Depuis quelques années, une poignée de jeux et émissions de téléréalité font clairement de la nudité leur fonds de commerce. © getty images/DR

Nus et télévisés

Naked Attraction, Retour à l’instinct primaire… La nudité est de plus en plus présente sur les écrans de télé. Mais que proposent ces émissions et que disent-elles de notre rapport au corps ?

Ephémère chanteuse de rock, l’actrice Nicole Paquin s’extirpe, le 29 janvier 1961, du lit qu’elle partage avec son amant. C’est le premier nu (de dos) à la télévision française. Une scène de L’Exécution de Maurice Cazeneuve, qui amorcera la création du fameux carré blanc, le signal des images osées. L’époque était pour le moins puritaine. En 1964, la présentatrice Noële Noblecourt était licenciée pour avoir porté une jupe trop courte et laissé entrevoir ses genoux dans Télédimanche. Ces anecdotes pudibondes semblent d’un autre temps. Aujourd’hui, la tenue d’Adam est à la mode. Les célébrités ont même commencé à se désaper sur la scène du Lido, le célèbre cabaret parisien, pour sensibiliser le public au dépistage du cancer ( Stars à nu sur TF1).

Les candidats s’inscrivent à ce genre d’émissions pour devenir célèbres.

Qu’ils invitent les candidats à draguer à poil ou à survivre en milieu sauvage dans le plus simple appareil, quelques jeux et émissions de téléréalité apparus sur les écrans ces dernières années ont clairement fait de la nudité leur fonds de commerce. L’expérience a parfois été de courte durée. Inspiré d’un concept qui cartonnait aux Pays-Bas, Adam recherche Eve n’a eu le droit qu’à six épisodes (il était diffusé en prime time et déconseillé aux moins de 10 ans). Il n’en organisait pas moins des rencards entre un homme et une femme dévêtus sur une île paradisiaque. Vous préférez l’aventure ? Espèce de Koh-Lanta les fesses à l’air , Retour à l’instinct primaire envoie deux participants de sexe différents tout nus, sans eau et sans nourriture, en terrains hostiles.

Naked and Afraid, Dating Naked… De l’autre côté de l’Atlantique, les téléspectateurs ont même Buying Naked. Une émission immobilière façon Recherche appartement ou maison naturiste.  » Ils ne sont pas vraiment nus. Je ne sais pas comment ça se passe chez vous mais ici on floute les seins et l’appareil génital « , sourit Mark Haskell Smith. L’écrivain américain ( Au Pays des nudistes, éd. Paulsen, 2017) a un faible pour les  » fanatiques « . Les gens prêts à accepter les stigmates sociaux, voire à défier la loi, pour ce qu’ils aiment. Faire pousser du cannabis ou nager nu dans un lac.  » Dévêtu, vous êtes très vulnérable, analyse-t-il. Vous êtes déshabillé de toute identité que vous tentez de présenter au monde. Pas de vêtements chics ou à la mode pour vous définir. Quand vous êtes nu, vous êtes juste une personne. A ce niveau-là, ces programmes sont intéressants. Les médias et la pub vous disent sans cesse à quoi vous devriez ressembler. On voit rarement des gens normaux nus. Quand c’est le cas, l’image négative qu’on a de son corps peut éventuellement s’envoler. Ces programmes, s’ils ont ces vertus, sont bénéfiques, mais les gens les regardent plutôt parce qu’ils prennent plaisir à l’embarras des candidats.  »

Pour autant, Mark Haskell Smith ne pense pas que ce soit un apport important à la télévision, et il sait pertinemment que les naturistes ne regardent pas ce genre de programmes.  » Cela a plutôt tendance à les fâcher. Ils trouvent que c’est de l’exploitation, que ça ne montre pas les vertus de leur démarche. Etre dehors, se sentir bien, assumer son corps… Alors que ces programmes l’humilient. Ce sont des philosophies antagonistes. Les gens que j’ai rencontrés pour mon livre sont l’antithèse de ces émissions ridicules. Si vous voulez être à poil dans les bois, déshabillez-vous et allez vous y promener. Ne le faites pas devant une caméra.  »

Le pouvoir du corps nu

Les émissions qui exposent les corps font beaucoup parler d’elles mais la nudité à la télé reste rare aux Etats-Unis.  » Elle est interdite, excepté sur les chaînes du câble. Le nudisme a la cote dans certaines régions. Notamment en Floride. D’un autre côté, les enfants ne prennent plus leur douche ensemble à l’école après leur cours de gym. Je blâme l’Eglise catholique. Aux Etats-Unis, quand vous voyez quelqu’un de nu, vous commencez par appeler les flics. On est des puritains ici, ne l’oubliez pas. Les Américains ont quitté l’Europe parce qu’elle était trop libérale à leur goût. On a conservé cette tradition. HBO est sans doute le premier réseau qui a glissé de la nudité dans ses programmes. Ça devait être il y a vingt ans. Mais ça reste peu courant. Vous en avez pas mal dans une série comme Games of Thrones mais sinon, cela reste surtout une affaire de téléréalité.  »

