Pékin ne perd pas le Nord

La Chine cherche à tout prix à peser dans cette région éloignée de ses côtes. Première exportatrice mondiale de produits manufacturés, elle rêve, avec la fonte des glaces, d’un passage le long de la Russie. Dévoreuse d’hydrocarbures, elle lorgne les réserves d’une zone très riche en gisements.

Comme d’habitude, ils sont arrivés en nombre. Quatre hauts fonctionnaires chinois, venus spécialement de Pékin pour assister, il y a trois mois, à Stockholm, à la conférence annuelle du Conseil de l’Arctique, où les représentants de huit pays proches de la zone polaire (1) abordent des questions régionales telles que l’environnement ou le droit de la pêche.

Un gain de 6 400 kilomètres et de 180 000 dollars

Et, comme d’habitude, les Chinois se sont assis à l’écart, stylo et carnet de notes à la main.  » Ils sont sérieux comme des papes et ne ratent jamais une réunion, raconte un diplomate familier de ces grands raouts – et, du reste, guère surpris par leur assiduité. Ils ont un but, ne s’en cachent pas et mettent tout en £uvre pour l’atteindre.  » En l’occurrence, décrocher le statut, très convoité, d’observateur permanent. Seuls six pays, dont la France, le détiennent. Il ne permet pas de voter ni même de prendre la parole durant les assemblées. Mais il confère une vraie légitimité sur les questions polaires. Exactement ce que cherche Pékin, dont l’intérêt pour le Grand Nord ne cesse de croître.

Ce sont les scientifiques qui ont ouvert la voie, dans les années 1990. Forts de leur brise-glace Xuelong (Dragon de neige), ils ont monté quatre expéditions dans l’Arctique, édifiant même une station de recherche dans l’archipel norvégien du Svalbard, à Ny-Alesund. Déjà, un second brise-glace est en construction.

Les savants ne sont pas les seuls, dans l’empire du Milieu, à se passionner pour la banquise : d’autres, aux motivations plus mercantiles, leur ont emboîté le pas. Pour s’en rendre compte, il suffit de s’intéresser aux profils des émissaires envoyés par Pékinà Souvent, on y trouve un représentant du ministère des Transports. Ce n’est pas un hasard. Avec le réchauffement climatique, et la fonte des glaces, il est désormais possible de faire passer des cargos géants par l’océan Arctique durant les mois d’été. Des deux voies possibles, la canadienne et la russe, cette dernière semble la plus praticable.

Des tentatives ont déjà eu lieu. En septembre 2010, escorté par deux brise-glace, un navire hongkongais, le Nordic Barents, a transporté une cargaison de minerai de fer depuis Kirkenes, en Norvège, jusqu’au port de Shanghai. Bilan ? Une route raccourcie d’un tiers par rapport à la route de Suez, soit un gain de 6 400 kilomètresà et de 180 000 dollars en fuel. Avant d’ouvrir ce chenal sibérien, il faudra tout de même patienter quelques années, le temps de placer des balises et de construire des ports qui permettent d’avitailler les navires et de les secourir en cas de problème.

Premiers exportateurs du monde, les Chinois piaffent. Car ce raccourci leur permettrait d’économiser des millions de dollars, même en tenant compte des primes d’assurance et des droits de passage que les Russes ne manqueront pas de leur faire payer.

Dans les délégations chinoises, on croise aussi des experts en matières premières. Quoi d’étonnant ? Près de 30 % des réserves mondiales de gaz et 13 % des gisements de pétrole dormiraient dans le sous-sol arctique, selon une étude publiée en 2008 par l’ US Geological Survey. Certains gisements sont situés près des côtes sibériennes, d’autres, dans les eaux internationales. Un enjeu stratégique pour les Chinois, prêts à tout pour sécuriser leur approvisionnement en énergie. Au risque d’être parfois maladroitsà Comme lors de ce dîner, en mai 2009, à Tromso, en Norvège. Au beau milieu de la soirée, l’ambassadeur chinois prend la parole devant des membres du Conseil de l’Arctique. Durant vingt minutes – une éternité dans ce monde très policé -, il explique pourquoi son pays doit, le lendemain, lors de la conférence, obtenir ce fameux statut d’observateur. Silence glacial des convivesà qui rejetteront en bloc la demande.  » Trop d’arrogance « , entendra- t-on en coulisses. Et un sentiment d’ingérence qui en a froissé plus d’un.

Tant pis, les Chinois réessaieront en 2013, au prochain changement de présidence, en prenant soin de ne pas commettre la même erreur. Plutôt que les grands discours, mieux vaut avancer à petits pas, façon jeu de go : Pékin approche les pays membres les uns après les autres pour obtenir leur voix et nouer des partenariats stratégiques. A cet égard, la visite du Premier ministre Wen Jiabao en Islande, fin avril, est un cas d’école. Car la signature d’une  » coopération dans le secteur énergétique dans l’Arctique « , sur laquelle elle s’est conclue, est le fruit d’une approche de plusieurs années. D’abord, les Chinois ont construit une nouvelle ambassade à Reykjavik, capable d’accueillirà 300 personnes. Pour un pays comme l’Islande, c’est démesuré. Sauf si les ambitions que l’on a dans ce pays, touché de plein fouet par la crise, le sont aussi. Ils ont ensuite multiplié les investissements : 3 milliards de dollars dans des usines locales de silicium, soit le quart du PIB islandais !

Seule fausse note, la façon, un peu brutale, dont l’homme d’affaires chinois Huang Nubo a tenté d’acheter 300 kilomètres carrés de terrain, dans le nord-est de l’île. Soupçonné de vouloir y construire un port qui servirait de hub aux futurs cargos polaires, le tycoon a essuyé le refus catégorique du ministre de l’Intérieur, Ogmundur Jonasson. Aux dernières nouvelles, cependant, il n’aurait pas renoncé. Pour contourner l’hostilité du ministre, il aurait proposé une autre formule aux maires locaux : ils achètent eux-mêmes les terrains, qu’Huang Nubo leur loue ensuite – à bon prix – pendant quarante ans. Dossier en cours.

Un fonds international d’épargne soutenu par Pékin

A peine le dirigeant Wen Jiabao quittait-il le sol islandais qu’un autre ministre, Xu Shaoshi, chargé des terres rares, atterrissait au Groenland. Aucun accord n’a été signé durant cette  » visite de courtoisie « , mais l’on y a évoqué deux dossiers : la coopération universitaire et, surtout, la construction d’infrastructures minières. Voilà une lune de miel qui commence bien.

Les dirigeants chinois ne courtisent pas que les  » petites  » nations. Ils placent aussi leurs pions chez les grands. Les 16 milliards de dollars qu’ils ont investis, ces dernières années, dans des projets énergétiques canadiens contribuent sans doute à la bienveillance dont ils font l’objet à Ottawa, soucieux de ne pas dépendre uniquement de son puissant client au sud de sa frontière, les Etats-Unis.

Même la Norvège est conquise. Les relations entre les deux pays s’étaient pourtant refroidies, après que le dissident chinois Liu Xiaobo a reçu le prix Nobel de la paix à Oslo, en 2010. Mais Pékin sait mettre ses principes en sourdine. Les différends ont été aplanis. Le ministre norvégien des Affaires étrangères vient d’ailleurs d’exprimer son soutien à la candidature chinoise. Ce sera précieux lors du vote.

(1) Canada, Finlande, Islande, Norvège, Russie, Suède, Etats-Unis, ainsi que le Danemark, pour le Groenland et les îles Féroé.

Charles Haquet

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