New Labour Fin de parti ?

Electeurs en fuite, modèle et dirigeants usés… Le mouvement travailliste, réinventé il y a plus de quinze ans par Tony Blair et Gordon Brown, est en pleine crise. Les prochaines législatives, d’ici à mai 2010, pourraient lui donner le coup de grâce.

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL

Brutal, le nom de code de la pétition dit tout :  » Sauvez le Labour.  » A l’entrée de l’Institute of Education, dans le nord de Londres, ce samedi 13 juin, des militants zélés font la chasse aux signatures. Ces activistes de la gauche du mouvement travailliste britannique réclament un congrès extraordinaire avant la fin du mois afin de corriger le cap d’un parti qui, selon l’aveu de l’un d’entre eux,  » a perdu le c£ur de son électorat « . Les protestataires ne pouvaient rêver d’une meilleure occasion. Car l’institut accueille, ce jour, la conférence annuelle de Compass, un groupe de pression à la gauche du Labour. C’est le rendez-vous des associations et syndicats qui veulent régler leur compte à Gordon Brown, le Premier ministre.

A la tribune, une jeune musulmane aux cheveux couverts d’un voile turquoise lit un texte en forme d’acte d’accusation :  » Des communautés entières sont abandonnées par ce gouvernement parce qu’il croit que la circonscription où elles résident lui est acquise. Dans ma famille, on votait Labour parce que c’était la formation qui défendait les travailleurs et les immigrés ; aujourd’hui, les jeunes l’associent au parti de la guerre en Irak, des privatisations, des attaques envers l’islam. Comment soutenir un gouvernement qui renfloue les banques de la City mais laisse, à Manchester, détruire nos emplois industriels sans lever un petit doigt ?  » Ovation dans l’amphithéâtre bondé alors que, dehors, le soleil déverse sur les parcs de la capitale cette lumière glorieuse, apanage de la splendeur de l’été anglais.

De Stalineà à Mr. Bean

Une semaine après sa déroute historique aux élections européennes et locales, le New Labour est-il entré en agonie ? Après trois victoires électorales successives et douze ans au pouvoir (un record), la formation reformatée par Tony Blair et Gordon Brown a-t-elle encore un avenir ? Au soir du 7 juin, le dépouillement des votes a relégué les travaillistes à la troisième position au niveau national, avec moins de 16 % des suffrages. Région par région, c’est un désastre sans précédent depuis un siècle : le Labour est deuxième en Ecosse (derrière les indépendantistes) et au pays de Galles (derrière les conservateurs), cinquième dans le sud jadis conquis sur la droite. En Angleterre, il ne dirige plus aucun comté. Dans le Yorkshire, une partie de son électorat populaire a même rallié l’extrême droite qui – nouvelle humiliation – a pu envoyer pour la première fois deux députés au Parlement de Strasbourg.

Certes, Gordon Brown a sauvé sa tête. Des ministres ont démissionné en cascade. Mais aucun député n’a osé défier son leadership, lors de la réunion des parlementaires Labour, comme la tradition britannique le permet. Pourtant, même cette confirmation par défaut sonne comme un aveu d’échec : si nul ne veut prendre sa place, n’est-ce pas parce qu’ils savent tous que la situation du Labour est désespérée ? Le remplaçant le plus probable, l’actuel ministre de l’Intérieur, Alan Johnson, n’a-t-il pas benoîtement estimé ne pas avoir lui-même l’envergure d’un Premier ministre ?  » Mieux vaut une semaine au gouvernement qu’un an dans l’opposition « , a cyniquement reconnu le ministre des Affaires étrangères, donné naguère comme un autre rival possible, David Miliband.

