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Qui dit placements dit chiffres. Décrypter l’état de santé de l’économie ou des entreprises passe par la manipulation de statistiques en tout genre. Voici les six pièges à éviter

Dans un monde économique de plus en plus complexe, le pouvoir d’attraction du chiffre s’explique aisément : de façon synthétique, il permet de se faire une idée plus ou moins précise d’une réalité. Telle entreprise a réalisé un bénéfice de 15 millions d’euros. Tel pays a vu son produit intérieur brut (PIB) croître de 1,5% alors que tel autre a connu une baisse de l’ordre de 1%. Mais la précision n’est-elle pas souvent trompeuse ? Et de quelle réalité parle-t-on ?

Piège n° 1 : un historique contestable

La qualité d’un chiffre est bien sûr différente s’il résulte d’un calcul effectué sur des données passées ou s’il s’agit d’une prévision. Néanmoins, malgré les contrôles effectués et la puissance des ordinateurs, les chiffres historiques jetés en pâture à la presse et aux analystes ne recouvrent pas  » la réalité « . Ainsi, au niveau macroéconomique, les taux d’inflation ou de productivité sont l’objet de multiples débats quant à la méthodologie de leur fixation. Le taux d’inflation pourrait être biaisé par une trop grande rigidité dans la composition du panier de biens et de services considéré. Par ailleurs, tant les mesures d’inflation que de productivité prennent difficilement en compte l’évolution de la qualité de biens et services produits. Sur le plan des comptes annuels d’entreprises, de récents scandales comme Lernhout & Hauspie en Belgique ou Enron aux Etats-Unis montrent bien que la confiance ne peut être totale quant à ce que laisse transparaître la comptabilité et quant au travail des auditeurs. Plus généralement, le débat fait rage actuellement quant à la présentation des résultats par les entreprises. Dans leur calcul de résultat  » courant  » ou  » pro-forma « , les entreprises ont tout le loisir d’exclure des éléments gênants (des charges le plus souvent, bien sûr) pour donner l’impression d’une meilleure performance bénéficiaire qu’elle ne l’est en réalité. Raison principalement invoquée : ces charges ne se reproduiront plus. A voir !

Piège n° 2 : des prévisions difficiles

Si vous reprenez les prévisions, par exemple, de croissance économique mondiale émises par bon nombre d’experts en début de chaque année, vous vous apercevrez qu’elles s’avéreront souvent, au bout du compte, erronées. Bien sûr, de nombreux événements imprévus peuvent survenir en cours d’année (pensez seulement aux attentats du 11 septembre dernier). Mais cela n’explique pas tout : d’une manière générale, les prévisionnistes sont souvent trop optimistes.

Par exemple, la  » bulle  » boursière formée autour du concept de nouvelle économie provient en grande part des attentes, irréalistes à court terme, des analystes dans les bienfaits de la technologie sur l’économie et les entreprises.

Au-delà de ce biais psychologique, la question se pose parfois plus crûment : les prévisionnistes font-ils vraiment leur travail consciencieusement ? Des problèmes d’indépendance peuvent ainsi surgir (entre maisons de courtage et banques d’affaires notamment, concernant les prévisions bénéficiaires d’entreprises). Selon la Federal Reserve Bank de New York, dans une étude récente, les prévisionnistes sont davantage rémunérés pour la publicité qu’ils obtiennent pour leurs firmes (en termes de présence dans les médias) que pour l’exactitude de leurs prévisions.

Retenez donc que les prévisions les plus crédibles sont le plus souvent accompagnées de scénarios plus ou moins détaillés.

Piège n° 3 : gare au trompe-l’oeil

Selon l’angle sous lequel ils sont présentés, certains chiffres peuvent induire en erreur. Un cas d’école fréquemment cité est le suivant. En 1992, le revenu (réel c’est-à-dire hors inflation) moyen des ménages aux Etats-Unis était globalement identique à son niveau de 1969 : une telle statistique peut être interprétée dans le sens d’une stagnation du niveau de vie et une précarisation de la classe moyenne. En fait, à y regarder de plus près, cette stabilisation du revenu moyen provenait du fait que la taille des ménages s’était réduite : le revenu individuel moyen s’était quant à lui apprécié de 40% sur la période !

