No man’s Courlande

Serait-ce le souvenir d’une belle Nordique ? Le journaliste écrivain Jean-Paul Kauffmann est parti à la conquête d’une région oubliée de Lettonie. Un bonheur.

Jean-Paul Kauffmann n’est plus à Paris. Le 8 juin, à 10 heures tapantes, il partait dans les Landes pour prendre ses quartiers d’été. Trois mois que ce  » paresseux très travailleur  » entend passer à se restaurer, à réfléchir, à écrire dans sa fameuse Maison du retour (NiL), celle de la renaissance après ses trois années d’enfermement au Liban dans les geôles du Hezbollah. Mais, avant de se retirer au milieu de ses pins, l’épicurien aux allures de clergyman nous a laissé Courlande, un formidable récit littéraire, entre enquête journalistique, chronique historique, grand reportage et méditation sociologique.

Des Landes à la Courlandeà C’était en 1997, le journaliste écrivain s’envolait en compagnie de sa femme, Joëlle, vers cette étonnante contrée septentrionale de Lettonie, connue de seuls quelques happy few hétéroclites : historiens diplomates, nostalgiques de Louis XVIII, spécialistes de la guerre russo-japonaise ou encore amoureux transis de sculpturales et mystérieuses Courlandaisesà C’est à cette dernière catégorie que l’auteur a un temps appartenu. Une certaine Mara,  » beauté nordique, lumineuse et timide « , enflammait il y a plus de trente ans son c£ur de jeune coopérant à Montréal. Et c’est grâce à Louis XVIII, souverain somme toute  » assez peu rock’n’roll  » mais qui avait eu le bon goût de séjourner en exil au château de Mitau, qu’il emportait alors la mise auprès de la donzelle originaire de Courlande. La Courlande, un nom chatoyant qui trotta des années dans sa tête, jusqu’à ce qu’un ami rédacteur en chef lui propose d’écrire un article sur cette région balte. Les premières images du pays, antipode du  » luxe italien « , n’ont rien de féerique. Les hôtels respirent bon leur ère postsoviétique, les gens offrent leur rudesse en guise de sourire, des paysages rectilignes naît une morne solennité que la Baltique, un  » clapot trouble et peu engageant « , ne saurait égayerà  » Je crains qu’il ne faille peupler ce vide, enchanter le trivial, rehausser la platitude « , écrit un Kauffmann pas si mécontent, en fait, de devoir apprivoiser cette terra incognita. Entre la lecture des romans d’Eduard von Keyserling sur le monde désenchanté des barons germano-baltes, du premier Maigret (Pietr le Letton), de Simenon, et les témoignages instructifs de quelques personnages de rencontre hauts en couleur, la Courlande finit par aimanter le couple Kauffmann. Qui décide même de jouer les prolongations, entrant bravement dans l’hiver balte au volant de sa Skoda Favorit rouge.

Jour après jour se dévoile l’étonnant destin des multiples châteaux quasi intacts (merci, le glacis soviétique !) et du peuple courlandais, envahi au fil des siècles par tout ce que l’Europe a pu compter d’Etats prédateurs. Au gré des ports de Liepaja (Libau) – d’où appareilla la flotte russe en 1904 pour aller se faire massacrer à Tsuchima et où embarquèrent des milliers de juifs à destination des Etats-Unis – et de Ventspils (Windau), ancien grand port pétrolier de l’URSS, Kauffmann fait mieux que combler le vide, il le sublime, par l’intelligence de son regard et la verdeur de sa plume.  » Je n’ai pas écrit un livre sombre ou mélancolique, ainsi que j’ai pu le lire ici ou là, proteste-t-il doucement. Ce sont des passions tristes, moi, j’ai plutôt eu un sentiment de gaieté. « 

Ou d’allégresse, comme celle qui le prend lorsqu’il évoque son prochain ouvrage :  » Soit une plongée dans Kaliningrad, autour de la bataille d’Eylau, soit le récit de ma remontée à pied du cours de la Marne, j’hésite encore.  » La forêt landaise lui portera-t-elle conseil ?

Courlande, par Jean-Paul Kauffmann. Fayard, 304 p.

l MARIANNE PAYOT

le désir d’apprivoiser cette terra incognita

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