Où fonce Andry  » TGV  » ?

Disc-jockey, as de la com’, puis maire de la capitale, Andry Rajoelina a ravi le pouvoir au culot. Menacé d’isolement, il doit déjouer les pièges tendus par ses vrais ennemis, ses faux amis, son inexpérience et son ego. Portrait.

Longtemps, Andry Rajoelina a garni les gradins pour d’autres, chanteurs malgaches ou icônes déclinantes de la planète disco. Mais, ce 21 mars, l’ex-prince des fiestas d’Antananarivo emplit le stade Mahamasina sur son seul nom. La star, c’est lui. A 34 ans, le président de la  » Haute Autorité de transition  » prête serment  » devant le peuple et devant Dieu « . Sur cette île océanienne éprise de sacré, tout commence et tout finit par des cantiques. Témoin cet office £cuménique, prologue de la cérémonie d' » installation  » de Rajoelina, tombeur du chef d’Etat déchu Marc Ravalomanana. La tête inclinée, les yeux clos, l’ancien disc-jockey catho se recueille. Doit-il rendre grâce au Créateur de la mission qui lui échoit ? Pas sûr.

Certes, le néophyte guindé aux allures de gendre idéal reçoit sous un soleil ardent les attributs du pouvoir, l’écharpe blanc-vert-rouge et les insignes de grand maître de l’Ordre national. Mais il le fait avec la gaucherie de l’étudiant méritant, gratifié d’un diplôme enrubanné. Car ce trentenaire pressé endosse aussi un costume un peu large pour ses épaules. Costume cousu de fil kaki, tant Andry le doit au ralliement de militaires mutins, et taillé par d’autres. A cet instant, on ignore si les vieux  » crocodiles  » du marigot malgache, qui s’épongent le front dans la tribune d’honneur, voient dans  » le petit  » – ainsi le désignent-ils – un héros d’avenir ou le sherpa, fougueux mais naïf, de leurs ambitions. Nul doute que Rajoelina mérite cet autre surnom :  » Andry TGV « , référence à sa hâte et à son audace.

 » Un type réglo, qui avait du flair « 

A quoi tient une destinée ? En 2007, le DJ est rangé des platines. Finies les soirées  » Live  » de l’hôtel Hilton. Bien sûr, celui qui attira Boney M sur la Grande Ile songe encore à faire venir Michael Jackson. Mais le rêve passera. Car le pionnier de l' » événementiel  » a changé de braquet. Et collectionne, en as de la com’, d’autres trophées : le magazine L’Eco austral le désigne  » Manager de l’océan Indien 2000 « , trois ans avant que la Banque nationale de l’industrie (BNI) lui décerne les lauriers de  » meilleur jeune entrepreneur « .  » Un type réglo, qui avait du flair et du culot « , confie Jacky Zafimahova, ex-associé et ami. Place au vrai business. Autodidacte en dépit d’un bref séjour en fac de lettres, le fils de colonel anime alors deux sociétés. L’une, Injet, domine le marché de l’affichage publicitaire. L’autre, rebaptisée Viva, lui donne accès à la bande FM et au royaume de la télévision privée. Las, la municipalité d’Antananarivo, dirigée par un féal de Ravalomanana, bannit ses enseignes rotatives. Et ce au profit d’une boîte concurrente, propriété du gendre du président. En clair, l’époux de sa fille Sarah, ancienne petite amie d’Andryà Un Dallas malgache ? A coup sûr. D’autant qu’il est arrivé à Tiko, l’empire agroalimentaire de  » Ravalo « , de sponsoriser les tournées du beau gosse. Cette fois, le coup tordu se paie cash : déjà exaspéré par les embûches fiscales semées sous ses pas, TGV se lance à l’assaut de l’hôtel de ville et, fort de son image dans la jeunesse, rafle 63 % des voix. Le voilà, en décembre 2007, maire de Tana, comme l’était  » Ravalo  » lorsqu’il délogea de la présidence l’amiral Didier Ratsiraka.

