Pièces détachées

Kenan Görgün signe un récit sagace et insolite sur les intermittences du cour.

Dès son premier roman, L’ogre, c’est mon enfant (Luce Wilquin, 2006), on a su que Kenan Görgün possédait un solide talent d’écrivain, confirmé par Fosse commune (Fayard, 2007). Natif de Gand, ce jeune trentenaire, fils de parents turcs et autodidacte, écrit également pour le cinéma (avec, notamment, Albanie, un long-métrage signé Taylan Barman, prochainement sur les écrans).

Dans la lignée de L’Ogre, où il évoquait la relation dramatique entre une mère malgré elle et son envahisseur d’enfant, c’est, avec Alcool delarmes, sur un couple en instance de mariage qu’il braque cette fois un regard d’une acuité psychologique tout aussi impressionnante. Le tout emporté par une vague de réalisme magique, à moins qu’il s’agisse des fantasmes d’un esprit troublé par la difficulté d’affronter la révolution de l’amour. Et la révolution, c’est son affaire, à Ben, puisque c’est précisément l’objet de son travail de thésard, inspiré par un voyage à Cuba. Mais, pour l’heure, son problème c’est Chloé, sa fiancée officielle : face à elle  » qui lui fit comprendre qu’elle ne pourrait envisager le long terme sans mariage, Ben, qui n’aurait pas juré l’aimer toute sa vie mais n’était pas non plus disposé à la perdre déjà, n’avait pas eu trente-six solutions « . C’est dans cet état d’esprit digne des célèbres inquiétudes de Panurge face au conjugo qu’un phénomène pour le moins étrange intervient dans sa vie. Dans le train quotidien où il occupe toujours la même place, il découvre, jour après jour, les  » pièces détachées  » d’une femme. Des faux ongles, des cheveux, une bague, un foulard, qui confortent peu à peu sa conviction que ces éléments appartiennent à Zanalée, la femme qu’il avait aimée et rejetée avant qu’elle ne se tue en voiture. Voulait-elle lui envoyer un message depuis l’au-delà ? Le roman évolue ainsi entre le réalisme implacable d’une relation sentimentale difficile et parfois orageuse avec Chloé (jusqu’à en venir aux mains) et les intrusions lancinantes – oniriques ou fantasmatiques – d’un passé dont la blessure, les regrets ou les remords envahissent le présent.

Pas de panique, toutefois : la révolution est en marche. Un livre à interdire absolument à tout fiancé en passe de se marier. A moins qu’il ne faille le lui recommander chaudement.

Alcool de larmes, par Kenan Görgün. Lauce Wilquin, 94 p.

Gh.C.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire