Où se cache l’Obama belge?

Alors qu’émergent de plus en plus d’élus d’origines italienne, marocaine et turque, les Noirs demeurent largement absents de la scène politique belge. Voici pourquoi.

Samedi 8 novembre, vers 17 heures, quatre jours après la victoire de Barack Obama à la présidentielle américaine. Deux jeunes Blacks, démarche souple et look  » total hip-hop « , entrent dans une librairie proche de la Bourse, au centre de Bruxelles. Ils se dirigent droit vers le comptoir :  » Vous avez des livres d’Obama ?  »  » Pas encore « , leur répond-on. La déception se lit sur le visage des deux gaillards, qui repartent aussitôt.

85 % de Belges prêts à accepter un Premier ministre de couleur

Au cours de sa campagne, Obama n’a jamais utilisé sa couleur de peau comme étendard. Il situe son projet politique, dit-il, dans une Amérique postraciale. D’ailleurs, lui-même est métis. Qu’il le veuille ou non, son triomphe déclenche en tout cas un énorme soulagement et un espoir immense, démesuré, auprès de tous les Noirs, qu’ils vivent aux Etats-Unis ou ailleurs.

Et chez les Belges d’origine africaine, l’impatience augmente d’un cran : à quand un Obama belge ? Selon un récent sondage de La Dernière Heure, 85 % des Belges se disent prêts à accepter un Premier ministre de couleur. Tout va bien, alors ? Pas pour Bonaventure Kagné, directeur du Centre d’études des migrations subsahariennes, situé à Liège.  » Ces dernières années, on a constaté une volonté du monde politique d’inclure les communautés immigrées les plus anciennes : Italiens, Espagnols, Marocains, Turcs… Vaille que vaille, cela commence à porter ses fruits. Mais, assez curieusement, rien de tel concernant les populations issues de l’Afrique subsaharienne.  » Un certain nombre de personnalités politiques issues de l’immigration ont émergé, surtout au parti socialiste : Elio Di Rupo, Marie Arena, Emir Kir, Fadila Laanan, Julie Fernandez-Fernandez… Toutefois, on cherche en vain un  » Obama belge « , malgré la nomination, en 2004, de l’éphémère Gisèle Mandaila (FDF) comme secrétaire d’Etat aux Familles et aux Personnes handicapées.  » Son bilan politique, c’est autre chose… Pourtant, sa nomination constitue en soi un fait politique majeur, souligne Bonaventure Kagné. Quatre ans plus tôt, l’entrée au gouvernement fédéral d’une personne d’origine africaine paraissait inimaginable.  »

Un temps, on a cru que le premier Noir à percer en politique belge serait un écologiste, né à Bukavu, installé dans le Borinage : Bob Kabamba. Prononcez son prénom et son nom, puis enlevez le premier  » b « , le  » k « , un deuxième  » b « , un  » a « , encore un  » b « … et vous obtenez : Obama. Un signe ? Retour en arrière : en novembre 2002, lors d’une assemblée générale d’Ecolo, les militants lui accordent la deuxième place pour la liste du Sénat, au nez et à la barbe de Philippe Henry et de Josy Dubié. En principe, Kabamba est sûr d’être élu. Six mois plus tard, la débâcle des verts aux législatives le forcera à déchanter : le parti ne sauve qu’un seul siège au Sénat, celui d’Isabelle Durant.

 » Parce qu’Obama a réussi, tout un poids a été évacué « 

Aujourd’hui président du CPAS à Dour, Bob Kabamba n’y va pas par quatre chemins : pour lui, un Premier ministre noir relève de l’utopie.  » Je serai mort depuis longtemps quand ça arrivera. Pour que ce soit possible, il faudrait quelqu’un d’aussi exceptionnel qu’Obama, mais il devra également surmonter deux fois plus de difficultés que lui. Il devrait militer dans un parti politique puissant, si possible flamand, et contrôler ensuite l’appareil de ce parti. Seule une personnalité bien ancrée dans la culture flamande, un autonomiste par exemple, serait capable de réaliser un tel exploit. « 

En fait, il a fallu attendre 2007 pour voir enfin un Noir (une Noire, plutôt) siéger au Parlement fédéral : Joëlle Kapompolé. A la fois d’origine congolaise et rwandaise, arrivée en Belgique à l’âge de 2 ans, cette socialiste montoise se considère elle-même comme une  » bounty  » : blanche à l’intérieur, noire à l’extérieur.  » Je suis ancrée dans la société belge. Je ne ressens pas de blessure causée par ma condition noire, comme Aimé Césaire. OK, nous avons une identité noire, elle fait partie de nous, mais elle ne doit pas nous définir.  » L’accession d’un Noir à la Maison-Blanche, admet-elle, l’a pourtant bouleversée.  » Lorsque mon mari m’a appelée à 5 heures du matin pour m’annoncer qu’Obama avait gagné, j’ai eu les larmes aux yeux. J’ai été surprise par ce torrent d’émotion. Cela a touché quelque chose au plus profond de moi, qui me dépasse un peu. Parce qu’Obama a réussi, tout un poids a été évacué d’un coup : un boulet lié aux difficultés vécues par les Noirs, l’esclavage aux Etats-Unis mais aussi le colonialisme. « 

La victoire d’Obama l’occulte, mais son cas n’est pas isolé aux Etats-Unis. La Chambre des représentants compte 42 Noirs sur un total de 440 membres. Chez nous, par contre, ce  » terreau  » demeure pour le moins restreint. Outre la sénatrice Joëlle Kapompolé, également députée wallonne, les députés bruxellois Béa Diallo (PS) et Bertin Mampaka (CDH) sont les seuls parlementaires originaires d’Afrique subsaharienne. La Belgique ne compte par ailleurs que six échevins noirs : Mampaka à Bruxelles, Diallo à Ixelles, ainsi que Pierre Kompany (PS) à Ganshoren, Christian Ngongang (CDH) à Marche-en-Famenne, Denis Liselele (PS) à Sambreville, et Wouter Van Bellingen (Vl. Pro) à Saint-Nicolas.  » Aux Etats-Unis, l’organisation de primaires pour désigner les candidats à la présidence a favorisé l’élection d’un Noir, souligne ce dernier. Obama a gagné parce qu’il a réussi à mobiliser les militants de base, alors que l’appareil du Parti démocrate soutenait plutôt Hillary Clinton. En Belgique, la structure des partis est beaucoup plus cadenassée et plus conservatrice, ce qui complique encore l’émergence d’un candidat « différent ».  » l

François Brabant

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