Obama secret

Le chômage flambe, le pays est en guerre, les Américains doutent d’eux-mêmes et pourtant… Malgré ses premières difficultés, le nouveau locataire de la Maison-Blanche reste serein. En deux mois, il a imposé son style, à la fois citoyen et décontracté. Regard sur un mode de vie dont, face à la crise, il a fait un mode de gouvernement.

Le président des Etats-Unis tombe parfois la veste pendant ses réunions. Cette audace vestimentaire est apparue assez remarquable pour lui valoir une photo à la Une du New York Times, assortie de quelques explications. S’il a été initié à la politique dans le climat glacial, en hiver, de Chicago, Barack Obama, natif de Honolulu, reste un incurable frileux : dans le bureau Ovale, il règle sans cesse le thermostat afin d’augmenter la température.  » Il fait tellement chaud là-dedans que l’on pourrait y faire pousser des orchidées, plaisante son conseiller David Axelrod. Mais que voulez-vous ? Il vient de Hawaii.  » Il vient d’ailleurs.

Pendant la campagne, alors que des journalistes lui demandaient de définir en quelques mots le style de son patron, le même Axelrod avait inventé le concept du  » Aloha Zen « . Aloha –  » bonjour  » à la mode de Hawaii – désigne une décontraction élégante et cosmopolite. C’est, paraît-il, le look  » bien dans sa peau  » typique du surfeur du Pacifique, allié à un respect des conventions, tant qu’elles honorent le bon sens et l’esthétique. Cet art de vivre, et de séduire, s’est mué en mode de gouvernement d’un pays en butte à sa pire crise de confiance depuis 1929, au naufrage de son système bancaire et à un taux de chômage supérieur à 8 %, digne des glauques années 1970.

Ce style citoyen, gage d’espoir et d’effort collectif, est aussi éloigné du délire laxiste des premiers mois de l’équipe de Bill Clinton (jeans et baskets sur les bureaux) que de la rigueur maniaque d’un George W Bush. Alors que ce dernier descendait à 6 h 30 chaque matin des appartements privés, Obama ne commence le travail qu’aux alentours de 9 heures. Mais, levé depuis l’aube, il a eu le temps de suivre Michelle dans la salle de gym du deuxième étage de la résidence, puis de dévorer des gaufres en compagnie de ses petites filles, Malia et Sasha, avant leur départ en convoi vers l’école Sidwell Friends, à Washington.

Après deux ans de course folle, campagne électorale oblige, ce père exemplaire se félicite de cette intimité, et d’abord d’un trajet entre son domicile et son bureau réduit à vingt-cinq secondes chrono. Mais ses journées peuvent être longues. On l’aperçoit couramment après 22 heures dans son bureau, bien au-delà de l’extinction des feux de son prédécesseur républicain. Ex-noceur repenti, George W. Bush avait fait de la ponctualité un impératif absolu, au point d’interdire l’accès à une réunion consacrée à la politique étrangère à son propre secrétaire d’Etat, Colin Powell, en retard de quelques minutes.

Le nouveau président est ferme sur les horaires, mais laisse les conciliabules se prolonger lorsque les circonstances l’exigent, quitte à revoir l’emploi du temps d’une journée. La rançon d’une prise de décision souvent déroutante. Son prédécesseur faisait confiance à ses  » tripes  » et à une poignée de vizirs, dont Dick Cheney, son vice-président, et Condoleezza Rice. Ancien prof de droit, Barack Obama affectionne les tours de table, recueille l’avis de tous les participants, rebondit d’une idée à l’autre ; ensuite seulement, il tranche à sa guise, non sans avoir donné à chacun de ses interlocuteurs l’illusion d’avoir emporté le débat.

S’il sollicite l’avis d’un entourage élargi, c’est parce qu’il craint la  » bulle  » – ce huis clos étouffant de la Maison-Blanche, déjà incriminé par les historiens pour les errements politiques de l’ère Bush. D’où sa marotte quotidienne, souvenir de son mandat d’élu local de l’Illinois : chaque matin, deux secrétaires lui transmettent dix lettres de citoyens ordinaires, échantillon représentatif des affres de la crise, puisé dans la montagne de courrier adressé au 1600 Pennsylvania Avenue. Des suppliques, des témoignages individuels, des tapes dans le dos ou des coups de griffe auxquels il répond parfois de sa plume, ou qu’il inclut dans les dossiers destinés à ses collaborateurs.  » Ces lettres ont un impact énorme sur lui, confie Axelrod. Il tient à ce qu’elles entrent en compte dans l’établissement des politiques. « 

Photocopié et distribué à tout le staff du National Economic Council, le courrier d’une femme de l’Arizona, licenciée et réembauchée par un autre employeur à un salaire trois fois plus bas, est devenu le fil rouge des mesures d’aide aux ménages menacés de défaut de paiement de leurs traites immobilières. Le visage humain des froides statistiques .

