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Pacific Spirou

Le belge Christian Durieux se réapproprie à son tour le personnage de Spirou le temps d’un album très personnel, marqué par une douce mélancolie, un amour impossible et une BO originale.

Au comptoir d’un grand hôtel Art déco niché au bord d’un lac alpin, Fantasio rêvasse et s’ennuie ferme. Oui, Fantasio, viré du Moustique et reconverti en groom le temps d’un « Spirou par » (1), poste temporaire qu’il occupe aux côtés de son fidèle ami, coincé comme lui dans ce Pacific Palace: comme l’annonce la journaliste Seccotine au journal télé, « ne sont plus présents à l’intérieur que quelques membres du personnel triés sur le volet », alors que « le parc de l’hôtel cache un important dispositif de sécurité. Gendarmes et tireurs d’élite veillent. Le Pacific Palace est donc prêt à accueillir le président Korda en toute tranquillité. » Plutôt le dictateur déchu Korda, chassé de son petit pays des Balkans et en exil dans ce grand hôtel, qu’il va squatter, le temps d’une partie d’échecs politico-policière, en compagnie de ses gardes du corps et, surtout, de sa fille Elena, dont les sublimes yeux bleus vont immédiatement avoir un effet boeuf sur Spirou, déjà adulte. Peut-être pour la première fois de sa très longue vie et de ses innombrables albums: « Je suis tombé raide amoureux. »

Spirou sera pour une fois très flottant, hypnotisé par son amour…

Douce mélancolie

« En fait, j’avais ce projet en tête, cette ligne narrative, depuis 1993 », nous explique Christian Durieux, qui a bien entendu « bouffé du Spirou » quand il était gamin, mais n’en avait jamais fait un fétichisme ou une mythologie. Le point de départ? « Un garçon qui travaille dans un hôtel et qui tombe amoureux de la fille d’un dictateur qui s’y réfugie. Sans Spirou donc. Très bizarrement, je tenais à cette histoire, cependant j’étais incapable de la dessiner. J’ai essayé plein de trucs, des styles différents, des physionomies différentes, chaque année je recommençais, j’y tenais, j’aimais l’idée du huis clos, de la comédie romantique, pourtant j’arrêtais chaque fois après quelques dessins. Puis, un matin, en me levant, je me suis dit: « Mais tiens, peut-être avec Spirou? » Et tout s’est mis en place dès que j’y ai inclus Fantasio: ces deux-là sont les faces d’une même pièce, on va leur faire intervertir leurs rôles habituels. Spirou sera pour une fois très flottant, hypnotisé par son amour et n’agira pas, tandis que Fantasio s’opposera au tyran, il est le vrai personnage moral de cette histoire. Et étrangement, de m’emparer d’un personnage iconique comme Spirou, qui ne m’appartient pas, qui a déjà eu mille têtes, m’a finalement amené à concentrer dans cet album tout ce que je fais depuis des années, à la fois graphiquement, mais aussi dans les histoires que j’écris ou que je choisis de dessiner. »

Pacific Spirou
© DUPUIS/DR

Soit un récit d’une beauté graphique ravageuse (lire l’encadré), proche du Geisha que l’auteur avait publié deux ans plus tôt chez Futuropolis avec Christian Perrissin, mais aussi un huis clos cotonneux et parfois onirique, rempli de mélancolie. « Spirou était déjà tombé amoureux, mais il s’agissait d’amour plus enfantin. Ici, il est plus adulte (NDLR: il se passe même des choses dans le noir! ) et c’est un amour traversé par le sentiment de la mélancolie parce que c’est un amour impossible. Une douce mélancolie, j’espère! »

C’est en tout cas comme ça que l’a aussi compris et l’exprime son ami le compositeur français Mark Daumail et son groupe Cocoon, qui ont réalisé une véritable bande originale du Spirou de Durieux, directement inspirée de ses atmosphères et ses dialogues. Deux titres mis en clip par Christian Durieux lui-même, et à voir sur YouTube, en attendant peut-être un album complet. « Ce serait une grande première je crois, et un autre des petits miracles qui ont accompagné la création de ce livre. »

Pacific Spirou

Une expo à Bruxelles

Le Pacific Palace de Christian Durieux est aussi une éblouissante réussite graphique, « un aller- retour entre classique et numérique » qui n’appartient qu »à l’auteur: ce dernier exécute d’abord « un dessin de base à la main, assez filaire, au feutre » qu’il scanne ensuite pour y mettre des couleurs informatiques. Il imprime alors le tout « et là je commence à encrer, en amenant du fusain, de la gouache, des crayons… » Un mélange de technologie et d’artisanat qui donne « un petit côté flottant au trait », en parfaite adéquation avec ce récit tout en atmosphères. Des planches originales à admirer et, peut-être, à s’offrir chez Champaka (1), dans le quartier du Sablon, à Bruxelles.

(1) Pacific Palace: expo-vente à la galerie Champaka, à Bruxelles, jusqu’au 6 février prochain.

(1) Pacific Palace, le Spirou de Christian Durieux, Dupuis, 80 p.
(1) Pacific Palace, le Spirou de Christian Durieux, Dupuis, 80 p.© DUPUIS/DR

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