La diplomatie israélo-américaine n’a aucune chance de relancer un véritable processus de paix. Voici pourquoi
Les commentateurs israéliens n’attendaient aucun progrès spectaculaire de la rencontre du mardi 8 mai entre le président américain George W. Bush et le Premier ministre israélien Ariel Sharon, et ils ne se sont pas trompés. D’ailleurs, ils n’espèrent pas davantage des nouvelles initiatives américaines (l’émissaire Anthony Zinni revient dans la région pour tenter de renforcer la trêve précaire), ni de la « conférence régionale » qui devrait être organisée le mois prochain, en Turquie, avec la participation des Etats-Unis, de l’Union européenne, de la Russie, de l’Egypte, de la Jordanie, du Maroc, de l’Arabie saoudite, d’Israël et de l’Autorité palestinienne (AP), pour essayer de remettre le processus politique sur ses rails.
Certes, en s’envolant dimanche pour Washington, le Premier ministre israélien a annoncé qu’il présenterait un nouveau plan de paix au président américain et au secrétaire d’Etat Colin Powell. Mais, même en supposant qu’il veuille faire avancer les choses, le Premier ministre n’est pas libre de ses mouvements: le comité central du Likoud (son parti), qui se réunira le 12 mai, est majoritairement opposé à la création d’un Etat palestinien. En outre, le « plan Sharon » n’inclut pas le partage de Jérusalem, le démantèlement des colonies juives érigées en Cisjordanie et à Gaza et le retrait de l’Etat hébreu de la plus grande partie de ces zones conquises en 1967. On imagine donc mal que la direction palestinienne accepte d’en discuter, puisque ces trois conditions « minimales » en sont absentes.
En outre, avant d’entamer des négociations politiques avec l’AP, Sharon exige la « fin du terrorisme » mais surtout la refonte complète de la structure administrative palestinienne. Pour le Premier ministre israélien comme pour la majorité de son gouvernement, Yasser Arafat continue en effet d’être « hors jeu ». A leurs yeux, le président palestinien devrait être mis sur une voie de garage et perdre ses prérogatives exécutives. En tout cas, il devrait être tenu à l’écart des pourparlers qui pourraient s’ouvrir entre l’Etat hébreu et l’AP. En outre, les différents corps de sécurité palestiniens devraient être transformés en un organisme centralisé et l’administration, « purgée de ses éléments terroristes ».
Même si les exigences israéliennes rencontrent un écho favorable à Washington (la conseillère du président pour la sécurité nationale, Condoleezza Rice, estime que « l’AP n’incarne pas le genre de leadership qui peut diriger l’Etat palestinien dont nous avons besoin »), la mise en place éventuelle de telles réformes nécessiterait beaucoup de temps. Elle repousserait donc à une date indéterminée la reprise du processus de paix israélo-palestinien. De plus, on imagine mal que la population palestinienne accepterait sans réagir que l’Etat hébreu et les Etats-Unis décident à sa place ce qui est bon pour elle.
« Une accalmie provisoire »
Tous ces éléments expliquent donc pourquoi les commentateurs ne croient guère au sérieux du « plan Sharon » ni aux chances de réussite de la « conférence régionale ». Ils y croient d’autant moins que l’opération « Rempart de protection », qui s’est officiellement terminée le 7 mai avec l’annonce de la levée du siège de l’église de la Nativité, à Bethléem, n’a pas donné les résultats escomptés par les stratèges de l’armée israélienne. Certes, plusieurs milliers de cadres et de militants du Fatah (le parti d’Arafat), du Hamas et du Jihad islamique ont été arrêtés depuis le déclenchement de l’opération en Cisjordanie le 29 mars. Des tonnes de matériel militaire ont également été saisies, et des laboratoires de fabrication de bombes, démantelés.
Cependant, malgré l’accalmie actuelle et alors que les Israéliens profitent pleinement de leur deuxième semaine consécutive sans attentat, la volonté de poursuivre l’Intifada est plus présente que jamais dans la rue palestinienne.
Forts des renseignements recueillis durant l’interrogatoire des prisonniers, Tsahal (l’armée) et le Shabak (la Sûreté générale) affirment d’ailleurs avoir réussi à empêcher « au moins un attentat-suicide par jour depuis deux semaines ». Ce qui signifie qu’une partie de « l’infrastructure terroriste » qu’Israël voulait éradiquer en reconquérant la Cisjordanie est restée opérationnelle. Quant aux mouvements opérant dans la bande de Gaza (où 641 attaques anti-israéliennes ont été comptabilisées dans le courant du mois d’avril), ils n’ont quasiment pas été atteints. Ils se sont d’ailleurs renforcés.
« Ce n’est qu’une question de temps, a en tout cas reconnu lundi le maire de Jérusalem Ehoud Olmert, interviewé par la radio publique Kol Israël. J’appelle mes concitoyens à la prudence car l’accalmie est provisoire. J’ai été prévenu que des bombes vont bientôt recommencer à exploser dans le centre de la ville et je veux qu’ils le sachent. »
En fait, les services de sécurité israéliens estiment qu’indépendamment des appels au calme qu’Arafat et l’AP pourraient lancer, les réseaux palestiniens, qui opèrent la plupart du temps de manière autonome, se seront complètement reconstitués d’ici à la mi-juin. C’est-à-dire au moment où la « conférence régionale » devrait entamer ses travaux. A tort ou à raison, les analyses des services de sécurité prévoient donc une reprise des violences à ce moment-là. Et Tsahal s’y prépare sérieusement, puisqu’un plan baptisé « Rempart de protection 2 » est déjà à l’étude.
De notre correspondant à Tel-Aviv,Serge Dumont