Myrrha, le couteau suisse du nucléaire à la belge

La saga du  » train nucléaire  » la Hague-Gorleben a ravivé le débat sur les déchets nucléaires. Dans le secret des laboratoires du centre nucléaire de Mol, on travaille à la création d’un nouveau réacteur qui pourrait changer la donne. Nom de code : Myhrra.

Le vieux rêve de Nicolas Flamel, à qui l’on attribua la réputation d’avoir réussi dans la quête de la pierre philosophale, est-il en train de se réaliser dans une version sensiblement modernisée ? Il est, en tout cas, permis de le croire au vu des travaux préparatoires menés par une centaine de chercheurs du Centre d’étude de l’énergie nucléaire (SCKCEN) sous la direction du Pr Hamid Aït Abderrahim, père du projet. Ici, pas question de changer du vil métal en or ; l’objectif est de transmuter des déchets hautement radioactifs à longue durée de vie en un résidu de fission beaucoup plus  » sage « . Et ce n’est là qu’un des avantages du futur réacteur qui offrira, en outre, des applications financièrement, médicalement et environnementalement appréciables. Les alchimistes ont pris un coup de vert…

Pour comprendre ce qui suit, il convient de faire un peu de  » cuisine  » nucléaire et de mémoriser le nom des six ingrédients qui la composent. Attention toutefois, les proportions sont rigoureuses !

On sait que les réacteurs nucléaires classiques comme ceux de Doel et de Tihange fonctionnent avec de l’uranium comme combustible. Après quatre ans et demi de fonctionnement, pour une tonne de combustible utilisé, le réacteur  » restitue  » 935 kilos d’uranium, 50,2 kg de produits de fission, 12 kg de plutonium, 1 kg de neptunium, 800 g d’américium et 600 g de curium. Et les 400 g manquants, demanderez-vous ? Ils ont été transformés en énergie par la fameuse formule d’Einstein E = mc2.

Parmi ces différents ingrédients, le neptunium, l’américium et le curium – s’ils ne représentent en définitive que 2,6 kilos – constituent la fraction la plus dérangeante du combustible usé : ce sont des  » actinides mineurs  » dont les caractéristiques confèrent à l’ensemble des déchets une redoutable toxicité et une durée de vie estimée à plus d’un million d’années. Par contre, si on les isole et si on les transmute, on réduit considérablement la radiotoxicité et on ramène le temps d’activité à 300 ou 400 ans environ.

Pour réaliser cette transmutation, il fallait concevoir un réacteur à qui on a donné le joli nom de Myhrra, ce qui, en termes moins poétiques, signifie  » Multi-purpose hYbrid Research Reactor for High-tech Applications « . Les lecteurs branchés sur le nucléaire retiendront qu’il s’agit d’un réacteur sous-critique à neutrons rapides grâce à son caloporteur, un fluide constitué de plomb et de bismuth. Etant  » sous-critique « , le réacteur a besoin d’une source extérieure de neutrons primaires créée par un accélérateur.

 » Le réacteur Myhrra ouvre des perspectives considérables dans plusieurs domaines, explique le Pr Hamid Aït Abderrahim. D’abord – c’est là le but premier – grâce à la réduction importante de la radiotoxicité et de la température des déchets, on pourra stocker ceux-ci dans un volume divisé par 100, avec les conséquences financières que l’on imagine. Les avantages environnementaux sont donc évidents, mais ils s’accompagnent d’applications très intéressantes. D’abord, parce que ce type de réacteur fournira évidemment de l’énergie ; mais ensuite parce qu’il nous permettra de produire les radio-isotopes médicaux particulièrement recherchés au niveau international et dont notre  » vieux  » réacteur BR2, ici à Mol, assure à lui seul près de 30 % de la production mondiale ! Le BR2 est une belle machine qui a été modernisée, mais elle accuse quand même un demi-siècle d’existence. Myhrra sera, en outre, un outil exceptionnel pour tester les matériaux d’avenir qui seront notamment utilisés dans les centrales nucléaires de quatrième génération. Enfin, Myhrra participera même au développement des énergies renouvelables en fournissant du silicium dopé par irradiation. Il faut savoir, en effet, que celui-ci représente un composant essentiel des circuits électroniques de puissance dont les systèmes d’énergie hybride, le solaire ou l’éolien sont friands. « 

Bref, un outil aux possibilités multiples : le  » couteau suisse  » du nucléaire, version belge !

Près de 1 milliard d’euros

Pour mener à bien le projet, 960 millions d’euros seront nécessaires. Le gouvernement fédéral belge s’est engagé en mars à couvrir 40 % de cette somme et 60 millions ont déjà été dégagés pour couvrir le programme des cinq années à venir.  » Le solde sera apporté par un consortium international dont les membres seront exclusivement des Etats comme la Corée du Sud, la Chine et plusieurs pays européens qui ont déjà manifesté leur intérêt, voire même ont signé un préaccord de coopération. A charge pour ces Etats de fédérer en leur sein des intérêts privés, des centres de recherche, des universités, des fabricants et autres producteurs d’électricité. Chacun apportera sa contribution, soit en cash, soit en nature, en fournissant des éléments du réacteur, par exemple. Notre but est de travailler avec un nombre restreint de partenaires principaux de façon à éviter la dilution des responsabilités. « 

Concrètement, le réacteur expérimental devrait être opérationnel en 2023. D’ici là, le travail ne manquera pas.  » Jusqu’en 2014, notre priorité est de terminer le  » design  » de Myhrra, mais aussi de constituer le dossier relatif au permis de bâtir, souligne Hamid Aït Abderrahim. Si celui-ci est accordé en 2014, les appels d’offres sortiront l’année suivante et la construction des installations commencera en 2016. Ce qui nous conduira jusqu’en 2019, date à laquelle on commencera l’assemblage du réacteur et de son accélérateur de neutrons. Trois années seront encore nécessaires pour terminer les tests de mise en service progressive, avant le démarrage à pleine puissance prévu en 2023. « 

FRANCIS GROFF

LES DÉCHETS POURRONT ÊTRE STOCKÉS DANS UN VOLUME DIVISÉ PAR 100

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