A moins d’un an des élections législatives, les caisses du parti sont vides, les militants sont démotivés et les électeurs ont fui.  » Faut-il un nouveau leader ou garder le diable qu’on connaît ? s’interroge Neal Lawson, président de Compass. Le problème n’est pas personnel. Il tient, en réalité, à ce que nous avons cessé d’être un parti social-démocrate. Aujourd’hui, notre gouvernement régule le marché non pour l’intérêt général mais au bénéfice des profits privés. Ce parti est à rebâtir.  » L’occupant du 10 Downing Street, la résidence du Premier ministre, ne peut, cependant, esquiver sa part de responsabilité personnelle. Austère, maladroit, crispé, volontiers autoritaire, accusé de procrastination, ce fils de pasteur presbytérien n’a pas su donner un second souffle à son mouvement, pourtant soulagé par le départ, à l’été 2007, d’un Tony Blair devenu impopulaire après une décennie aux affaires. La crise financière avait bien donné un ballon d’oxygène, à l’automne 2008, à l’ex-ministre des Finances, un Ecossais rigoureux et aux capacités de gestion reconnues. C’en est fini. Quoi qu’il fasse, Brown paraît toujours sur la défensive, hésitant, en retard. A son arrivée à la tête du gouvernement, on le comparait à Staline ; l’opposition le caricature désormais en Mr. Bean. Un gaffeur, un maladroit, un impuissant. Dépassé par les querelles internes, il en est réduit à s’appuyer sur son vieil ennemi intime, Peter Mandelson, aujourd’hui n° 2 du gouvernement.

 » Il a perdu sa feuille de route « 

Au-delà de l’usure personnelle de Brown, c’est un modèle politique qui est peut-être épuisé.  » Le New Labour était une marque avec une durée de vie limitée, explique Sunder Katwala, secrétaire général de la Fabian Society, le groupe de réflexion qui, depuis un siècle, sert de creuset intellectuel au travaillisme. Blair et Brown avaient réussi à rejeter les conservateurs très à droite en repositionnant leur parti sur des thèmes qui plaisaient à l’électorat du centre. Les conservateurs ont fini par comprendre et se recentrer. Face à cette concurrence qui le cannibalise, le New Labour est désormais contraint de se redéfinir. Mais il a perdu sa feuille de route.  » Un constat d’autant plus terrible qu’il émane d’un des théoriciens du New Labour. Mais le dilemme est fatal : s’il poursuit les réformes d’inspiration sociale-libérale, comme la privatisation de la Poste en débat, ces dernières semaines, il risque de perdre encore plus sur sa gauche. S’il les abandonne, il laisse la voie libre à l’opposition conservatrice, qui se proclame désormais l’héritière du réformisme blairiste et de sa volonté de moderniser les services publics.

Car, en revendiquant un  » conservatisme progressiste « , le chef de l’opposition, le jeune David Cameron (42 ans), propose à la classe moyenne britannique durablement acquise, depuis la révolution Thatcher, aux valeurs libérales de l’individualisme, une alternative sans risque. Défense du système de santé publique, baisses d’impôts, lutte contre le changement climatique, maîtrise de l’immigration, chasse à la bureaucratie : le programme est aussi consensuel que vague.  » Cameron est un bon opposant mais on ne voit pas encore sa capacité à avancer des propositions « , résume un banquier de la City. Tout juste le Parti conservateur vient-il de laisser glisser qu’en cas de victoire il faudrait tailler dans les dépenses publiques à hauteur de 10 % à partir de 2011.  » Nous n’avions jamais cru à la conversion de  »Mister – 10 % » en champion de l’égalité et des services publics, argumente la députée Labour Harriet Harman. Désormais, la preuve est faite.  » C’est à voir. La plupart des experts admettent, en effet, que, compte tenu de l’envolée de la dette publique, il faudra de toute façon baisser d’environ 7 % les dépenses publiquesà