En Grande-Bretagne, diffusé en deuxième partie de soirée sur le service public (Channel 4), Naked Attraction va plus loin que la concurrence. Les six candidat(e)s, nu(e)s dans des cabines individuelles, se dévoilent à un(e) inconnu(e) tandis que les parois qui les cachent se lèvent de bas en haut. Gros plans et absence totale de floutage sur les parties intimes… Ici, on ne fait pas les choses à moitié.  » Les candidats s’inscrivent à ce genre d’émissions pour devenir célèbres. Les participants à Bachelor, par exemple, savent qu’ils ne vont pas y trouver le grand amour. Ils veulent être connus. C’est pour eux une chance à saisir. Même si cette célébrité dure vingt minutes. Il est plus facile de se désaper et de discuter avec un mec dans les bois que de percer dans le milieu du cinéma.  » Que reflète dès lors cette télévision de notre rapport au corps ?  » Ces émissions, surtout les programmes de rencontre, parlent de comment on juge les autres, de comment nos attentes et la vision qu’on a de notre propre corps peuvent être déformées par les médias et la publicité. Mais ils ne disent rien grand-chose au-delà de la superficialité.  »

Au Danemark, Klaedt Af a mesuré le rapport de jeunes adultes au matérialisme et a invité à réfléchir aux futilités du confort quotidien. Privés de toutes leurs possessions, les candidats se retrouvaient nus dans leur maison vide. Uniquement équipés de lumière, de nourriture et de papier hygiénique. Chaque jour, pendant un mois, ils pouvaient récupérer un de leurs objets stockés dans un conteneur…

 » Quelque chose de très fort est arrivé il y a quelques semaines à Portland. Lors des manifestations contre les violences raciales, une femme s’est dressée totalement nue devant les forces de l’ordre qui frappaient sur la population et balançaient du gaz lacrymogène. Les flics ne comprenaient pas ce qui leur arrivait et ils sont partis. Elle les a humiliés avec sa vulnérabilité. C’est puissant. J’aimerais voir un programme télé qui tape dans ce genre de nudité. L’honnêteté et le pouvoir du corps nu. « 

Nus et télévisés
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 » On est loin des valeurs du naturisme  »

Vice-président de la Fédération française de naturisme, Julien Claudé-Pénégry décortique les programmes qui déshabillent.

Quel regard portez-vous sur les émissions de télé qui exposent les corps ?

La nudité à la télévision est la plupart du temps un outil de marketing. Les chaînes doivent faire du chiffre. Et la nudité attire, intéresse et fait vendre. Elle permet régulièrement de doper les audiences. Il existe différents types de programmes. Les jeux d’aventure comme Naked and Afraid ou Retour à l’instinct primaire plongent les candidats dans un espace naturel sans rien avec eux, à l’image des premières civilisations. Les participants commencent souvent par se couvrir. Parce qu’instinctivement, dans notre société, vivre nu n’est pas naturel. Avec les programmes de rencontre comme Naked Attraction, on est encore plus loin du naturisme. On plonge carrément dans le sensationnalisme. Exhiber des gens nus dans le but d’organiser un rendez-vous, c’est très physique comme relation à l’autre.  »

Les commentaires sont surprenants mais rarement méchants…

Les candidats sont des gens tout à fait normaux aussi. Ça montre la variété et la diversité des corps. Mais cela reste des émissions où on braque les projecteurs sur le physique. Toute la séduction passe par là. Ça donne l’impression que le corps n’est que valeur marchande. Il est évalué, jugé. Et s’il ne plaît pas, on est dégagé. Les vidéos prétendument éducatives tentent de donner une certaine image à l’émission mais le fait est qu’on y expose les corps comme de la viande. Le physique y prime sur la personne en vue d’une potentielle relation amoureuse alors que dans le naturisme, c’est l’inverse. Vous vous désengagez de votre apparence physique pour aller à la rencontre de l’humanité de la personne en face de vous.

Certaines émissions ont-elles davantage de crédit à vos yeux ?

Dans Nus et culottés, la nudité n’est ni tapageuse ni tape-à-l’oeil… Il s’agit juste d’un postulat. Nans et Mouts partent sans argent, sans vêtements et montrent comment les gens vont les aider dans leur aventure. Ce n’est pas un fonds de commerce. D’ailleurs, ils se cachent très vite derrière un pagne ou un morceau de tissu. Sinon, l’objectif de Naked Beach est d’aider des personnes mal dans leur peau à s’accepter et à renforcer leur estime de soi. On est davantage dans les principes du naturisme. Le seul truc, c’est que les naturistes ne cherchent pas à mettre leur corps en avant. En France, sur le Web, on a naturiste-tv.com. La seule et unique chaîne francophone qui leur est dédiée dans le monde. Mais en télé, il n’y a pas jusqu’ici de concept suffisamment intéressant ou bien mené pour qu’on comprenne les finalités de cet art de vivre.

En France, les parties intimes sont toujours floutées…

La nudité présentée dans sa simplicité a un degré de permissivité. Etre nu ou montrer des seins dans un film, pourquoi pas ? Mais en nudité intégrale, le flou s’impose. Parce qu’on considère que montrer ses parties génitales est du registre de la pornographie. Le problème est l’amalgame malheureux entre nudité et sexualité. Pour éviter les plaintes et les poursuites en justice, les producteurs, le CSA et les chaînes de télé pratiquent l’autocensure. La religion a placé un couvercle sur la nudité. C’est un tabou. Dans les pays germanophones et scandinaves, le protestantisme a scindé la nudité et la sexualité. La religion judéo-chrétienne n’a pas fait ce distinguo. Ça a imprégné la culture et les mentalités.

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