Philippe Destatte, directeur général de l'Institut Destrée. © belga image

« On demande de voir loin alors que le futur n’existe pas »

Directeur général de l’Institut Destrée, l’historien et prospectiviste Philippe Destatte relève l’extrême complexité d’agir par avance en fonction de ce qui est imaginé et de s’accorder sur la priorité d’enjeux non encore visualisables.

« Gouverner, c’est prévoir », est-ce trop exiger de nos gouvernants?

Anticiper signifie imaginer puis agir avant que les événements ou les actions ne surviennent, c’est donc passer à l’acte en fonction de ce qui est imaginé. C’est dire l’extrême complexité du processus et si notre rapport à l’avenir est difficile. La maxime s’accommode mal de cette logique de complexité. Elle renvoie aussi à la responsabilité individuelle. Jeter la pierre au politique, c’est un peu facile et abusif. Il appartient à chacun de se gouverner et donc de prévoir. Or, nous sommes constamment pris en défaut d’anticipation dans notre vie au quotidien.

L’ avenir est donc voué à nous échapper continuellement?

La difficulté face au futur est triple. On nous demande de voir loin alors qu’en réalité le futur n’existe pas puisqu’il n’est ni écrit ni déterminé. On nous demande aussi de voir large alors que les prévisions ne portent jamais que sur un nombre limité de variables, même à l’heure du big data. Nous nous trouvons face à des systèmes complexes qui sont au coeur d’un enchevêtrement d’événements improbables qui, tous, connaissent des émergences et des apparitions soudaines liées aux relations entre acteurs et facteurs au sein du système. Je dois donc m’accommoder de la complexité sans jamais pouvoir la réduire. Enfin, face à des systèmes aussi complexes que le monde, mes outils de connaissance sont limités. Dans notre cadre culturel, mental, intellectuel, scientifique, social et politique, l’approche qui nous fait passer de la question « que va-t-il advenir? » à la question « que peut-il advenir? » et donc à « que se passe-t-il si? », cette approche n’est pas favorisée.

Le dirigeant politique se dit: ne va-t-on pas me reprocher d’ouvrir des chantiers qui peuvent ne pas paraître urgents?

Cela laisse les dirigeants politiques démunis, voire désemparés face aux peurs du lendemain?

Le dirigeant politique est confronté aux questions centrales de l’ appropriation, de la légitimité et de l’ acceptabilité d’une décision qui se prend au bout d’un processus de dialogue et de négociation avec de multiples interlocuteurs. Le citoyen n’est pas nécessairement prêt à accepter des dépenses de l’Etat pour appréhender des problèmes qu’il ne visualise pas encore. Comme saint Thomas, tant qu’on ne voit pas, on n’y croit pas. Un « Stop béton »? La population wallonne n’est pas nécessairement prête à entendre ce que le politique a à lui dire à ce sujet. Pour l’expert comme pour l’élu, il ne suffit donc pas de dire, il faut prouver scientifiquement, éviter le déni car le lien à l’émotionnel peut être grand. Il ne faut pas négliger le rôle considérable joué par le facteur médiatique. On a longtemps cru qu’une pandémie était un risque acceptable comme dans les années 1960 avec la grippe de Hong Kong (NDLR: au moins un million de morts dans le monde de 1968 à 1970) alors que la vision des victimes de la Covid-19 aux soins intensifs est insoutenable et accroît notre refus du nombre de morts. On se retrouve donc constamment dans la nécessité de s’accorder sur la priorité des enjeux. Construire un agenda politique sur une telle complexité n’est pas du tout évident et le dirigeant politique se dit: ne va-t-on pas me reprocher d’ouvrir des chantiers qui peuvent ne pas paraître urgents?

Comment gagner l’adhésion à un pari fait sur l’avenir?

Gouverner, c’est aussi rendre les choses intelligibles. Le monde politique ne prend pas assez la mesure de l’importance du facteur pédagogique. Il ne vient plus à la télévision s’adresser aux gens, droit dans les yeux, pour expliquer un enjeu qu’il est impératif de relever. Les communications gouvernementales ont disparu, ne subsistent plus que les allocutions télévisées du roi qui en vient ainsi à être le dernier acteur à communiquer encore par ce biais des valeurs aux citoyens.

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