Nothomb, Patrick Nothomb

Après une carrière d’ambassadeur brillante et riche en péripéties, le papa d’Amélie et chanteur de nô japonais est le commissaire général d’Europalia Italie, la manifestation culturelle phare de cet automne

(1) Patrick Nothomb a relaté ces événements dans son livre Dans Stanleyville, éd. Duculot, 345 p.

Nothomb ? Oui mais, lequel ? La question fait sourire l’un des rejetons de cette illustre famille d’Habay-la-Neuve, joli village de la province de Luxembourg. Lui, c’est Nothomb, le diplomate, Patrick de son prénom :  » Durant le premier tiers de ma vie, j’ai été le petit-fils de mon grand-père, Pierre. Durant le deuxième tiers, j’ai été le neveu de mon oncle, Charles-Ferdinand, qui a le même âge que moi, mais qui est aussi ascétique que je suis bon vivant. Et maintenant, au dernier tiers, je suis le père de ma fille, Amélie ! Vous voyez, je n’ai jamais existé par moi-même…  » ( rires).

Rien de plus faux, bien sûr. Déjà, en 1964, après des études de droit à Louvain et la réussite au concours de diplomate, la carrière de Patrick Nothomb démarrait fort. En poste au Congo, il doit effectuer un  » intérim  » de consul général à Stanleyville (l’actuelle Kisangani), en août 1964. A peine arrivé, le consul tout jeunot voit les rebelles s’emparer de la ville et prendre en otage les 5 000 Occidentaux de la région. Jour après jour, heure après heure, et parfois minute après minute, Nothomb, devenu le responsable de la communauté et interlocuteur des rebelles, va négocier sans relâche pour éviter un massacre généralisé, qui peut se déclencher à tout moment. Après 111 jours, les otages seront délivrés par les parachutistes belges (1). Patrick Nothomb sera accueilli en héros en Belgique, avant de gravir tous les échelons de la carrière diplomatique.

Il sera d’abord commissaire général adjoint pour le pavillon belge à l’Exposition universelle de Montréal de 1967, puis consul général à Osaka, au Japon, de 1968 à 1972.  » Là, j’ai su que je voulais terminer ma carrière dans ce pays « , lance-t-il. Et, en effet, le Japon sera aussi déterminant pour Nothomb père que pour Nothomb fille qui, dans son roman Métaphysique des tubes, a si drôlement décrit le choc ressenti lorsqu’elle entendit pour la première fois son paternel chanter le… nô.  » A l’époque, je devais engager une responsable des relations publiques pour l’expo universelle d’Osaka, raconte-t-il. Parmi les candidates, il y avait une jeune femme très intelligente, qui m’a présenté à un grand maître de nô. Il m’a demandé pourquoi j’aimais cet art. J’avoue que je ne pouvais bafouiller que quelques gros clichés. Cependant, au fur et à mesure que la jeune femme traduisait mes réponses, je voyais le maître me fixer avec un intérêt grandissant. Comme, en plus, j’avais dit que j’aimais chanter, il a proposé de m’initier. Puisque la règle n° 1 du diplomate est ô ne jamais dire non « , j’ai poliment accepté. Il m’a fixé rendez-vous pour ma première leçon le lendemain matin ! Bien sûr, l’interprète avait abondamment transformé mes platitudes ! Inutile de vous dire qu’elle a été engagée. En attendant, j’étais bien marri. Ce que je ne savais pas, c’était que j’allais adorer ça !  »

Elève doué, le diplomate belge monte bientôt sur les planches, et chante dans les mariages japonais :  » C’est la coutume, pour qu’un mariage soit heureux, de faire venir un chanteur de nô. Comme ceux-ci sont très chers, et que moi, bien sûr, j’étais bénévole, j’étais très demandé !  » Nothomb deviendra rapidement une star au Japon : des centaines d’articles lui sont consacrés dans la presse, et un éditeur lui commande un livre, dont le titre sera Nogakushi Ni Natta Gaikokan, c’est-à-dire  » le chanteur de nô aux yeux bleus « , surnom de cet artiste à la particularité physique inexistante au pays du Soleil-Levant.  » Le nô m’a permis de comprendre vraiment ce pays, explique- t-il. Les Japonais sont en général assez méfiants par rapport aux étrangers. Mais, une fois qu’ils vous considèrent comme ô un vrai ami du Japon « , toutes les portes s’ouvrent ! Cela m’a été très utile : j’ai parfois pu obtenir des contrats pour des entreprises belges uniquement par la confiance que l’on m’accordait. Et puis, j’aime vraiment ce pays. Peut-être parce que j’aime les choses qui marchent, qui tournent. Au Japon, les grévistes travaillent, mais en portant un bandeau sur la tête qui indique qu’ils sont en grève. Résultat : le patron cède, pour ne pas perdre la face.  »

A partir de 1972, Nothomb sera nommé en Chine. A Pékin, il sera le premier diplomate belge sous Mao.  » Nous n’avions jamais de rendez-vous avec lui, et devions toujours nous tenir prêts, se souvient-il. En effet, quand le Grand Timonier, vieux et malade, avait quelques moments de lucidité, tout diplomate pouvait être convoqué sur-le-champ. Je me rappelle la visite officielle de Mobutu qui, sortant de chez Mao, m’aperçoit et me lance : ô Mais il est complètement gaga !  » Ce à quoi, sachant que tout était truffé de micros, et n’étant évidemment pas chef d’Etat, je ne pus que répondre : ô Mais pas du tout, Monsieur le Président ! Le Président Mao conduit le pays d’une main de fer ! « , ou quelque chose comme ça…  »

De 1974 à 1988, Patrick Nothomb ira à New York, aux Nations unies, puis sera ambassadeur successivement au Bangladesh et en Birmanie, directeur de la diplomatie pour l’Asie et l’Océanie, ambassadeur en Thaïlande et au Laos, emmenant partout son épouse et ses trois enfants.  » Pour les enfants, notre règle scolaire était : pour les primaires, avec nous, où que l’on soit ; pour les secondaires, en Belgique, où que l’on soit.  » En 1988, Patrick Nothomb réalise son rêve : devenir ambassadeur au Japon. Il y restera neuf ans, succès et bonheur à la clé. Pour son dernier mandat, il se voit offrir, de 1998 à 2002, un poste des plus convoités : l’ambassade de Rome, qui  » couvre  » l’Italie bien sûr, mais aussi l’Albanie, Malte et Saint-Marin. Là encore, cet homme brillant, fin et policé fait merveille. A peine retraité, il met ses nombreuses connaissances de l’Italie au service d’Europalia Italie, la manifestation culturelle phare de cet automne – une réussite, et un nouveau départ pour ce festival qui était en déclin – dont il est le commissaire général.

Monsieur l’ambassadeur va-t-il prochainement remiser sa cravate ? Pas du tout.  » Je vais enfin pouvoir me consacrer aux relations extérieures de ma chère province de Luxembourg, lance le nouvel échanson d’honneur de la confrérie du Maitrank d’Arlon ( lire l’encadré). Vous savez, en tant qu’ambassadeur, je ne pouvais pas afficher mon autocollant ô Une ardeur d’avance « . Alors, je le collais sur le miroir de ma salle de bains.  » D’ailleurs, lorsque l’on demande en boutade à Patrick Nothomb si, comme dans la pub télévisée, on sert des rochers Ferrero dans ses réceptions, il s’exclame en riant :  » Mais bien sûr ! Ferrero – du chocolat, et italien en plus ! – a une de ses usines à Arlon, qui fournit un millier d’emplois à notre province !  »

Elisabeth Mertens

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