Nkezabera : un procès plombé

Après ceux de 2001, 2005 et 2007, un nouveau  » procès Rwanda  » est censé s’ouvrir le 9 novembre à Bruxelles. Accusé : Ephrem Nkezabera, banquier des milices génocidaires. Mais l’homme est très malade.

« Dire qu’on aurait pu le juger il y a deux ans ! Il est même en aveux partiels !  » s’étrangle Me Philippe Lardinois, avocat d’une partie civile au procès d’Ephrem Nkezabera, censé s’ouvrir le 9 novembre à la cour d’assises de Bruxelles. Ce Rwandais de 57 ans, accusé de violations graves du droit international humanitaire durant le génocide de 1994, pourrait échapper à son procès. C’est que l’homme est fort malade : sous le coup de la chimiothéraphie, ne bénéficiant plus de la lucidité nécessaire, sa comparution s’avère problématique, à moins de l’amener sur une civière. Dans ces conditions, son avocat ne pourra pas le représenter :  » J’ai demandé que le procès soit reporté « , déclare Me Gilles Vanderbeck. Au vu de l’état de santé de son client, cela pourrait signifier un procès qui n’aura jamais lieu.

Or Nkezabera est un gros poisson,  » et même le plus gros de tous ceux qui ont été jugés jusqu’à présent en Belgique « , insiste Me Lardinois. Ancien directeur à la Banque commerciale du Rwanda, Nkezabera était devenu le trésorier des milices Interahamwe, fer de lance du génocide de 1994. Des témoins l’ont vu aux barrières, encourageant les tueries, distribuant des armes… Il est aujourd’hui accusé d’homicides intentionnels sur plusieurs personnes, dont une enfant de 4 ans et sa maman. Il refuse toutefois d’endosser la responsabilité pour des faits précis et nie les préventions de viols. Son arrestation le 21 juin 2004 à Bruxelles, alors qu’il se cachait chez son fils, avait été le fruit d’un accord entre le Tribunal pénal international sur le Rwanda, pour lequel il avait curieusement été embauché en tant qu’enquêteur, et la justice belge. Mais vu la lenteur de la procédure, l’homme a été libéré le 28 août 2008 après quatre ans de détention préventive.

Témoignage rocambolesque

Aussi les parties civiles regrettent-elles l’époque où le juge Damien Vandermersch se démenait pour faire avancer l’instruction, jusqu’à se rendre à plusieurs reprises au Rwanda. Depuis lors, c’est l’inertie. La nouvelle juge d’instruction n’a jamais mis les pieds au pays des Mille Collines.  » La dernière fois que nous l’avons sollicitée, elle n’a même pas jugé utile de nous rencontrer « , regrette Immaculée Mukarwego, une des plaignantes, en son nom propre et en celui de ses deux neveux Jean de Dieu et Charles, des adolescents tués dans la commune de Nyarugenge (Kigali) le 10 avril 1994. Or l’occasion eût été belle de juger Nkezabera en même temps que le major Bernard Ntuyahaga, condamné en 2007 par la même cour d’assises dans le cadre de l’assassinat des dix Casques bleus belges. Les faits reprochés à l’un et à l’autre se déroulent dans le même laps de temps, au tout début du génocide. Nkezabera était même venu témoigner, menotté, en faveur du major. Un témoignage qualifié de rocambolesque, y compris du côté de la défense.

Voilà donc la cour d’assises, présidée par Karin Gérard, aux prises avec un bien délicat problème de conscience. Un procès en l’absence de l’accusé et de son avocat ? Certains crieront à la parodie de justice. Forcer l’accusé à comparaître ? De quoi crier au traitement inhumain et dégradant…  » Les gens ne verraient que sa souffrance à lui, et la nôtre passerait au second plan, on nous prendrait pour des gens qui s’acharnent « , commente Bernadette Trachte, du collectif des parties civiles. Un report sine die du procès ? Ce serait alors courir le risque d’occulter la vérité. Or, quinze ans après le génocide, la soif de justice reste grande parmi les rescapés. Mais pas au prix d’un procès tronqué.

François Janne d’Othée

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