L’utilisation des pourcentages est également délicate. Prenons l’exemple d’un investisseur malheureux ayant investi dans une action dont le cours a chuté de 50% depuis l’achat. Un coup de téléphone à son conseiller financier le réjouit : en effet, le cours de cette action vient précisément de regagner 50%. Cet investisseur peut-il dormir à nouveau sur ses deux oreilles ? Eh bien non ! Une action qui perd 50% de sa valeur (disons que le cours chute de 30 à 15 euros) doit en fait grimper de 100% pour revenir à sa valeur initiale (15 x 2).

Piège n° 4 : le leurre des classements

Rien de plus populaire qu’un bon classement ! Songeons au hit-parade des entreprises les plus admirées à celui des sicav les plus performantes… Attention : avant d’avaliser de tels classements, de nombreux éléments doivent être vérifiés. Le score est-il établi sur un échantillon ou sur la population globale ? Quel est le degré de précision des critères utilisés ? Par exemple, dans le cas d’un classement de sicav, est-il tenu compte du risque s’il s’agit d’apprécier la performance des gestionnaires ? Lorsque l’objet du classement est abstrait (entreprises les plus admirées, pays les plus concurrentiels), l’analyse résulte souvent d’une approche multicritères : tous ces critères sont-ils pertinents et comment sont-ils pondérés ?

Notons ici pour l’exemple qu’il existe deux classements des pays les plus compétitifs, donnant des résultats sensiblement différents : pour 2001, le classement de l’IMD de Lausanne (Institute for Management Development) donne ainsi la première place aux Etats-Unis tandis que le World Economic Forum (en collaboration avec l’université américaine Harvard) attribue sa palme à la Finlande (qui n’est que troisième pour l’IMD tandis que les Etats-Unis arrivent en deuxième position pour le World Economic Forum).

Attention, enfin, à l’interprétation d’un classement : une progression d’une année à l’autre dans un classement sera souvent plus significative que le rang absolu occupé. Une place médiocre offre un plus grand potentiel d’amélioration et les premiers classés d’une année ne sont pas toujours les premiers classés de l’année suivante.

Piège n° 5 : d’où viennent ces chiffres ?

Derrière chaque chiffre, il y a un auteur dont les motivations peuvent être diverses. Une analyse critique de cet auteur et de ses motivations est donc souhaitable. Ainsi, une entreprise cherchera le plus souvent à présenter ses résultats sous l’angle le plus favorable tandis qu’un analyste financier indépendant ne se gênera pas pour épingler telle ou telle faiblesse. De même, une organisation professionnelle défendra l’intérêt de ses membres, à savoir souvent les entreprises cotisantes. N’hésitez pas à recouper vos sources et faites davantage confiance aux institutions pouvant revendiquer une certaine ou une réelle neutralité.

Attention également à deux aspects fondamentaux : pour quelle période et pour quelle zone géographique ces chiffres sont-ils valables ? Il ne s’agit pas de verser dans la généralisation abusive. Une statistique portant sur les Etats- Unis des années 1980 ne peut certainement pas s’appliquer telle quelle à l’Europe des années 1990 !

Un dernier  » truc  » : personne n’aime reconnaître ses erreurs. Si vous croyez déceler de la mauvaise foi dans la présentation ou l’utilisation de chiffres, c’est peut-être le fait d’une personne qui cherche à camoufler une erreur antérieure.

Piège n° 6 : le tout chiffré ?

Tout ne peut se résumer à des chiffres. Qui peut prouver que le bien-être d’un pays (et donc de ses habitants) passe nécessairement par une augmentation de son PIB ? Quid si une telle croissance se fait au détriment de l’environnement ? Ainsi, de plus en plus, des considérations qualitatives interviennent dans les analyses. Par exemple, dans le classement de compétitivité des pays (voir piège n°4), des critères tels que la transparence ou le souci de cohésion sociale des gouvernements peuvent intervenir tandis que, pour apprécier au mieux les perspectives de croissance d’une entreprise, l’analyste financier se penchera aussi sur l’expérience du management ou la qualité des relations de travail.

Ne nous y trompons pas ! Les chiffres sont et resteront incontournables pour toute analyse économique ou financière. Mais ils ne sont pas toujours une garantie d’objectivité et de vérité. Gardez l’esprit critique.

Vincent Colot (Budget Hebdo)

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