gros ressorts, simule la gravité lunaire. Plus loin, un groupe de touristes japonais ouvrent des yeux en billes de lotto: sur une piste en contrebas, chacun à leur tour, des enfants prennent place dans un « multi-axes ». Utilisé au début de la conquête spatiale américaine pour vérifier la capacité des astronautes à se concentrer en dépit des désorientations de leur vaisseau, ce siège donne le vertige aux spectateurs, bien plus qu’à son occupant. « 3,75 multiplié par 728,2! » ordonne un moniteur. Tête en bas, petites jambes volantes, le gamin prisonnier de l’engin tape frénétiquement sur sa calculette, avant d’articuler fièrement la réponse.

Plongée dans une lumière noir et bleu, la billetterie de l’Euro Space Center (ESC), à Transinne (Libin), ressemble au port d’attache d’une station spatiale. Juste en face de la combinaison que portait Owen Garriett lors d’un séjour sur Skylab en 1973, une cabine d’aisance expérimentale, au W.-C. pourvu d’un drôle d’entonnoir « avale-pipi », fascine une fillette: « Je peux l’essayer? » supplie-t-elle, avant d’être entraînée dans la « Space Odyssey » (une longue balade multisensorielle à travers le big bang, les planètes, le labo européen Columbus et la future station internationale), dont la juste concordance à l’actualité n’est pas le moindre des atouts. « C’est l’avantage du multimédia, explique Jean-Marcel Thomas, directeur du centre. Pour rester à jour, il est possible d’injecter au montage sonore, en un tournemain, toutes sortes d’infos récentes. »

Bien sûr, tout ça – le parcours-spectacle, les expositions temporaires, l’accueil des stagiaires auxquels se mêlent, sans télescopage, des visiteurs occasionnels et discrets -, n’a plus grand-chose à voir avec le hangar quasi vide des débuts, où des promeneurs égarés erraient, assez décontenancés, entre trois engins au repos et cinq vitrines poussiéreuses. C’est vrai: comme une fusée qui s’envole en pétaradant mais chavire en plein ciel, l’ESC, en 1991, a sans doute manqué son décollage. Construit en neuf mois (une performance!), à la suite d’une idée concrétisée en trois ans seulement (grâce à la rencontre d’investisseurs publics et privés), le centre souffre alors d’une très mauvaise définition d’image. Depuis l’autoroute E 411 qui le borde, et peut-être à cause de la navette Hermès en plastique qui l’annonce, on dirait un parc d’attractions. A l’intérieur, dans une cafétéria qui ressemble à un restoroute, le public s’interroge: s’agit-il d’un musée? D’une base militaire désertée? Le lieu peine à imposer son identité.

Surtout, il a vu grand, trop grand. Doté, à l’époque, d’un budget de 350 millions de francs, il coûtera finalement plus d’un demi-milliard. Aujourd’hui encore, ses administrateurs traînent, comme autant de boulets, ces investissements initiaux colossaux. « Chaque année, l’ESC doit rembourser 21 millions de francs d’amortissement, poursuit Thomas. Il en supporte 7 lui-même. Le reste, soit 14 millions, est honoré par l’intercommunale Idelux. » Il n’empêche. En dépit de sa démesure, l’ESC a longtemps pâti d’une absence de « définition de contenu ». « Les scientifiques et les militaires qui ont présidé à sa conception manquaient un peu de créativité », lâche-t-on. Et de cohérence. Sans beaucoup de logique, des services au public sont offerts, puis retirés. Exit la garderie pour enfants, la vente de caviar soviétique (!), les stages pour adultes. Comme s’il cherchait désespérément ses marques, l’ESC louera aussi ses salles, à l’occasion, pour des conférences de presse. Dont une, mémorable, en juin 1996. C’est là qu’a lieu, en direct, la retransmission du décollage manqué d’Ariane 5, devant un parterre d’huiles de l’industrie spatiale belge, pâles comme des linges…

Sortes de colonies de vacances sidérales, les « space camps » de l’ESC, conçus sur le modèle des stages proposés à Huntsville (Alabama) pour des centaines de jeunes Américains à la fois, mettent également du temps à trouver leur rythme de croisière. Aujourd’hui, le produit est au point. Parfaitement défini, instructif et amusant, il séduit, en incentive (« en récompense du travail bien fait ») ou en team building (« pour remotiver les troupes »), des cadres et des employés de diverses sociétés du pays. Mais c’est surtout les jeunes qu’il vise, autant individuellement qu’en bandes, via des « classes de l’espace ». Avec 8 000 « jours/stages » prestés en 2001, cette dernière formule est devenue un must, qui attire des écoles francophones et flamandes, mais aussi de France, d’Allemagne et des Pays-Bas. Sans compter les délégations d’enfants envoyés chaque année par le personnel de l’Agence spatiale européenne. Il faut, alors, jongler avec les interprètes. Et louer des gîtes ruraux, quand la capacité d’accueil du centre (140 lits) est dépassée.

Croisement d’un musée (non traditionnel) et d’un lieu vivant où se pratiquent diverses activités pédagogiques et ludiques, l’ESC est devenu ce que les Français nomment un « centre d’interprétation ». « A quelques exceptions près, on n’a pas d’objet de valeur ou de pièce qui a réellement séjourné dans l’espace », précise le directeur du centre. Quel intérêt de montrer les chaussettes de Neil Armstrong ou la brosse à dents de Dirk Frimout? C’est la mise en scène judicieuse des éléments épars du lieu – une maquette, un morceau de navette, un bassin d’apesanteur, tous matériels provenant de la Nasa mais qui n’ont pas forcément « volé » – qui favorisera peut-être le déclic des vocations. « Il faut que le visiteur quitte l’endroit avec, au moins, dix connaissances supplémentaires dans le domaine spatial, ainsi qu’une vision claire de ce que le secteur peut apporter dans l’avenir », insiste Jean-Marcel Thomas. Fort de son expérience dans les loisirs de masse – il a été le directeur général de Walibi jusqu’en 1999 -, Thomas s’y emploie. Avec, cette fois, l’intellect en plus. En combinaison avec des sports et des formations linguistiques ou informatiques, le « space camp », best-seller de l’ESC, vient de s’adjoindre deux petits frères: l' »astro camp » permet désormais aux adolescents de fabriquer cartes du ciel, cadrans solaires et lunettes astronomiques, pour s’orienter seuls parmi les étoiles. Et le « rocket camp », d’y envoyer carrément leurs propres fusées…

Euro Space Center: 061-65 64 65 ou www.eurospacecenter.be

Valérie Colin

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