Un an plus tard, nouvelle bourde. Le pouvoir ferme Viva TV, coupable d’avoir diffusé in extenso un entretien avec le même Ratsiraka. Brandissant l’étendard de la liberté, Rajoelina entraîne dans son sillage les déçus de tout poil, du chômeur miséreux au cadre éc£uré par la dérive autocratique et affairiste du chef de l’Etat. D’emblée, les parrains se bousculent autour du berceau d’Andry, bambin politique. Leur ciment ? La volonté d’abréger le mandat de  » Marc « , réélu en 2006 pour cinq ans. Il y a là l’ancien président Albert Zafy, qui mobilise l’électorat  » côtier  » de la capitale au profit du Merina Rajoelina, originaire des hauts plateaux, gommant ainsi un antagonisme ancestral. Ou Mgr Odon Razanakolona, archevêque de Tana et mentor de TGV. Les initiés, eux, distinguent les silhouettes d’autres tuteurs. Dont celle de ce chef d’entreprise qui impute la faillite de sa minoterie de Toamasina (littoral est) aux man£uvres déloyales de Ravalo. Ne manque près du couffin que l’énigmatique Ylias Akbaraly, homme d’affaires de souche indienne, titulaire en outre de passeports italien, français et malgache, connu pour avoir généreusement doté le trousseau du nouveau-né. Il faut dire que l’intéressé, harcelé par le palais, avait lui aussi des comptes à régler. Déjà, au début de son épopée, Andry Rajoelina bénéficie des largesses de mécènes avisés. L’ex-Premier ministre Pascal Rakotomavo aide le jeune boss d’Injet à décrocher des crédits à taux préférentiel. De même, la famille de sa gracieuse épouse, Milya, mise très tôt sur le noctambule assagi. Formée en France à la gestion et patronne d’une agence de publicité, cette fille de la bourgeoisie aura donné à Andry plus que trois enfants. A en croire les intimes du couple, elle exerce sur ce fonceur une influence apaisante. Un signe : lorsque, le 18 mars, Madame débarque du vol de Paris, c’est flanqué de ses ministres que TGV l’accueille.

Sa villa blanche ? Le rêve de stuc d’un parvenu

Andry court vite, mais après quoi ? Serait-il mû par un désir de revanche sociale ? Sa villa blanche, au kitsch gréco-romain, ressemble à s’y méprendre au rêve de stuc d’un parvenu.  » Moi, je n’en crois rien, objecte son « pote » Jacky. Il vient de la classe moyenne et son succès a été fulgurant. En plus, dès que tu fais DJ, les pépées, ça tombe tout seul. Non, ce qui le branchait, lui, c’était de drainer les foules. Faire bouger 20 000 personnes pour une nuit pop, c’est comme une drogue. Dur de s’en passer. Mais là, il plonge dans un monde dont il ignore tout.  » De fait, une année aux commandes de Tana, c’est un peu court.  » Pour s’aguerrir, il lui aurait fallu un mandat complet « , avance en écho une enseignante. Voilà le hic : la machine s’est emballée. Les stratèges de l’opération TGV le voyaient bien briguer la magistrature suprême à l’échéance 2011, pas avant. Raté.

Trop jeune, trop tendre.  » Parfois, confesse Mgr Razanakolona, son manque d’expérience lui fait dire n’importe quoi. Il paraît que le petit est un peu mon fils. Le serait-il que j’aurais tout tenté pour qu’il renonce à cette patate chaude. Où fonce-t-il, et avec qui ? Allez savoirà  » La perplexité du prélat s’explique. Au plus fort de la crise, lors d’une réunion orageuse à l’épiscopat, son protégé l’a déçu : il s’est éclipsé, laissant la main à une poignée de mutins enfiévrés. Bref, on a frôlé le carnage.  » Andry a été emporté par ce tsunami « , argue Jacky. Délaissés, les confidents d’hier partagent une même amertume.  » Quand le vent tournait mal pour lui, soupire l’un d’eux, il savait où me trouver. Depuis sa victoire, pas un coup de fil. « 