L' » extérieur  » taraude ce président, en poste depuis moins de deux mois, porté pendant sa campagne par la vision de foules immenses, érigé en pivot d’un réseau de 10 millions d’internautes acquis à sa cause. Il faut donc voir davantage un symbole qu’un caprice dans son insistance, après d’éprouvantes négociations avec les services de sécurité, à conserver un BlackBerry. Le nouveau joujou high-tech, d’un prix dix fois supérieur aux modèles grand public, bardé de programmes de cryptage, ne lui sert qu’à recevoir des messages personnels de ses proches et d’amis, à qui il a fourni son numéro de mobile, en les priant d' » appeler le moins possible « . Le lien virtuel court-circuite le protocole. Il conforte surtout le mythe d’une vie  » normale  » et d’un contact permanent, intime, presque familial avec la population.

Abreuvés de détails par la presse people, rares sont les Américains qui ignorent encore que la belle-mère d’Obama, Marian Robinson, a pris ses quartiers dans une chambre d’amis du deuxième étage de la Maison-Blanche afin de rester proche de ses petites-filles, comme au bon vieux temps de Chicago. Michelle, en subtile réincarnation d’une Jackie Kennedy (voir l’encadré, page 72), précise qu’aucun recoin du palais présidentiel n’est fermé aux deux enfants. Qui font parfois irruption dans le bureau Ovale pendant les quelques minutes que s’accorde leur père entre ses rendez-vous officiels.

Ils sont restés les mêmes… avec juste 30 agents du Secret Service

Les Américains ont aussi découvert, le 6 mars, que les  » premiers parents  » avaient traversé la capitale en trombe, sans l’habituel autocar rempli de journalistes, pour aller s’entretenir une heure durant avec l’institutrice de leur fille Malia, 10 ans. La même semaine, le président assistait, en personne, à la défaite de son équipe favorite de basket-ball, les Chicago Bulls, face aux Wizards de Washington. Avec Michelle, il sort trois ou quatre soirs par semaine dans Washington. Parfois, ils vont plus loin. Le couple, qui s’est promis de retourner au moins tous les deux mois dans son fief de Chicago, y a fait une apparition surprise pour la Saint-Valentin.  » Ils n’ont pas changé, jurait le patron du Spiaggia, leur restaurant favori de la capitale du Midwest. Ils sont les mêmes, avec justeà 30 agents du Secret Service. « 

Les tourtereaux reçoivent aussi. Des mitrons d’une école de gastronomie officient, un soir de dîner officiel, dans les cuisines de la Maison-Blanche. Des enfants noirs des écoles publiques voisines ont été accueillis par la première dame dans la plus grande salle de la résidence officielle, la East Room. Et un concert en l’honneur de Stevie Wonder, diffusé en direct par la chaîne publique PBS, est venu rappeler le changement d’humeur, et de génération, d’une  » présidence qui ressemble à l’Amérique « .

Porteur de tous les espoirs de l’après-Bush, Obama n’est pas dupe pour autant des mirages de l’état de grâce. Son programme de relance, évalué à près de 1 000 milliards de dollars, vise à doubler le budget de l’enseignement, à créer les prémices d’une assurance-santé universelle et à moderniser les infrastructures, telles que les ponts et les routes, où les besoins sont pressants. La quasi-nationalisation des piliers du système bancaire, surtout, annonce une refonte de la culture économique. De fait, l’Etat est de retour.

 » Une présidence qui ressemble à l’Amérique « 

Reste que la personnalisation du pouvoir, l’attention permanente du public aux faits et gestes du président se révèlent un piège pernicieux. Obama, l’orateur le plus doué de sa génération, conscient de l’angoisse économique du pays, pèse chacun de ses mots. Il ne se sépare plus de son téléprompteur. L’engin, avec ses plaques de verre disgracieuses, qui ne servait qu’aux allocutions les plus solennelles, comme son discours historique sur les tensions raciales aux Etats-Unis, apparaît désormais à la moindre occasion. Chaque fois, par exemple, que le président annonce la nomination d’un nouveau membre de son équipe.

Pour l’instant, tout lui sourit. Mais son mandat vient à peine de commencer. Et un thermostat ne suffira pas à cet amoureux de la chaleur pour rester le seul maître du climat autour de la Maison-Blanche.

philippe coste

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