MUSIQUE

L’immense violoniste Augustin Dumay est l’un des invités phares de la journée portes ouvertes du palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Rencontre

Bouteille à la mer ou cocktail Molotov, le message du violoniste français est clair: sans un changement radical de politique culturelle, c’est tout notre patrimoine artistique qui est condamné à disparaître. Augustin Dumay, un des plus grands violonistes de l’heure (de sa génération, du moment, d’Europe, du monde, du siècle?, et pas loin de deux mètres, de toute façon), sera parmi les invités phares de la journée portes ouvertes du palais des Beaux-Arts, ce 29 avril. Ce n’est pas la première fois que le musicien participe à des missions spéciales: les concerts marathons, les passages en télé, les rencontres grand public, ça le connaît, même s’il semble n’être jamais tout à fait redescendu de sa tour d’ivoire.

C’est précisément au lendemain d’un week-end de sensibilisation des nouveaux publics, organisé par l’Orchestre philharmonique de (et à) Liège, entièrement consacré à Mozart, que nous l’avons retrouvé. Derrière le sourire du poète, la préoccupation de l’artiste et du citoyen. A la question de savoir si les concerts avaient bien marché, la réponse fut un oui enthousiaste, assorti d’une amère constatation: « Des initiatives de ce genre me donnent un certain espoir pour les trente prochaines années, mais, à long terme, elles ne seront plus suffisantes. Il faut bien prendre conscience que si nous – c’est-à-dire les artistes, les intendants culturels et les responsables politiques – ne prévoyons pas l’avenir, il ne faudra pas attendre une génération pour que la musique classique soit rangée au rayon de l’archéologie. Il ne s’agit pas de défendre ici les musiciens, ni la musique, ni même la « culture » au sens habituel du mot, il s’agit de défendre l’accès à un domaine – à vrai dire, plusieurs domaines – qui sont le fondement de notre civilisation. L’accès à la musique est plus que l’entrée dans un champ de connaissances ou d’expériences esthétiques, c’est aussi l’accès à d’éventuels bonheurs. La culture fait partie des droits de l’homme, elle doit faire l’objet d’un travail social et politique permanent. »

Démissionnaires

« Dans ce qu’il faut bien appeler un combat, poursuit Dumay, je constate que les intellectuels sont absents, à moins qu’ils ne prêtent carrément leur complicité active au processus de délabrement culturel, notamment via les grandes chaînes de télévision publiques, où le théâtre, la musique, la littérature, etc. seront bientôt totalement absents. Il y aura toujours des intellectuels sur un plateau de TV pour parler des scandales humanitaires (ce qui mérite effectivement qu’on se secoue, de préférence autrement que par des discours), mais la culture est, elle aussi, une mission de service public, et une mission essentielle. » A qui confier cette mission? « Je pense que les artistes doivent pouvoir se mobiliser, donner du temps à la cause, aller vers les jeunes, vers les universités, vers tous les groupes sensibles. Je suis frappé de constater que, sur les questions de notre avenir, les commerçants sont plus en alerte que les intellectuels et les artistes. »

Quant à la façon dont Dumay compte procéder dans sa propre sphère: « D’abord, en parler. Profiter de la notoriété pour lancer des bouteilles à la mer, ou des cocktails Molotov. Eveiller les consciences. Rappeler à ceux qui travaillent avec l’argent des contribuables que l’avenir ne peut être construit que grâce à eux, exhorter les fonctionnaires à donner au pays les mêmes chances qu’ils voudraient voir donner à leurs propres enfants. Comment éveiller le goût du public en supprimant la musique de l’enseignement fondamental et en plaçant, comme c’est le cas sur TF 1, par exemple, la musique « savante » entre 4 et 5 heures du matin? Réalise-t-on que les médias sont devenus des surpuissances institutionnelles destinées à tourner à vide? Que nous bâtissons les fondements d’un futur scandale? »

En suivant le parcours professionnel et artistique d’Augustin Dumay, on observe pourtant que ses propres goûts l’ont porté vers un répertoire archiclassique, Mozart en tête. Est-ce avec ce type de musique qu’il compte interpeller de nouveaux publics? « La musique est comme une bibliothèque, c’est une globalité, rétorque-t-il. Si on aime une musique, on aime la musique. Et il n’est pas indispensable de mettre des moustaches à la Joconde ou de peindre la place Vendôme en bleu pour dire qu’on fait de la culture: il faut simplement apporter au public le plus large éventail de ce qui, en définitive, va l’aider à mieux vivre. »

Augustin Dumay sera en concert à la salle Henry Le Boeuf, le 29 avril à 15 heures, avec l’Orchestre national de Belgique, placé sous la direction de Gunther Herbig. Au programme: Hindemith, Mozart et Brahms. Question ouverte: l’artiste rencontrera-t-il le public à l’issue du concert?

Martine Dumont-Mergeay

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