 » On a vu réussir des rois de 25 ans « 

Flatté par un entourage flagorneur, TGV cède souvent à l’ivresse du pouvoir, cet alcool fort, au point de parler de lui à la troisième personne, tel un César malgache. Ou de s’aventurer dans l’enfer du  » je « .  » Je décide tout, claironnait-il ainsi la veille de la reddition de Ravalomanana. Andry Rajoelina incarne l’espoir du peuple. Quant à mon âgeà On a vu réussir des rois de 25 ans.  » Travers passagers ? Souhaitons-le. Car un tel mélange de candeur et d’arrogance expose ce hussard aux ruades des chevaux de retour qui piaffent dans l’ombre. A commencer par le très roué Norbert Ratsirahonana, cerveau de l’habillage légal du coup d’Etat, vétéran à l’opportunisme légendaire.  » Le calcul des caciques embusqués est simple, tranche le juriste Jean-Eric Rakotoarisoa. On laisse Andry faire le sale boulot puis se casser la gueule, et on rafle la mise dans deux ans, lors du prochain scrutin.  » Dans sa retraite de la villa la Franchise, le vieux professeur Albert Zafy l’admet :  » Pour nous, son irruption fut une aubaine, même si l’on sait qu’il ne fait pas le poids.  » A-t-il seulement conscience des traquenards qui le guettent ?  » Oui, assure un diplomate. Mais savoir que l’on nage au milieu des requins ne prémunit pas contre leur voracité.  »  » Le petit, prédit un familier navré, va se faire bouffer. « 

Voire. Andry, qui fut champion cadet de karaté, est d’un naturel pugnace. Et son détour par la clandestinité, début mars, quand il échappa aux limiers de  » Ravalo « , avant d’être mis à l’abri par la chargée d’affaires de l’ambassade de France, lui aura sans doute dessillé les yeux. Autre atout, son instinct. Au risque du populisme, le DJ repenti sait encore manier les  » tubes  » inusables. Ainsi s’engage-t-il à vendre Force One II, l’avion haut de gamme acheté voilà peu par son prédécesseur. De même, il annule le projet de cession, au groupe sud-coréen Daewoo Logistics, de 1,3 million d’hectares d’espaces arables,  » trahison  » inepte pour qui connaît la valeur sacrée de la terre dans la psyché malgache. Enfin, on sait gré à ce fils des hauts plateaux d’avoir choisi un Premier ministre  » côtier « , Monja Roindefo, de laisser une poignée de barons du régime déchu quitter l’Ile rouge en catimini ou de promettre l’amnistie aux prisonniers politiques, qu’ils soient détenus au pays ou expatriés. Bien sûr, TGV peut jongler avec les paradoxes. Réputé pieux, il plaide pour la  » laïcité de l’Etat  » et stigmatise l' » instrumentalisation des Eglises « , mais invoque le Très-Haut à tout propos.

La quête de la sagesse est une longue patience. Placé en quarantaine par les Etats-Unis, l’Europe et l’Union africaine, le putschiste à la gueule d’ange s’est borné, lors de son intronisation, à réciter le credo si souvent dévoyé de la  » vraie démocratie « , de la bonne gouvernance et de la lutte contre la pauvreté. Mais il n’a pas, hélas, fait serment de s’effacer au terme des vingt-quatre mois de la transition, quitte à briguer la présidence ultérieurement.

Trois jours plus tôt, avant que TGV entre au palais d’Ambohitsirohitra, une armée de mpiandry, exorcistes vêtus d’une aube immaculée, a chassé les esprits malins tapis aux abords de l’élégante bâtisse de brique rouge, à grands renforts d’imprécations, de crucifix et d’eau bénite. Il leur reste, pour le salut d’Andry, à purifier l’échiquier malgache de ses vieux démons.

Vincent hugeux

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