A défaut de substance, reste le style. Cameron est mordant, parfois drôle, certainement dynamique. Ce fils d’un riche agent de change est un ancien élève d’Eton, le plus chic collège d’Angleterre, et de l’université d’Oxford. Jadis chargé de relations publiques à la City, il a le sens du coup d’éclat médiatique. Même passager. Il installe ainsi une éolienne sur le toit de sa maison du très huppé quartier de Kensington – avant de devoir la retirer parce qu’elle ne respecte pas la réglementation locale. Il se rend à la Chambre des communes, pour la séance des questions au gouvernement, à bicyclette, mais suivi de près par sa voiture de fonction qui transporte son costume et ses dossiers. L’ancien ministre conservateur George Walden a résumé la vision politique de Cameron en une formule assassine :  » A chaque fois, il se pose la même question : mais qu’aurait fait la princesse Diana ?  » A l’évidence, cela suffit pour l’heure.  » Cameron est populaire tandis que Brown est incroyablement impopulaire, explique Andrew Cooper, de l’institut de sondages Populus. L’opinion aime son charisme et sa jeunesse. Avec ses deux enfants en bas âge, il incarne un conservatisme cool.  » Cet engouement pour le chef tory dissimule toutefois mal un réel scepticisme pour sa formation.  » Seule la moitié de ceux qui apportent leur voix au Parti conservateur le font pour exprimer un soutien, poursuit l’analyste. Pour l’autre moitié, c’est juste par rejet du Labour. « 

Brown a promis de  » nettoyer le système « 

Face à cette adhésion sans enthousiasme pour ses opposants, Gordon Brown se battra jusqu’au bout. S’il n’en reste qu’un à y croire, il sera celui-là. L’ancien joueur de rugby est tenace. Mais sur quels fronts peut-il espérer remporter un avantage décisif ? Sur le terrain européen, il joue la carte europhile – une nouveauté pour lui – contre des tories qui ont basculé dans un euroscepticisme dogmatique. Mais est-ce vraiment payant de vanter les charmes de l’Europe dans un pays dont 60 % des électeurs ont voté en faveur de partis eurosceptiques au dernier scrutin ? Gordon Brown a également engagé la contre-offensive sur le front institutionnel. Le scandale du remboursement des frais des parlementaires a touché tous les partis, jusqu’aux chefs conservateurs : David Cameron et le responsable pour les Finances George Osborne ont jonglé entre leurs différents domiciles afin de se faire rembourser leurs crédits immobiliers. Mais, curieusement, c’est le Labour qui en pâtit le plus. Le Premier ministre a promis de  » nettoyer le système  » en imposant un nouveau code de conduite et de surveillance au Parlement. Il a aussi timidement évoqué une réforme du mode de scrutin qui pourrait limiter la casse et déboucher sur une coalition – avec les libéraux-démocrates, par exemple.

Et si c’était dans la bataille pour le retour de la croissance que le Premier ministre pourrait encore espérer faire la différence ? Divers indicateurs suggèrent que l’économie du royaume aurait touché le fond. Les autorités envisageraient de vendre, dès la rentrée, la banque Northern Rock, celle-là même qui avait été nationalisée en février 2008 sous les critiques de l’opposition. L’opération pourrait dégager un profit. De quoi redorer le blason d’un Brown auréolé, en pleine bourrasque financière, l’automne dernier – on l’a déjà oublié – du surnom flatteur de Superman par le Nobel d’économie Paul Krugman.

Autant de paris, autant d’incertitudes. La jeune garde du Labour, elle, a tranché. Une cure d’opposition sera un mal nécessaire afin de se débarrasser de la génération actuellement au pouvoir. Et de rebâtir un projet sur ce qui est désormais une friche. Considéré comme un des espoirs les plus prometteurs de la classe politique, le ministre du Travail et des Retraites, James Purnell (39 ans), écrivait dans sa lettre de démission du 4 juin :  » Cher Gordon, je crois désormais que ton maintien au pouvoir rend la victoire des conservateurs pas moins mais plus probableà  » Comment mieux lui dire adieu ?

jean-michel demetz

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire