Pakistan L’engrenage taliban

Victime de ses ambiguïtés, le régime d’Islamabad fait face sur son propre sol à une intensification du terrorisme djihadiste.

Presque entièrement détruit le 20 septembre par un attentat au camion piégé qui a fait plusieurs dizaines de morts, l’hôtel Marriott d’Islamabad était à plus d’un titre une cible hautement symbolique. Fleuron de l’hôtellerie américaine, lieu de rendez-vous de la bourgeoisie, il était situé à 500 mètres à peine du Parlement et de la résidence présidentielle. L’attaque porte incontestablement la marque d’Al-Qaeda. Et un certificat d’origine : celui des zones tribales frontalières de l’Afghanistan. Ces régions montagneuses et arides, depuis toujours largement livrées à elles-mêmes, seraient aujourd’hui devenues, selon le journaliste pakistanais Ahmed Rashid, considéré comme un des meilleurs experts du mouvement taliban et auteur d’un tout nouvel ouvrage publié aux Etats-Unis (Descent into Chaos), la première  » centrale terroriste  » de la planète. Depuis quelques semaines, l’un des sept districts qui composent ces zones tribales, celui de Bajaur, est le théâtre de très violents combats entre l’armée et les insurgés djihadistes. Nombre d’analystes à Islamabad estiment que l’attentat contre le Marriott est une réponse à cette offensive lancée au mois d’août par le chef d’état-major, le général Ashfaq Kayani, et qui aurait déjà causé quelque 800 morts.

Comment en est-on arrivé là ? Il faut remonter à l’automne 2001. Chassés d’Afghanistan par les Américains, les talibans trouvent tout naturellement refuge dans les zones tribales pakistanaises, où ils reconstituent leurs réseaux grâce à la bienveillance des services de renseignement de l’armée (ISI). Ces derniers entendent garder deux fers au feu. Ils arrêtent des combattants d’Al-Qaeda, donnant ainsi des gages à Washington, mais encouragent en sous-main les talibans à préparer la relève, convaincus que les Occidentaux finiront par quitter l’Afghanistan. Quelque 3 000 combattants d’Al-Qaeda passent également la frontière et s’installent au Pakistan. En mars 2003, l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis constitue un premier tournant. Le djihad devient international, de nouvelles recrues affluent, du Moyen-Orient et d’Europe, au Sud-Waziristan, le nouveau fief d’Al-Qaeda, où des camps d’entraînement sont ouverts. Le général-président Pervez Moucharraf, d’abord, laisse faire. Puis, pressé par les Américains, il finit par envoyer l’armée, en février 2004. Or non seulement l’offensive des forces pakistanaises se solde par un échec, mais elle va précipiter la  » talibanisation  » de toute la région. Sur fond d’antiaméricanisme, de nouveaux groupes émergent. Ils sont, cette fois, pakistanais. Leurs chefs sont étroitement liés à Al-Qaeda. Et ils échappent, semble-t-il, à l’influence des services de renseignement militaire. Au début de l’an dernier, ils se regroupent au sein du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), ou Mouvement des talibans pakistanais, avec à leur tête l’émir Baitullah Mehsud. C’est lui qui aurait ordonné l’assassinat, en décembre 2007, de Benazir Bhutto. Et ce sont ses combattants que l’armée pakistanaise affronte aujourd’hui à Bajaur. En août, deux jours après le départ de Moucharraf, le TTP avait revendiqué un double attentat à l’explosif contre une usine d’armement. Il avait alors annoncé d’autres attaques…

A lire : Faut-il avoir peur du Pakistan ?, par Pauline Garaude. Larousse, 128 p.

Dominique Lagarde, avec Eric de Lavarène (à Islamabad)

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